Anais Sautier : de l'Afev à l'écriture engagée pour la jeunesse

Anais Sautier lecture Afev

Ancienne salariée à l'Afev et autrice de littérature jeunesse, Anais Sautier partage son parcours et révèle comment son expérience à l'Afev a façonné son approche de l'écriture, mettant en lumière les inégalités sociales et éducatives à travers des personnages authentiques et engagés.

En tant qu’ancienne salariée à l'Afev, vous avez une expérience directe de l’engagement en faveur de l’éducation et de l’inclusion. Comment est-ce que cela a enrichi votre travail en tant qu’autrice jeunesse et dans quelle mesure cette expérience se reflète-t-elle dans vos livres ? 

Sans vouloir faire de prosélytisme, il y a eu un avant et un après l’Afev et donc un avant/après quartiers Nord de Marseille dans ma perception de mon travail. Mes romans se sont toujours adressés à tout le monde évidemment, pas aux bon·nes lecteur·ices uniquement, mais ils évoquaient plutôt la classe moyenne. Quand j’ai débuté comme salariée à l’Afev, j’avais déjà beaucoup écrit et beaucoup publié, notamment pour la tranche 9/12 ans. Souvent en choisissant des personnages qui ressemblaient à l’enfant que j’avais été (ou en tout cas dans mon souvenir). Pas sur le caractère ou l’histoire intime mais plutôt sur les données sociologiques.
Je décrivais des enfants auxquel·les j’avais un accès mental (souvenirs d’amis, enfants que je croisais, que je connaissais, que je rencontrais dans des salons, lors des ateliers que je menais).
Tout cela était évidemment inconscient, mais hormis une série chez Bayard sur une petite palefrenière, tou·tes mes protagonistes étaient fils et filles de psy, d’enseignants, de vétérinaires, tou·tes ces gosses étaient choyé·es avec des parents poules dont la maîtrise du français et des codes étaient parfaits. Le capital économique n’était certes pas énorme mais bien suffisant pour se projeter vers un avenir dégagé.

Votre série “Bande de Boucans” se déroule dans un quartier populaire de Marseille et traite d’inégalités et de diversité. 

+> Oui, la série raconte l’histoire d’une bande de Boucans (en marseillais, on l’utilise pour parler d’enfants turbulents mais inoffensifs voire -même si ce terme m’agace- attendrissants).  Le terrain de foot à 5 où tout commence existe vraiment et l’école d’où sont issus les héros est une école où intervient l’Afev sur le programme ambassadeurs du livre dont j’ai eu la charge deux années scolaires durant.  Les enfants qui y sont scolarisée·s sont issu·es de familles immigrées, allophones, pauvres. 
+> le quartier est archi vivant, en plein centre-ville et il y a des enfants et des assos partout
+> tous les mondes se côtoient 
J’ai eu envie de le raconter, et surtout de parler de ces enfants-là vivant dans des apparts très petits, confrontés à une misère hors norme pour une ville de France, 7ème puissance économique mondiale. Mais le style dans l’écriture n’a pas bougé, je n’ai pas bradé le niveau de langue, ni simplifié les choses pour « m’adapter » à un public moins favorisé. Je tiens à préciser que c’est plutôt les jeunes que je côtoie ici qui m’apprennent du vocabulaire que l’inverse ☺ 

Comment votre expérience dans ces quartiers et vos ateliers d’écriture ont-ils influencé votre approche de la narration et votre compréhension des enjeux sociaux dans vos livres ?

Les enjeux sociaux et politiques ont toujours été des fils rouges dans mes romans, mes héros ne se plaçant jamais « au-dessus » des autres. J’ai toujours fait l’éloge de la mixité, des rapports verticaux, mais l’expérience marseillaise a rendu l’approche bien plus vivante, vivace même.
Je pense aborder ces « enjeux » de manière plus frontale, avec des héros redoublant, décrocheur, pauvre voire très pauvre, aidant les parents, posant un regard net sur leurs conditions de vie. J’ai par exemple dans « Marseille bébé » et le tome 3 de « Bande de Boucans » abordé la question de l’exil, du racisme direct, de la non-intégration des parents étrangers qui galèrent dans des jobs, qui sont humiliés par leur condition.
Avant, je me disais que ce n’était pas ma place, qu’il y avait un risque de pillage. Que d’une certaine manière, ça ne m’appartenait pas. Pourtant, ma famille maternelle a connu l’exil et la grande pauvreté, mais nous ne sommes pas « racisés », cela change tout. Aujourd’hui, c’est l’inverse, je ne sais pas comment je vais raconter autre chose que Marseille, les minots, la misère, la misère relative, la tchatche et la débrouille. Il y a tant à dire, à illustrer.

Journée du Refus de l'Echec Scolaire

L'édition 2023 de la Journée du Refus de l'Echec Scolaire se tiendra à Paris mercredi 27 septembre sous le thème « Tous égaux devant la lecture ? ». Une après-midi d’échanges qui vise à explorer la question des inégalités en matière d'accès et de pratiques de la lecture des jeunes

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La Journée du Refus de l’Échec Scolaire se concentre cette année sur les inégalités d’accès et de pratiques de lecture. Dans votre parcours, comment avez-vous perçu ces inégalités ?

Jusqu’au collège, j’étais scolarisée en REP (ZEP à l’époque), donc j’en ai été consciente toute petite. Mon père est journaliste, ma mère fonctionnaire et grande lectrice, j’ai bien vu à quel point nous étions ma sœur et moi à l’aise avec les mots comparés à certains potes de l’école. Puis, j’ai fait de l’allemand, du latin, une prépa, et intégré une « grande école », donc on était sur un pied d’égalité, entre enfants choyé·es, archi surveillé·es et accompagné·es par des parents au taquet.
Le grand choc, vrai choc, c’est la rentrée 2020/2021 dans une classe de petite section d’une école du quartier le plus pauvre de France. J’animais un atelier pour l’Afev. Et là, je m’aperçois qu’aucun·e gamin·e ou presque n’avait jamais vu un livre de près. Personne ne savait répondre à des questions toutes simples (comment t’appelles-tu ? comment vas-tu aujourd’hui ?).
Il y avait de la timidité certes mais pas que ça. Les enfants n’avaient jamais été au contact d’adultes parlant ce que j’appelle le français des institutions. Alors j’ai lu un livre, deux livres puis organisé un petit atelier de parole. Là, un enfant me demande pourquoi je parle comme à la télé et si c’est moi qui présente le JT. Le gosse pensait que j’étais Anne Sophie Lapix, tant le quartier manque de mixité… (je suis blonde aux yeux bleus).

À la lumière de vos expériences, quelles solutions ou actions vous semblent les plus efficaces pour réduire les inégalités en matière d’accès à la lecture et à l’éducation ?

+> Réduire les inégalités tout court
De transports, d’accès à la culture, aux institutions, au savoir, au travail, toutes les inégalités ; sans cela, nous aurons le même débat dans dix ans.
+> Promouvoir la mixité sociale et scolaire
À Marseille, c’est terrible. Sur un territoire déjà ségrégé, 1 collégien sur 2 détourne la carte scolaire, les gens parlent de l’enseignement privé de manière totalement décomplexée, dénigrant les écoles publiques car manquant … de mixité. Je pense que cette mixité des publics, il faut la pousser, la forcer, l’imposer. Je suis radicale sur cette question. La mixité c’est comme la protection de l’environnement, si on ne l’impose pas, rien ne bougera. Dans mon quartier populaire de Marseille, nous vivons dans un bâtiment « mixte socialement » qui n’est pas une tour. Et dans cet immeuble, nous sommes les seuls parents à mettre notre fille à l’école publique. Ça déséquilibre fatalement la vie de la cité.

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L'Afev et la lecture