Sophie Van der Linden est romancière et spécialiste de la littérature jeunesse (Tout sur la littérature jeunesse, 2021). Pour le Lab, elle a accepté de répondre à trois questions sur l’apprentissage de la lecture en France et l’ensemble des acteurs impliqués, sur le territoire, dans cette mission.
Comment lutter contre les inégalités scolaires et celles liées à l'apprentissage de la lecture ?
En effet, la France figure parmi les pays où le milieu social influence le plus le niveau scolaire, et est l’un de ceux où le diplôme des parents conditionne le plus l’apprentissage précoce de la lecture. Faut-il agir sur l’école ? Les parents ? Repousser l’âge d’apprentissage de la lecture à l’école, comme le propose l’Observatoire des inégalités ?
« Seule une réponse globale me semble pouvoir permettre d’enrayer ces inégalités, avec des efforts portés très précocement, dès la maternité, puis en PMI [Protection maternelle et infantile, ndlr], dans les structures d’accueil de la petite enfance, à l’école maternelle, etc. Des projets ancrés de longue date, comme des initiatives nouvelles, se mesurent à tous ces échelons, mais de manière disparate sur le territoire. Il y a des crèches qui ont totalement intégré la question de la lecture, et d’autres moins. Des enseignants de maternelle qui pratiquent de longue date la lecture offerte, et d’autres qui sont plus en difficulté avec l’exercice.
Plus généralement, il me semble qu’il faudrait bien dissocier la question de l’apprentissage de la lecture ou des acquis éducatifs – qu’ils soient scolaires ou familiaux – du rôle de la littérature. On utilise trop souvent l’un – la littérature – au bénéfice de l’autre – l’éducatif. Et pour les dissocier, peut-être faut-il dépasser la notion de lecture-plaisir, et montrer à quel point l’entrée en littérature est un facteur premier et puissant pour le développement et la construction de la personnalité. A partir du moment où un enfant est vraiment capté par la littérature, alors tout le reste suit – y compris l’éducatif. Aujourd’hui, on pense encore trop souvent que la littérature est un bonus, alors qu’elle est essentielle et précède tous les autres bénéfices tirés du livre et de la lecture. »
Quelles politiques de démocratisation d’accès à la lecture ont été, selon vous, les plus efficaces ?
« L’école, qui reçoit tous les enfants, reste à mon sens le lieu crucial du rapport au livre. Cependant, il faudrait réinterroger non seulement ses objectifs, mais aussi ses pratiques. Et former mieux qu’on ne le fait les futurs enseignants. Il y a des professeurs qui font des choses magnifiques dans certains Espe [Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation, ndlr]. Dans d’autres lieux de formation, il arrive que la littérature jeunesse n’ait même plus sa place.
Et puis soutenir les bibliothèques. Si elles ne reçoivent pas forcément tous les enfants et toutes les familles, on connaît leur rôle déterminant dans l’accès au livre et à la littérature. Réduction de budget ou de personne, pression sur les chiffres d’abonnés ou d’emprunts… Il y a aujourd’hui beaucoup trop de contraintes qui entravent l’excellent travail mené par les bibliothécaires sur le terrain. »
Quel regard portez-vous sur la mobilisation des acteurs associatifs sur l’accès à la lecture – et en particulier de l’Afev...
...dont les engagés pour la lecture appartiennent à la même génération que ceux qu’ils accompagnent ?
« C’est dans le milieu associatif que se rencontrent les initiatives les plus remarquables. Et bien entendu, quand on rencontre à l’Afev des étudiants investis toute une année auprès d’un même enfant et de sa famille sur les questions de lecture, il est difficile de trouver plus efficace. Mais plus généralement, tout un réseau existe sur le territoire national, avec des professionnels d’expérience, des bénévoles bien formés, qui conduisent conjointement actions de terrain et outils de réflexion. Ils doivent tous être associés aux réflexions de politiques publiques. »
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