Début juin, à la médiathèque Persépolis de Saint-Ouen, l’Afev, les membres de la Cité éducative et la Ville de Saint-Ouen-sur-Seine étaient en ligne pour accueillir de nombreux acteurs bien décidés à « présenter, s’interroger et ouvrir la voie à la lecture comme véritable moyen d’agir, dès la petite enfance, contre les inégalités scolaires et éducatives. » Ceci tandis qu’après la lecture l’an dernier, c’est désormais le mentorat qui a été déclaré "grande cause nationale" cette année.
Animé par Eunice Mangado-Lunetta, Directrice des programmes de l’Afev - qui a rappelé dès l’ouverture que la Journée du Refus de l’échec scolaire (JRES), en septembre prochain, serait consacrée à cette question -, cet après-midi d’échanges a été introduit par quelques mots dédiés à « deux grandes fiertés françaises : la politique du prix unique sur le livre, et son réseau de 16 000 médiathèques et bibliothèques », puis par les interventions d’ Hélène Vitaud, Directrice régionale de l’Afev Ile-de-France et Héloïse Claudé, élue de la Ville de Saint-Ouen, adjointe déléguée à l’Education, aux relations parents/professeurs, aux Centres de loisirs et aux Activités périscolaires.
La première a rappelé que « la question de la lecture [était] une question d’actualité », en s’appuyant sur l’enquête publiée la veille par le Ministère de l’Education nationale, qui « révèle qu’un jeune sur dix aurait des difficultés en lecture et en compréhension de textes », puis est revenue sur les actions de l’Afev pour lutter, « très concrètement », contre les inégalités – dans ce domaine comme dans d’autres, en Seine-Saint-Denis comme ailleurs. Héloïse Claudé, quant à elle, a indiqué que si le lien entre lecture et lutte contre les inégalités « paraît évident ; à y creuser, c’est beaucoup plus complexe que cela », avant d’indiquer que « trop longtemps, faire ses études dans la ville de Saint-Ouen a été vécu comme une pénalité » - un projet politique diamétralement opposé à celui que son équipe municipale « porte depuis son arrivée en 2020 : la démocratisation de l’excellence. »
Une communauté éducative
Rappelant que, « de la petite enfance à la fin de l’adolescence, les usages de lecture sont multiples et très inégalitaires », Eunice Mangado-Lunetta a mentionné une enquête de l’OCDE indiquant qu’un enfant auquel on lit des histoires « régulièrement avant sept ans, a des chances, surtout s’il vient d’un milieu défavorisé, de pouvoir rattraper les inégalités en termes de performance scolaire. » Se sont ensuite exprimées Béatrice Massonnet, Principale du collège Michelet de Saint-Ouen-sur-Seine (Chef de file Cité éducative pour l’Education nationale), et Gwenaëlle Chambonnière, Chargée de mission et enseignante.
Elles sont revenues, de manière concrète, chiffres à l’appui et citant Bernard Lahire (Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants, Seuil, 2019), sur le rapport à la lecture, au collège et sur leur territoire, qui constitue « l’un des sept parcours de la Cité éducative », ainsi que sur les inégalités liées à cette pratique. Pour autant, « depuis des années, les professeurs des écoles et de collèges mettent en place des stratégies pour lutter contre ces inégalités. » Elles ont ensuite détaillé des initiatives comme 1000 livres pour les Cités éducatives, l’idée d’un « droit de santé culturelle » ou le rôle, par exemple, de la « lecture par les pères », du « quart d’heure lecture » et des « ateliers-contes » inscrits dans le cadre scolaire ou, plus globalement, de la transformation de l’élève en « sujet-lecteur ».
De l’intervention de Florence Schreiber, ancienne Responsable des partenariats pour le réseau des médiathèques de Plaine-Commune, il est notamment ressorti que « la question de la lecture n’est pas isolée. » Il s’agit donc de « placer l’ensemble du projet de la lecture publique dans un contexte de lutte contre les inégalités » - ce qui positionne « le projet des médiathèques, dans son ensemble, comme utile » dans le cadre de cette lutte : gratuité d’inscription (« vraiment un choix politique »), réflexion autour des horaires (« notamment le dimanche »), services d’accompagnement, rapport individuel et collectif à la lecture… Ainsi, « la médiathèque doit être hospitalière à toute la famille », un tiers-lieu « culturel, mais pas seulement culturel » - la lecture étant « une aventure » avant même de pouvoir devenir un plaisir.
Enfin, Anne Poivet, Chargée de mission nationale à l’Afev, est revenue sur l’action de mentorat de l’Afev, d’Accompagnement individuel vers la lecture (AVL) – « les mentors n’ayant bien sûr par le rôle d’apprendre à lire aux enfants, mais bien de les accompagner vers celle-ci » - et l’implication/valorisation des familles dans ce cadre, en partenariat avec « tous les acteurs de la communauté éducative. » Ainsi, par exemple, « AVL est réussi quand les enfants se sentent chez eux à la bibliothèque, ou quand ils sentent qu’il y a de la place pour le livre – et le jeu autour du livre – au domicile. »
L'Accompagnement Vers la Lecture
L'Accompagnement Vers la Lecture
Lecture en famille et milieu populaire
Sur ce sujet, dans un premier temps, Gilles Brougère, professeur de sciences de l’éducation à l’Université Sorbonne Paris-Nord, a « lancé quelques petites vignettes pour réfléchir. » Parmi celles-ci, avec Le Roi Lion ou Les Bisounours en guise d’exemples, il a été question d’une tension entre la lecture comme acculturation à la « culture scolaire, bien enracinée » et une approche intégrant également « la culture populaire, qui se nourrit de films, produits d’une grande diversité », comme de l’importance du jeu dans l’apprentissage. Pour lui, « l’un des intérêts du livre, c’est de proposer à l’enfant un univers qu’il peut construire lui-même, dans une certaine solitude qu’il est bon de valoriser » - d’où l’utilité de rester, dans la mesure du possible et au moins au départ « en proximité avec les intérêts propres à cet enfant, quelle que soit la forme qu’ils prennent »… quitte à lui montrer, ensuite, « qu’il existe d’autres univers. »
De son côté, Pascaline Mangin, Responsable du Pôle "Publics & Médiations" pour le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, a présenté en détail la « Boîte à magie littéraire » et le dispositif national Des livres à soi à destination des parents, et insisté sur une conviction : « Les parents doivent vraiment être dans la boucle et même, plus que cela, devenir les passeurs de cette littérature jeunesse auprès de leurs enfants. » A ce titre, le fait que « les livres jeunesse s’adressent à un double destinataire – à l’enfant et à l’adulte qui va l’accompagner dans la lecture » constitue « une chance. » Sur cette base, le travail « très empirique » de ces professionnels s’adresse « aussi bien aux enfants qui ne sont pas lecteurs qu’à ceux qui sont déjà lecteurs, avec toujours à cœur d’intégrer le ou les parent(s) » dans cette démarche collective… à condition de bien définir les freins qui peuvent aller à l’encontre de cette implication.
Suite à cette séquence, Audrey Colnat, Coordinatrice ANLCI en Île-de-France, a rappelé quelques définitions (illettrisme/"illectronisme", analphabétisme, Français langue étrangère…) et chiffres (« 7% de la population française » est illettrée, soit 2,5 millions de personnes – dont 300 000 en Île-de-France), pour indiquer que son agence est confrontée « à des profils extrêmement variés. » Ladite agence « est là pour accompagner les adultes, et donc les parents en difficulté avec la lecture, l’écriture… » Pour travailler avec ce public, « le plus invisible qui soit », il s’avère que « la parentalité est un moment extrêmement important » : c’est en effet « la première raison qui les motive à pousser la porte des structures qui peuvent les accompagner. » Sur cette base, l’ANLCI mène des « actions éducatives familiales » - notamment « à destination des mamans ».
Enfin, c’est Oscar Heaume, Chargé de développement local de l’Afev Saint-Ouen, qui a parlé plus précisément des actions menées localement par l'association (qui « reposent aussi beaucoup sur la confiance que nous accordent les parents »), en particulier au sein-même de la Médiathèque Persépolis qui hébergeait ce temps d’échanges : d’ailleurs, a-t-il précisé, « nous ne pourrions pas mener l’AVL à Saint-Ouen si nous ne bénéficions pas de cet accueil. » Il a également insisté sur l’importance des liens entre parents, dans ce type de dispositifs.
Engagement et formation pour la littérature jeunesse
La dernière table-ronde proposait un focus sur la formation et la manière de « créer un socle » entre les différents acteurs de la médiation. Une question sur laquelle est revenue Pascale Mangin, mais aussi Agnès Bergonzi, Responsable du secteur formation du Centre national de la Littérature Jeunesse et Anne-Sophie Zuber, formatrice et lectrice pour l’association Arple. Agnès Bergonzi a présenté sa structure, rattachée à la BNF, comme un « centre de ressources pour tous les médiateurs du livre », dont l’une des missions est de donner accès aux collections « grâce à une salle de lecture en rez-de-jardin », à un catalogue en ligne et à une revue, mais aussi d’assurer des formations « à la fois initiales et continues, pour les salariés et les bénévoles. »
Revenant sur l’acronyme de son association – Arple, pour Association de recherche et de pratique sur le livre pour enfant, qui existe depuis 1984 -, Anne-Sophie Zuber a quant à elle indiqué que son objectif était de « faire connaître et aimer la littérature pour jeunesse, d’aider les adultes à en être de bons passeurs » et de faire apprécier l’objet-livre aux enfants, « avant même la lecture. » Et ce « via une pédagogie active, concrète, basée sur le respect de chacun, du livre, de l’enfant-lecteur, du texte, et de la relation de l’enfant au livre »… mais aussi « une pédagogie ouverte au public pour lequel le livre n’est pas d’une approche facile. »
Dans leur cas à toutes, il s’agit aussi de travailler à « valoriser et faire reconnaître les compétences particulières – permettant la rencontre des œuvres et des publics - que requiert la médiation » (par exemple via les Brevets d’aptitude à la médiation Littérature de jeunesse du SLPJ). Ceci, selon Pascale Mangin, afin de « décloisonner les pratiques en partant du principe que nos expériences mutuelles se nourrissent. » Former permet par ailleurs, selon Agnès Bergonzi, de « donner des repères d’expertise, mais surtout partagés entre tous les médiateurs du livre », de « réfléchir aux cadres de médiation, et à nos postures de médiateurs, car il ne suffit pas d’avoir une œuvre et un public pour que la rencontre se fasse... » A ce niveau de l’échange ont également été évoquées les différences d’approche en fonction du statut de la personne formée - professionnelle ou bénévole.
Deux personnes étaient présentes pour clore ces échanges : Antoine Raisseguier, chef de file Cité éducative pour la Ville de Saint-Ouen et Directeur général adjoint des services Relations Humaines/Education à la Ville de Saint-Ouen, ainsi que Geoffroy Guillon, Délégué académique de Créteil à l’Afev. Le premier a décrit la Cité éducative de Saint-Ouen comme « une alliance éducative entre tous les acteurs du territoire, qui avancent tous dans la même direction : le combat contre les inégalités. » Le second, remerciant l’ensemble des participants et partenaires « pour la qualité des échanges », a salué la richesse de « tous les exemples cités pendant ces trois heures » qui, « d’une certaine manière, redonnent le sourire, sur la base d’un constat sur les inégalités qui ne prêtait pas, au départ, à l’optimisme. » Il a également insisté sur « la complémentarité des acteurs sur le territoire. »
François Perrin
Participez à la 16e édition de la Journée du Refus de l'Échec Scolaire
Pour la 16ème année consécutive, l'Afev, organise sa Journée du Refus de l'Échec Scolaire le 27 septembre prochain, au Journal Le Monde et en live sur YouTube.
Cette année, la journée sera consacrée aux inégalités d’accès à la lecture chez les jeunes et sera introduite par la restitution d’une enquête exclusive réalisée auprès d'enfants et de jeunes issus des quartiers populaires, qui révélera leurs habitudes et pratiques en matière de lecture afin de pouvoir analyser les inégalités d'accès à la lecture et de présenter des solutions pour les surmonter. De nombreux acteurs éducatifs, parmi lesquels Marie Desplechin, marraine de l’événement, se rassembleront pour explorer collectivement la place de la lecture au sein des familles, des écoles, des bibliothèques et des médiathèques.
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