En 2021-2022 avait été réalisé un bilan sur « Les engagés de l’Afev au service de la lecture pour tous et de la lutte contre les inégalités et l’exclusion culturelle ». Parmi tous les chiffres qui y figuraient, l’un était particulièrement susceptible de frapper l’imaginaire : celui des 228 “Ambassadeurs du livre“ (ADL), répartis sur toute la France. Aux côtés des bénévoles engagés dans l’Accompagnement vers la lecture (AVL), ces jeunes forment une déclinaison du dispositif Volontaires en résidence, « au service de la lecture pour tous » et « en complémentarité avec l’action d’accompagnement vers la lecture ». Ils interviennent principalement dans le cadre des Bibliothèques centres documentaires (BCD), au sein des écoles, pour proposer aux enfants un contact plus informel, ludique et participatif avec l’objet-livre.
A Lyon, des Ambassadeurs Du Livre depuis plus de 10 ans
Né à Lyon en 2012, ce dispositif Ambassadeurs du livre (ADL) fêtait donc ses dix ans en mai 2022 - l’Afev Grand-Lyon et la Ville de Lyon s’étant unis pour célébrer cet anniversaire à l’Hôtel de Ville. Il avait été alors été rappelé que « depuis 2012, entre 75 et 100 volontaires en Service Civique de l’Afev sont intervenus chaque année dans les BCD des écoles de la ville de Lyon. » A cette occasion, de nombreux projets avaient vu le jour : « réalisation de livres et magazines numériques avec les élèves des écoles du 7 ème arrondissement », grand jeu de piste dans la ville, concours d’affiches entre les écoles (« Ma BCD idéale »), peluche voyageant de BCD en BCD pour récolter témoignages et retours sur les travaux réalisés…
L’occasion, aussi, de réunir de nombreux témoignages de volontaires engagés : « Une chance pour les professeurs d’avoir leurs élèves en groupe, et un club de lecture permettant aux élèves de laisser aller leur imagination, ainsi qu’aux parents d’assister au spectacle », entendait-on alors ; « Ma mission a permis aux élèves de découvrir la lecture de façon très différence de ce qu’ils font en classe », avançait un autre bénévole ; tandis qu’un dernier estimait que « parmi [ses] meilleurs souvenirs, il y a le quizz mouvant sur la mythologie grecque avec les Cycle 3, les activités théâtrales autour des contes avec les CE1-CE2, les débats… Beaucoup de très bons moments. » Et surtout, un éventail très large d’animations, construites en lien avec les professionnels et les enfants eux- mêmes.
Souvenirs d’une ambassadrice
Désormais salariée de l’Afev Lyon Métropole en tant que “chargée de mobilisation des engagé.es“, Ramata Niare, interrogée cette année, se souvient en des termes comparables de son expérience d’ancienne volontaire ADL. Cette expérience, sa « première en lien avec l’Afev », l’a amené en 2021 dans « une école maternelle et une école primaire de Lyon 5 ème », où elle a « accompagné une centaine d’enfants (sans doute même plus), entre 3 et 11 ans, de la petite section au CM2 ». En plus de sorties collectives avec les enseignants et d’une participation active à la mise en scène du spectacle de fin d’année des CE1-CE2, elle détaille « différentes activités », organisées « autour de grandes thématiques. »
Quelles thématiques ? Avec les maternelles, « les saisons, les émotions, les contes, la cuisine, la découverte d’albums sans texte en vue de stimuler leur imagination, la sorcellerie/magie… » ; avec les primaires, « les contes classiques et du monde, la mythologie gréco-romaine (dont l’écriture d’un treizième travail d’Hercule avec les CM1-CM2 !), l’écologie et la protection animale, les mangas et notamment la thématique des super-héros, différents jeux, et parfois lecture en autonomie… » A chaque fois, la même ambition : proposer des activités innovantes, originales, pour intéresser les enfants tout sollicitant leur propre créativité. Résultat : « Beaucoup d’enfants [l’]ont remerciée, en affirmant s’être beaucoup amusés en BCD. » Mieux encore : « J’étais particulièrement contente lorsque certain.es élèves qui n’aimaient pas forcément lire, ou qui doutaient d’eux, retrouvaient confiance grâce aux activités et s’impliquaient dans ce que nous
faisions ensemble. »
Ramata se souvient ainsi « d’un élève de CE1 qui avait des difficultés à l’oral et doutait d’être doué pour le théâtre, mais qui, au final, grâce aux encouragements des autres, aux miens, aux costumes et aux réécritures des textes, en a oublié ses a-priori et a fini par vouloir jouer… tous les rôles proposés ! » Selon elle, dans les activités comme dans la lecture à proprement parler, « les choses sont plus simples lorsqu’on leur propose des œuvres qui les intéressent vraiment : je pense que tout enfant peut aimer lire s’il s’identifie et si on lui laisse le choix (…) Beaucoup ont pris goût, voire repris goût à la lecture parce que cela n’avait rien d’imposé ni de “rigoureux“, (re)devenant donc un plaisir pour eux. »
Ainsi, l’ancienne ambassadrice explique avoir « le sentiment d’avoir aidé plusieurs enfants à voir la BCD non plus comme un endroit devant lequel on passe, où on peut faire des devoirs, et plein de “vieux livres“ pas toujours intéressants, mais comme un espace d’animation, de discussion, de découverte. Un espace qu’in fine beaucoup avaient envie de garder beau et rangé – certains se mettant même à emprunter des livres ou à demander que je leur rapport ceux que je ne trouvais pas. » Comment mieux conclure une prise de parole à propos des Ambassadeurs du Livre !
De l’école…
Pour autant, si la relation entre bénévoles et enfants figure au cœur du dispositif, rien ne serait possible sans l’implication des autres acteurs, très volontaires aussi dans leur démarche : « J’ai découvert des personnes formidables, explique Ramata, autant dans les écoles qu’au sein des bibliothèques. Les enseignants, sur mes deux établissements confondus, ont été très bienveillants, et m’ont laissé tout l’espace disponible pour développer mes idées et construire le cadre qui me correspondait. »
Directeur de l’ école Charles-Péguy du 8 ème arrondissement de Lyon (située dans un QPV et en REP+), Robin Perrot témoigne d’ailleurs de cette même volonté de mobiliser toute la communauté éducative autour des enjeux liés aux inégalités sociales et scolaires. « La population enfantine qui compose notre école, constate-t-il, connaît une vie sociale très souvent tourmentée. De plus, nous sommes confrontés à des familles d’origines multiculturelles très variées, avec des parents qui ne maîtrisent pas toujours la langue, et très souvent de façon aléatoire. Si bien que les difficultés d’accès à la lecture et aux connaissances en général ne sont pas toujours compensées à la maison. »
Ainsi, poursuit-il, « dès lors que l’enfant accède avec difficulté au décodage, il décroche sur le sens des mots, et cela entraîne très souvent des complications en termes de résolution de problèmes par exemple. L’accès à la lecture est donc primordial. » Par conséquent, « pour l’école Péguy, le premier travail est donc (…) d’associer les familles dans une démarche co-éducative. Cela passe par une pédagogie de projets où les familles sont associées le plus souvent possible. » Et « ces projets sur temps scolaire sont complétés par des projets hors temps scolaire, animés par des enseignants ou des animateurs. »
A ce titre, « la présence de l’ADL au sein de la BCD fait partie des moyens donnés aux enseignants pour améliorer l’accès au livre. D’origines très diverses par leurs études et leur culture, nos ADL – année après année – amènent leurs connaissances personnelles, leur sensibilité et leur jeunesse nqui sont autant d’atouts pour stimuler les élèves à aller vers le livre. » D’ailleurs, « par définition, l’ADL n’est pas le maître, et peut donc se servir de cette proximité plus aisément que le maître. Ensuite, si l’ADL (qui encore une fois n’est pas le maître !) s’intéresse à l’objet-livre… c’est que le livre est encore plus intéressant que ce qu’en dit le maître. Cela peut en faire un objet convoité. »
D’autant que « dans la vie de tous les jours, le livre est bien plus “en dehors“ que “dans“ la classe. Dans la classe, il est trop souvent le support pour apprendre, ce qui peut le faire apparaître comme un objet de “torture“ et rendre la connaissance qu’il renferme totalement inaccessible. » Et ce alors même que « le livre est avant tout un objet de plaisir. » Ainsi, « le rendre objet d’attention et de plaisir force autant à le respecter qu’à le désirer. Il s’agit donc, pour nous, de le dévoiler autrement mais par le plaisir, en multipliant les visites à la médiathèque, en abonnant l’école aux journaux adaptés, en créant et en publiant des livres au sein de l’école. L’ADL en BCD fait partie de ce tout », surtout que « lorsque l’école a une BCD, l’ADL dispose d’un outil magique. Le lieu fait l’objet. Les actions de l’ADL dans ce lieu doivent transcender le livre » - une mission pour laquelle les ADL peuvent compter sur « le directeur », dont le rôle est aussi « d’expliquer, d’accompagner. »
… à la bibliothèque
Si l’hommage de Ramata aux enseignants et personnels scolaires était appuyé, il ne l’est pas moins en ce qui concerne ceux des bibliothèques : « Idem pour les Bibliothèques municipales (Part-Dieu et Point-du-Jour en particulier), qui m’ont servi d’alliées comme de supports : j’avais toujours une personne pour m’orienter, je ne suis jamais ressortie sans de nouvelles idées, de nouveaux livres ou des valises pour m’appuyer et me stimuler. » A ce titre, le Lab’ Afev a tenu à interroger également Violaine Kanmacher, Responsable du Département jeunesse à la Bibliothèque municipale de Lyon .
Convaincue de l’intérêt de la démarche, elle a commencé par l’illustrer de manière particulièrement imagée. Elle considère en effet « la lecture d’histoires ou le récit de contes aux enfants, dès le plus jeune âge », comme « une fenêtre pour ouvrir notre esprit et notre imaginaire, à d’autres mondes, d’autres personnes, d’autres cultures, réelles ou imaginaires. La littérature nous ouvre l’accès à un ailleurs, qui peut devenir refuge quand le monde quotidien est parfois dur et violent. La langue du récit ouvre une parenthèse dans nos vies. » Elle constitue également « un miroir, pour mettre des mots sur nos sensations, nos émotions » et « un porte- voix, pour faire de futurs adultes qui sauront exprimer leur opinion, qui oseront prendre la parole, s’affirmer, s’opposer… »
Sur l’objet-livre à proprement parler, elle n’ignore pas l’importance de « la matérialité du livre » (« le toucher du papier, le bruit de la page que l’on tourne, la qualité de l’impression, l’odeur-même de la colle jour un rôle dans le plaisir que l’enfant va associer au livre »), mais estime que « c’est surtout le plaisir qu’il aura pris de partager ce temps de lecture avec un plus grand, un adulte, cette intimité partagée le temps d’une lecture, le fait d’avoir rêvé, tremblé, ri ensemble qui restera associé à l’objet-livre. »
C’est précisément pour cette raison que « les bibliothèques sont justement présentes partout sur le territoire, pour offrir à tous les enfants la possibilité d’accéder à des milliers de livres », qu’elles sont gratuites (« quiconque, même sans inscription, peut venir, entrer, s’installer, choisir un livre et le lire à son enfant ») et proposent « de nombreuses animations gratuites, des temps de lecture, de comptines, des ateliers, etc. » Et de citer « la nouvelle campagne du Ministère de la Culture », intitulée Ma bibliothèque : le monde à portée de main , qu’elle estime « assez juste », « la géniale idée de Silence, on lit » (« le quart d’heure de lecture en primaire, collège ou lycée ») et « les BCD, les Ambassadeurs du livre, les dispositifs comme Lire et faire lire où des bénévoles viennent lire dans les classes ou dans les centres de loisirs, Des livres à soi porté par le Salon du
Livre et de la Presse Jeunesse (SLPJ) »…
Mais pour en revenir aux ADL à proprement parler, Violaine Kanmacher trouve « ces dispositifs – AVL et ADL – très intéressants, car ils lient l’humain et le livre… Au-delà du projet, ce qui compte, c’est l’engagement que va mettre l’adulte, son plaisir à partager sa lecture qui va peut-être se transmettre à l’enfant. (…) Autant de petites graines », en somme, « que l’on sème. Il faut être patient, et se dire qu’elles germeront peut-être plus tard, quand nous ne serons plus à leurs côtés pour voir sortir la petite pousse. » Raison pour laquelle, notamment, les ADL peuvent s’inspirer ou commander « des lots thématiques d’ouvrages » conçus par les bibliothécaires, « pour qu’ils puissent monter des projets : les émotions, les super-héros, la musique, les livres extraordinaires, etc. » Autant de thématiques qui, on l’a vu, ont particulièrement teinté l’expérience de Ramata.
Pour conclure, la responsable du Département jeunesse à la Bibliothèque de Lyon le répète : « Je trouve cette mission vraiment passionnante, et surtout l’encadrement et l’accompagnement proposé par l’Afev particulièrement pertinent. Nous voyons ces jeunes volontaires mûrir leur projet au fil des mois, découvrir aussi le rôle d’une bibliothèque aujourd’hui, son engagement social… Souvent, je leur dis : “Vous voulez changer le monde ? Devenez bibliothécaires !“ En début de mission, cela les fait sourire. Mais en fin de mission… certains m’envoient un CV pour postuler ! » Assiste-t-on ici, quasiment en direct, à la naissance de vocations ? Difficile d’en douter.
Sylvia Tabet-Davidenkoff / François Perrin
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