En France, 5,3 millions de jeunes grandissent à la campagne, soit un tiers de notre jeunesse. Dans ces zones rurales qui couvrent 88% de notre territoire, les 3/4 des actifs sont employés ou ouvriers. L’écrasante majorité des jeunes ruraux sont ainsi issus de familles modestes, aux revenus limités.
Les territoires dans lesquels ces jeunes grandissent, peu denses, par définition, les tiennent éloignés des offres de formation, d’emploi, d’activités culturelles et sportives. Les réseaux de transports et les services publics, censés compenser cet éloignement, sont loin d’être au niveau des besoins. La vie des jeunes ruraux se retrouve donc très souvent, déterminée par les kilomètres.
Pour ne citer qu’un exemple, 70% des études supérieures se concentrent dans les 15 plus grandes villes de France. Lorsque vous grandissez dans un village de l’Allier, du Cotentin ou du Gers, les 30% d’opportunités académiques restantes ont peu de chances de se trouver à un jet de pierre de chez vous. S’ils veulent poursuivre des études, les jeunes ruraux doivent donc partir de chez eux et en assumer le coût financier et psychologique. Ou bien s’aligner avec l’offre à proximité.
Pourtant, pendant des décennies, la jeunesse rurale est restée un impensé.
Son poids démographique, la transversalité des enjeux qu’elle rencontre, les inégalités systémiques auxquelles elle fait face n’étaient ni vus, ni sus, ni documentés. Encore moins traités. Un « oubli » collectif, des pouvoirs publics, des médias, des entreprises, des instituts de recherche, des acteurs de la vie culturelle, et des associations. Encore aujourd’hui, à l’échelle nationale, l’attention et les moyens accordés à la jeunesse rurale restent très loin du besoin, de l’urgence et du retard cumulé.
Depuis quelques années, pourtant, les lignes bougent. Doucement, fragilement, on commence à regarder ces jeunes, à les nommer. On ajoute « et des zones rurales » à la fin des cahiers des charges des politiques de jeunesse et des appels à projets philanthropiques. Des acteurs associatifs nationaux tente de se déployer en ruralité. Un ministère de la ruralité réapparaît, supposé représenter les intérêts de cette jeunesse.
Cette prise de conscience collective n’est pas le fruit du hasard. Elle est une fragile matérialisation de mouvements sociaux partis des campagnes, d’une action associative de terrain et de plaidoyer acharnée, et de la production de quelques sociologues, encore trop peu nombreux à étudier ces jeunes.
Cette reconnaissance naissante alimente aussi un champ de questionnements. Qui sont ces jeunes ruraux ? Est-il aussi légitime de s’intéresser à eux qu’aux jeunes des quartiers populaires ? Les déterminismes qui orientent leurs parcours sont-ils les mêmes ?
Si les formes diffèrent, les expériences, bien souvent, se rejoignent. Fragilités économiques des familles, orientation contrainte, autocensure… À la campagne comme dans les quartiers populaires, les jeunes doivent franchir des obstacles que d’autres n’ont pas à affronter.
Pour autant, il nous faut reconnaitre les spécificités des défis que rencontrent ces jeunesses rurales ou urbaines. Le faire, ce n’est certainement pas les amoindrir, bien au contraire. Les identifier, les circonscrire et adapter les réponses à des contextes spécifiques permet de traiter leurs enjeux au plus efficace. Ainsi, les jeunes des quartiers populaires voient trop souvent s’ajouter aux inégalités qui les freinent un imaginaire stigmatisant projetés sur leurs quartiers. Les jeunes ruraux, quant à eux, se prennent de plein fouet les conséquences de l’éloignement kilométrique des opportunités, mais aussi les décennies de retard cumulées dans la considération de leurs enjeux.
Dans un cas comme dans l’autre, les déterminismes sociaux, territoriaux, d’origines prétendues et parfois de genre s’accumulent, se nourrissent et placent les jeunes dans des situations d’inégalités systémiques.
Les acteurs politiques, associatifs, économiques et médiatiques ont un rôle essentiel à jouer pour que chaque jeune, qu’il vive en milieu urbain ou rural, se sente appartenir à la jeunesse populaire française. Il est crucial que ces jeunesses se connaissent, se rencontrent, échangent et sachent se compter sans jamais être opposées ni mises en concurrence.
Toutefois, les initiatives visant à réduire les inégalités doivent tenir compte des réalités et spécificités de ces jeunesses. Les ignorer plus longtemps reviendrait à abandonner une partie de la jeunesse sur le bord du chemin et à manquer l’objectif : garantir une véritable égalité des opportunités, quel que soit le lieu de naissance.
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