Le 31 août dernier paraissait Retrouver le chemin de l’école, un ouvrage signé Elisabeth Elkrief, Directrice générale de la Fondation AlphaOmega, qui accompagne six associations éducatives majeures – dont l’Afev. Quinze jours après cette parution, qui consacre un long passage au mentorat, Le Lab’Afev tenait à poser quelques questions à son autrice.
Pourquoi avoir tenu à écrire cet ouvrage ?
Nous luttons contre le décrochage, dont je persiste à penser qu’il n’est aucunement une fatalité. Or, dans le cadre de mon travail, je rencontre énormément d’acteurs impliqués, et ai eu l’occasion de constater à quel point des solutions, à la fois originales et efficaces, existent, qui malheureusement ne sont pas connues, tandis que ceux qui les déploient peinent à être identifiés dans l’opinion publique. Il est en effet surprenant de mesurer à quel point les associations de prévention que l’on accompagne, et qui viennent tout de même en aide à 400 000 jeunes chaque année, sont inconnues du grand public. J’avais donc le souhait de faire savoir que ces grands acteurs existaient, capables de remettre les enfants, à risque très sévère de décrochage scolaire, sur le chemin de l’école.
Les prépa-apprentissage ont, en ce sens, un rôle primordial à jouer. Ces dispositifs, lancés en 2018 et dotés de 15 milliards d’euros via le Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC), tendent à rapprocher de l’emploi les publics en situation de fragilité et, ou issus des marges territoriales. Les prépa-apprentissage viennent à elles seules constituer de réels sas apportant aux jeunes en difficulté les ressources pour affiner leur projet professionnel, se remettre à niveau ou tout simplement prendre confiance en soi. Ce système est à pérenniser. Les évaluations, actuellement en cours par le Ministère du Travail, témoignent de la pertinence de ces dispositifs, à l’image de la prépa-apprentissage “Apprentis Solidaires” qui permet chaque année à 66% de ses effectifs de décrocher un contrat d’apprentissage. L’ANAF, convaincue de l’importance et de la viabilité de ces dispositifs, insiste depuis des mois sur la nécessité de sécuriser financièrement les structures qui les portent. En effet, les prépa-apprentissage doivent s'intégrer pleinement aux champs des possibles pour les jeunes en période d’orientation ou de recherche de solutions afin de s’insérer et construire leur parcours.
Mais alors, comment ces acteurs s’y prennent-ils ?
Entre l’institution scolaire et les familles, ils jouent le rôle de tiers, susceptibles de comprendre mieux que personne comment et pourquoi ces enfants, ces jeunes sortent, ou sont en passe de sortir, de la maternelle à l’Université, du cadre scolaire. Car pour parvenir à suivre à l’école, à y être heureux, à comprendre à quoi elle sert, j’estime que des prérequis sont nécessaires… qui, précisément, ne s’enseignent pas à l’école ! D’où l’intérêt de ces tiers associatifs, pour venir en aide à ceux qui n’ont pas eu la chance d’acquérir ces prérequis dans leur famille ou via leur milieu social. C’est à cette seule condition que l’on parviendra à éviter que certains enfants pâtissent de lacunes, manquent de confiance en eux, estiment que l’école n’est "par pour eux", aux moments-charnières de leur parcours éducatif.
En effet, apprendre à lire et à écrire, par exemple, ne revêt pas qu’une dimension purement scolaire : on peut être très heureux en lisant un livre par ou pour soi-même. Mais encore faut-il en avoir conscience. Alors s’ils doivent être accompagnés pour le réaliser pleinement, nous pouvons nous réjouir que des acteurs existent pour le faire ! Parce qu’on ne peut pas demander à un enseignant de faire acquérir à l’enfant à la fois les prérequis dont il a besoin et les savoirs académiques qu’il est censé acquérir pendant l’année d’étude…
Qu’entendez-vous par « moments-charnières » du parcours éducatif ?
Fort heureusement, il ne s’agit pas d’accompagner l’enfant tout au long de sa scolarité, mais plutôt de bien repérer quels sont ces moments-charnières, les endroits où ces prérequis sont les plus importants et où le lien à l’école est le plus ténu.
Pour moi, négocier au mieux ces moments-charnières est très important, à plusieurs égards : d’abord, tout simplement, pour rester à l’école ; ensuite, ils permettent (s’ils ont été bien négociés, justement) de passer sereinement à l’étape supérieur… Ainsi, selon la manière dont on les aborde, ils peuvent constituer aussi bien de simples bornes d’étape… qu’autant d’obstacles, de crevasses à franchir.
Ces programmes et solutions doivent-ils ne cibler que les plus en difficulté ?
Qui peut le plus, peut le moins ! Si cet accompagnement "resserré" s’avère vital pour les élèves en très grande difficulté scolaire et/ou d’origine scolaire modeste – qui rêverait d’un monde où ces enfants seraient définitivement condamnés dès l’âge de cinq ans ? -, j’estime que les méthodes déployées par ces associations méritent d’être connues par tous. Car elles pourront permettre aussi à des enfants moins en difficulté, sans gros problèmes scolaires, de retrouver le goût d’apprendre, l’envie de retirer de l’école tout ce qu’ils peuvent en retirer, de lever les divers freins qui peuvent ralentir leur parcours d’apprentissage. Soit, à terme, à beaucoup plus de gens qu’on ne le pense d’être plus heureux à l’école, et de s’y épanouir.
Prenons un cas concret, celui d’un mentorat de l’Afev décrit dans votre livre…
L’histoire de cette petite fille et de la jeune femme qui l’accompagne en dit long sur ce que signifie "être un mentor" et sur ce que la transmission peut apporter à toutes les parties prenantes…
Je trouve très intéressante la posture adoptée, à laquelle les mentors sont d’ailleurs formés à l’Afev : celle qui consiste à ne pas victimiser l’enfant (en rejetant la faute sur d’autres) ni le culpabiliser (en le considérant comme un fainéant). On sort alors d’un cadre binaire, stérile, qui ne permet en aucune manière aux jeunes de redevenir acteur de ces fameux moments-charnières. Ce que je tiens à ainsi rappeler, c’est que ces solutions marchent, que ces méthodes de travail méritent d’être mieux connues, alors même qu’un discours tenace tend à estimer que la situation est désespérée… D’autant qu’elles viennent d’acteurs qui sont au quotidien confrontés à la pratique : des associations qui confrontent très sérieusement leurs théories aux dizaines de milliers de jeunes qu’ils accompagnent, dans un processus d’amélioration continue. Il faudrait donc parvenir, à terme, à les déployer à grande échelle !
Propos recueillis par François Perrin
"Retrouver le chemin de l'école"
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