La Journée du Refus de l'échec Scolaire, organisée par l'Afev depuis 2008 vise à donner la parole à nos partenaires afin d'enrichir nos réflexions autour des inégalités dans l'accès à l'apprentissage. Voici ici, la contribution de ceux qui ont co-portés cette 15ème édition avec nous : l'ANAF
Avec 730 000 contrats en 2021 et une augmentation des effectifs de plus de 82 % entre 2016-2022, le boom de l’apprentissage est indiscutable. Celui-ci, conséquence de la réforme de 2018 et du plan 1 jeune 1 solution, ne semble pas avoir entraîné dans ses effectifs les jeunes les plus fragiles. Par exemple, la part des apprentis intégrant des formations aux niveaux infra-bac et baccalauréat représentait 63 % des apprentis en 2016 contre 49 % en 2021.
L’apprentissage accueille effectivement moins de mineurs puisque 4 000 jeunes en moins de cette tranche d’âge ont signé un contrat entre 2018 et 2020. La diminution est drastique. Par ailleurs, bien que l’apprentissage soit une clé pour l’égalité des chances et l’accès aux études dites supérieures, le travail à mener en termes de lutte contre les freins d’accès à cette voie reste à ouvrir. Nombre de jeunes se retrouvent bloqués dans leur parcours face à un manque de réseau, de préparation au monde du travail ou encore face aux réalités des parcs locatifs et des réseaux de transport dans certains territoires.
Ainsi, à l’heure où l’objectif quantitatif du million d’apprentis a été fixé par le Gouvernement, il apparaît urgent de prendre conscience que la dynamique de l’apprentissage en France doit servir à tous les jeunes, avec égalité, avec équité. La dynamique apprentissage actuelle doit également servir les plus fragiles et cela ne pourra se faire sans des décisions fortes et pérennes de la part des pouvoirs publics.
Raccrocher par l’apprentissage : des solutions existantes et une sécurisation nécessaire
Il va sans dire qu’aujourd’hui la réforme à permis de lever nombre de freins structurels au développement de l’apprentissage. Le regard sur cette voie a évolué positivement et c’est une victoire. Elle continue aussi d’être considérée et présentée comme un moyen de raccrochage pour les jeunes : elle doit le rester. Raccrochage et excellence ne sont pas antinomiques. Ainsi, il existe des solutions pour que cette voie particulièrement exigeante se développe en France sans laisser les plus fragiles sur le côté.
Les prépa-apprentissage ont, en ce sens, un rôle primordial à jouer. Ces dispositifs, lancés en 2018 et dotés de 15 milliards d’euros via le Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC), tendent à rapprocher de l’emploi les publics en situation de fragilité et, ou issus des marges territoriales. Les prépa-apprentissage viennent à elles seules constituer de réels sas apportant aux jeunes en difficulté les ressources pour affiner leur projet professionnel, se remettre à niveau ou tout simplement prendre confiance en soi. Ce système est à pérenniser. Les évaluations, actuellement en cours par le Ministère du Travail, témoignent de la pertinence de ces dispositifs, à l’image de la prépa-apprentissage “Apprentis Solidaires” qui permet chaque année à 66% de ses effectifs de décrocher un contrat d’apprentissage. L’ANAF, convaincue de l’importance et de la viabilité de ces dispositifs, insiste depuis des mois sur la nécessité de sécuriser financièrement les structures qui les portent. En effet, les prépa-apprentissage doivent s'intégrer pleinement aux champs des possibles pour les jeunes en période d’orientation ou de recherche de solutions afin de s’insérer et construire leur parcours.
Redoubler d’effort pour l’accès à l’apprentissage des plus jeunes et sur les niveaux infra-bac et bac
Le rapport d’évaluation de la réforme de l’apprentissage vient préciser qu’initialement très concentré sur les moins de 20 ans (72% en 2018), l’apprentissage s'est ouvert à des publics plus âgés. La part d’apprentis mineurs a largement diminué : on constate chez ces derniers une baisse d’entrée de plus de dix points entre ceux intégrant cette voie entre mi-2019 et mi-2020 et ceux la rejoignant un an plus tard. Il semble ainsi que la réforme ait fait la part belle aux établissements du supérieur qui concentrent à eux seuls, entre 2020-2021, plus de la moitié des effectifs des apprentis (51,4%).
A l’heure où 28% des jeunes s’estiment insatisfaits de leur orientation, les travaux à mener en ce sens sont urgents. Permettre à chacun de s’orienter et de construire son parcours sur la base de ses envies ou de ses aspirations, c’est anticiper les décrochages. Si cela semble utopique et risque de le rester, il convient, a minima, d’offrir à chaque jeune les moyens d'apprendre à s’orienter et de comprendre que le panel des possibilités est immense. Pour ce faire, il faut mettre l’orientation au cœur des programmes scolaires, dès l’entrée au collège. En outre, au-delà de la découverte des métiers qui doit se démocratiser et se normaliser, il est essentiel de démultiplier les classes de 3ème “prépa-métiers” et d’en changer leur image. L'alliance entre enseignements généraux, découverte des métiers et du monde professionnel fait ses preuves. Elle permet aux jeunes, y compris ceux au bord du décrochage, de construire un avenir solide et durable.
Egalité des chances pour les (futurs) apprentis, à tous les niveaux de formation
Le “boom” de l’apprentissage dans l’enseignement dit supérieur est, sans aucun doute, très positif. Cela permet notamment d’ouvrir les possibilités d’évolution pour les jeunes qui choisissent cette voie. Cependant, il ne faudrait pas que l’apprentissage dans les niveaux dits supérieurs se ferme peu à peu aux jeunes qui en ont le plus besoin ou qui connaissent des difficultés. Être apprenti requiert des compétences, des qualités et un réseau que certains jeunes ne peuvent identifier ou développer sans aide, sans accompagnement, sans confiance.
Par ailleurs, il ne faudrait pas non plus, qu’à terme, un écart se crée entre les jeunes intégrant les cursus en apprentissage dans les niveaux dits supérieurs, et les apprentis des niveaux infra-bac et baccalauréat. Un fossé en termes de perception : les jeunes choisissant d’entrer en apprentissage à des niveaux infra-bac et bac resteraient aux yeux de notre société “ceux que le système scolaire a rejeté, les inadaptés du système scolaire”, lorsque les jeunes intégrant des formations par apprentissage dans le supérieur constitueraient une nouvelle élite étudiante. Par ailleurs le décalage entre la réalité d’un apprenti du supérieur plus âgé et celle d’un apprenti plus jeune est immense : non accès à la prime d’activité, salaire très bas, absence d’aides spécifiques, non prise en compte des réalités et des besoins individuels, difficultés de logement et de transport… Les inégalités se creusent et celles-ci impactent l’accès à l’apprentissage pour les plus jeunes et engendre par ailleurs des risques de rupture de parcours très importants.
Maintenir une dynamique apprentissage accessible à toutes et tous
Afin que le million d’apprentis soit à l’image de notre pays et de sa population, c'est-à-dire pluriel, un certain nombre de mesures doivent être prises. Il conviendra de manière générale, de corriger les biais de la réforme et du système d’aide à l’embauche des apprentis. Les travaux engagés sur l’orientation, la découverte des métiers et des filières professionnelles doivent être poursuivis, afin d’éviter le désintérêt des jeunes qui se basent parfois sur un manque de connaissance. En parallèle, il est temps d’interroger les raisons profondes des tensions existantes sur certains secteurs et métiers : la promotion de ces derniers ne saurait résoudre le manque de valorisation, la pénibilité ou encore le manque de moyens et de perspectives.
Au-delà de l’orientation, et comme évoqué plus haut, il faudra sécuriser et pérenniser les programmes et dispositifs d’insertion tels que les prépa-apprentissage ou le mentorat, permettant aux jeunes de raccrocher par l’apprentissage. L’égalité des chances doit devenir centrale dans les politiques publiques relatives au développement de l’apprentissage. La mise en place d’aides ciblées et basées sur des critères spécifiques afin de lever les freins périphériques (logement, mobilité) est nécessaire. L ’ouverture de la prime d’activité permettra de limiter les inégalités entre les apprentis. Aussi, les établissements de formation doivent être sécurisés financièrement mais aussi s’engager dans des démarches d'accompagnement plus inclusives. Il appartiendra aux entreprises de maintenir les engagements pris pour l’apprentissage une fois que l’aide exceptionnelle au recrutement sera arrivée à son terme.
En somme, établir une stratégie pérenne pour l’apprentissage ne pourra se faire que via une concertation et un réel engagement des principaux acteurs pour offrir à tous les jeunes, et notamment les plus en difficulté, la possibilité de construire leur parcours en adéquation avec leurs besoins et leurs réalités.
Une contribution de l'Association Nationale des Apprentis de France
(Re)voir la 15ème Edition JRES
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