Pas de réussite des élèves sans coéducation ?

Caroline Hache

Pour renforcer les liens entre les parents et les professionnels de l’éducation en Cités éducatives, l’ANCT a sollicité l’expertise de l’Afev pour coordonner le groupe pilote « relations aux familles ». Ces travaux ont abouti à la création d'un guide de bonnes pratiques. À cette occasion Caroline Hache, maître de conférences au département des sciences de l’éducation à l’Université d’Aix-Marseille a été invitée par l’Afev pour intervenir sur le sujet de la coéducation.

« J’ai eu l’honneur d’être invitée, par les coordinateurs du groupe pilote sur les relations aux familles dans les Cités éducatives, pour présenter mes travaux de recherche sur la relation école-famille et la coéducation, et échanger avec les participants sur les actions concrètes et le lien que l’on peut faire entre la théorie et la pratique.

J’ai en effet été pendant 10 ans professeur des écoles, dans un établissement REP+ des quartiers nord de Marseille, avant de devenir enseignante chercheuse à l’université d’Aix-Marseille. Pendant ces années, la relation école-famille était au cœur de mes missions et de mes préoccupations. Comment créer un réel partenariat avec les parents des élèves qui m’étaient confiés ? Quelles actions concrètes mettre en place quand seulement 3 parents sur les 25 élèves de ma classe venaient à la réunion de prérentrée ? Comment réussir à les intéresser, à les impliquer, pour échanger sur la scolarité de leurs enfants ?

 

Qu'est-ce que la coéducation ?

En premier lieu, qu’entend-on par coéducation ?

Ce terme peut être défini comme « une relation entre éducateurs dits « premiers » que sont les parents, et éducateurs professionnels qui agissent en parallèle et/ou successivement, en tout cas en alternance avec les parents » (Hurtig-Delattre, 2016). Ainsi, une pluralité d’acteurs travaillent autour d’un objectif commun, au contact d’un même acteur principal : le jeune, qui est dans un processus d’apprentissage et d’éducation. Mais ils ne travaillent pas forcément ensemble. Ils peuvent travailler en alternance, conjointement, successivement, en parallèle.

L’objectif de la coéducation est de renforcer le lien entre les différents acteurs dans le but d’améliorer la qualité de vie et d’apprentissage de l’apprenant. L’accent est mis sur l’importance et la qualité des rencontres, compte tenu de la porosité des espaces d’éducation du jeune, lui permettant de développer une continuité et une cohérence entre ces espaces. La spécificité de chacun ne prend son intérêt que si l’on parvient à l’inscrire dans une complémentarité des statuts, des rôles, et des compétences, de tous : l’élève, l’équipe éducative et les parents. Ces « inter-cohésions » sont donc des éléments tout aussi essentiels dans la coéducation que les résultats de la scolarité du jeune, qui prennent trop souvent toute la place dans cette relation.

Créer une relation école-famille...

Découle de cette première réflexion l’expression de « relation école-famille ». Celle-ci fait partie des textes officiels et est, de fait, une prescription institutionnelle pour tous les enseignants. Mais elle évolue au fur et à mesure du parcours scolaire, au croisement d’évolutions organisationnelles, structurelles, mais également du développement du jeune que l’on accueille.

S’agissant de la façon dont les professionnels de l'enseignement peuvent cultiver cette relation de coéducation dans leur relation avec les parents, il faut d’abord rappeler que les parents sont, pour les élèves, leurs premiers interlocuteurs pour parler de scolarité, d’orientation et de projets professionnels.

Selon une enquête réalisée auprès de 12 établissements REP+, 85% des élèves interrogés déclarent discuter régulièrement de leur scolarité avec leurs parents. Quand on les interroge sur le passé scolaire de leurs parents, peu de jeunes apportent une réponse précise. Ils décrivent souvent des parcours compliqués, interrompus assez tôt.

Mais loin de conduire à une position de retrait vis-à-vis de l’école, l’expérience de leurs parents les conduit, à porter plus d’espoir sur l’école et à investir les moyens qui sont les leurs dans le domaine scolaire.
Les parents deviennent une des principales sources de motivation des jeunes, qui s’accrochent à l’école pour « rendre fiers leurs parents ». Pourtant, ces derniers se sentent démunis pour répondre aux questions de leurs enfants, car ils ne connaissent pas les différentes possibilités qui s’offrent à eux, se retrouvent parfois en difficulté pour les aider sur le plan scolaire ou pour leur indiquer les chemins qui mènent à tel ou tel métier.

Le partenariat entre famille et école pourrait investir ce champ de l’orientation scolaire en particulier, mais également tous les espaces où la coéducation pourrait être une plus-value pour l’élève, et ce, dès l’école
maternelle.

Pour expliquer ces enjeux relatifs à la coéducation, quelques pistes ressortent d'une recherche collaborative sur l'absentéisme des élèves et sur l'absence des parents au sein de l'école, que je mène dans deux écoles maternelles REP+ à Marseille.

La première est le danger d’une relation asymétrique entre parents et enseignants, où les seconds pourraient se positionner au-dessus des premiers, avec la légitimité d’être celui qui sait ce qu’il faut faire pour réussir à l’école. Or, la relation de coéducation ne peut se construire que si les positions sont équilibrées. Cela ne veut pas dire que tout le monde a les mêmes compétences et les mêmes connaissances, mais bien qu’il n’y a pas de jugement de valeur (et donc de hiérarchie) de ces compétences qui sont complémentaires.

Dans ce partenariat, chacun arrive avec ce qu’il sait, ce qu’il sait faire et le met au service du collectif. L’enseignant, en effet, est expert dans la maîtrise des savoirs à acquérir à l’école et des techniques pour les enseigner. Il peut ainsi échanger sur ces points avec les parents ou les conseiller, si cela est nécessaire, sur des activités à réaliser à la maison. Mais les parents sont experts de leurs propres enfants, de la connaissance de leur milieu de vie, de leur comportement à la maison, de la relation qu’ils entretiennent avec eux.

La perméabilité de ces deux environnements est indispensable à « l’écologie » de cette éducation partagée. Le partenariat entre l’école et les familles se construit, par des échanges et une « négociation » de ce qui peut se faire, ou pas, dans le contexte réel et personnalisé de tel ou tel élève. Il y a donc nécessité de la part de l’équipe éducative de s’adapter à chaque entité parent(s)-élève, comme il est demandé à cette dernière de s’adapter aux fonctionnements propres de chaque enseignant.

Essayons d’étayer ce discours en prenant l’exemple des réunions des parents dans les deux écoles maternelles que nous suivons. Au début de notre travail avec les enseignantes, seulement 3 parents par classe étaient présents. Après 6 mois de réflexions et d’échanges, ce sont 11 parents en moyenne qui étaient présents. Sans s’en rendre compte, elles ont changé de posture et de regard sur les parents. Elles ont questionné leurs présupposés et analysé la situation en tentant d’être plus objectives. Elles ont fait évoluer leur posture professionnelle. Ce qui n’est pas facile en soi.

 

...en s'adaptant aux familles

Ainsi, quelles seraient les différentes possibilités d’adaptation que l’enseignant pourrait proposer en fonction des familles ?

En premier lieu : reconnaître que dans certaines familles, l’écrit n’est pas le support de communication. L’oralité est privilégiée. Dans ce cas, informer les parents d’une réunion par un mot dans le cahier de correspondance n’est pas la solution optimale. Si, au portail, l’enseignant le rappelle à chaque parent individuellement, en précisant de façon personnalisée qu’il serait ravi de le voir y assister, cela sera plus adapté pour certains, et a priori apprécié par tous.

De plus, la notion d’agenda et de projection dans les jours à venir est également quelque chose de très culturel, et ne fait pas partie du quotidien de certaines familles. Ainsi, une information donnée trop tôt sera oubliée, car non notée. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prévenir assez tôt de la date de la réunion, mais il est bon, la veille voire le jour même, de le rappeler à l’oral à ceux qui souhaiteraient participer.

Enfin, il est certain que chaque professionnel pourrait, par la connaissance qu’il a du public accueilli, enrichir ces propositions de nouvelles. Sans ces adaptations, l'élève serait le seul transmetteur d’information entre les deux instances éducatives. Or, la traversée du prisme-élève ne peut aboutir qu’à une déformation des échanges et donc à des incompréhensions.

 

Ce que j’ai souhaité partager dans cette introduction, c’est de rassurer les enseignants sur la qualité de leur travail, et de leur assurer également l’engagement que les parents mettent dans l’école, même s’il est quelquefois invisible. Rares sont les parents qui ne souhaitent pas que leurs enfants réussissent à l’école... Mais le rapport à l’école des parents peut être mal perçu par les enseignants, car leurs actes peuvent être éloignés de ce qui est attendu.

Finalement, les relations école-famille sont, la plupart du temps, chargées de malentendus, qu’il est important de lever pour éviter une collusion de l’anonymat, et le floutage des responsabilités. Pour ce faire, les enseignants pourraient proposer, pour chaque situation, une variété d'entrées, d’approches pour s’adapter le plus possible à la variété des familles - comme ils le font déjà dans la gestion au quotidien de l’hétérogénéité de leurs élèves. Et reconnaître également chez les parents l’expertise qui est la leur, mais qu’ils n’arrivent pas toujours à partager.

Je souhaite à tous et toutes de trouver des adaptations possibles pour de meilleures relations.

Gageons que l'apaisement et la sérénité, indispensables à la relation parents-enseignants, permettra un partenariat solidement construit pour la meilleure réussite de nos élèves. »

Caroline Hache

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