La 16ème édition de la Journée du Refus de l'Échec Scolaire (JRES) s’est tenue le 27 septembre 2023 à Paris au sein de l’auditorium du journal le Monde, sous le thème « Tous égaux devant la lecture ? » Cet après-midi d’échanges a permis d’explorer les usages de la lecture en milieu populaire au sein des familles, des écoles et des bibliothèques, mais aussi le rôle des associations de terrain dans la transmission du goût de la lecture dans les quartiers populaires. Objectif : alerter sur les inégalités d’accès et de pratiques de lecture, et valoriser les initiatives inspirantes vers le droit à la lecture pour tous les jeunes.
Découvrir le bilan de cette 16ème édition !
Tous égaux devant la lecture ?L'Impact de la lecture dans les quartiers populaires
Cette JRES a été l’occasion de mieux comprendre les usages des jeunes en matière de lecture, à travers la publication de l’enquête nationale menée par trajectoires reflex en 2023 auprès de 639 jeunes issus de quartiers populaires et/ou en prépa apprentissage (NEETS).
Parmi les interventions, Marie Desplechin, grande autrice de littérature jeunesse et marraine de cette Jres 2023, a confessé sa tendresse pour les jeunes qui ont du mal à lire. Son ambition : que son lecteur passe un bon moment et se sente invité dans une histoire qui l’amuse. « Les émotions varient, car on n’est pas toujours sensible aux mêmes émotions selon les âges. » Écrire pour tous est sa préoccupation essentielle. Aussi, pour ceux qui ne savent pas lire en CM1, elle reprend souvent les mêmes mots ou structures de phrases car ce qu’elle souhaite, c’est que ses livres soient le plus partagés possible. Sans détour, Isna Sané, auteur et slameur très apprécié des jeunes, a relevé le manque de diversité dans la littérature jeunesse, estimant qu’en réalité, ce n’est pas le problème de la littérature, mais bien celui de la France : c’est à la société qu’il revient d’aller vers l’individu pour créer de la citoyenneté. Or, la littérature jeunesse est le fait d’auteurs qui ne sont pas issus de la diversité. Si l’on veut changer la donne, il faut que les jeunes des quartiers populaires aient été intéressés par le livre pour se sentir légitimes comme écrivains et pour cela, qu’ils aient pu s’identifier aux personnages. Enfin, Isna Sané a livré une autre clé pour que les jeunes puissent se reconnaître dans les livres jeunesse : incitons les éditeurs à élargir le nombre d’auteurs issus de la diversité !
Vers une Littérature Jeunesse plus inclusive
Lorsque Anaïs Sautier, autrice jeunesse, est intervenue pour la première fois avec l’Afev durant la crise sanitaire de la Covid-19, c’était dans le quartier de Saint- Mauront à Marseille en rep+ - parmi les plus démunis de France et d’Europe. Là, elle a constaté que certains n’avaient jamais vu un livre ou bénéficié de lecture offerte, c’est à dire à voix haute. La question de l’usage de la langue n’est pas neutre : « Les instituteurs étaient formidables, mais on voyait que les élèves n’étaient pas familiers du langage institutionnel. » Ce que les élèves ont tiré de tous ces moments passés avec Anaïs et les jeunes en Service civique de l’Afev ? La découverte d’une bibliothèque rangée et accueillante, la capacité de faire la distinction entre fiction et documentaire et des lectures hebdomadaires rythmées et sympathiques. Ce qui fait désormais la joie d’Anaïs : un élève qui vient lui dire qu’il y a de l’ironie dans les albums. « On les amenés un peu vers le livre. On n’a pas d’autre choix que de faire confiance aux enfants et aux ambassadeurs et ambassadrices du livre... »
L'école et la famille : piliers de la construction de la lecture
Emmanuel Ethis, recteur de l’Académie de Bretagne, a livré son analyse sur les jeunes et la lecture : ce que l’école peut faire de plus, c’est réinventer des rituels de lecture et s’attacher à tous les aspects positifs de l’objet livre. Plaisir de le regarder, constater la concentration qui prend effet au bout d’une dizaine de minutes... L’école peut faire plus en généralisant les dispositifs d’éducation explicite à la lecture et décliner le plaisir de lire : lecture silencieuse, lecture à voix haute, lecture slammée, lecture chantée... Voilà des manières de s’approprier les mots, les textes et le monde qui nous entoure ; il faut aussi apprendre aux jeunes à fréquenter les bibliothèques, les médiathèques, voire les librairies, mais aussi à se socialiser par le livre car au-delà de ce que l’on peut lire, il est important de pouvoir en parler. « Avoir des mots pour parler des livres qu’on aime est déterminant et sur cela aussi nous devons donner confiance à notre jeunesse. »
Rejoignant les propos d’Isna Sané, Sophie Van der Linden, romancière et critique de littérature jeunesse, nous a expliqué combien la représentation de la littérature jeunesse que peut avoir un enfant des quartiers populaires montre qu’il est difficile de s’identifier quand on est un enfant noir et qu’on ne voit pas d’enfants noirs dans les livres : « Nous sommes dans une disproportion écrasante, à laquelle il faut ajouter la difficile transmission de la lecture familiale. La corrélation du livre, de la lecture avec l’enjeu scolaire, la pression scolaire y compris au sein des familles de l’Afev dont on sait qu’il y a cette dimension à la réussite, sont énormes. »
Serge Boimare, ancien directeur pédagogique du Centre médico-psychologique Claude Bernard, a montré comment les enfants qui ont des difficultés avec les apprentissages et qui bien souvent n’aiment pas la lecture, ont un monde interne appauvri et chaotique ; ils ont du mal avec leurs propres images, avec leurs propres représentations, et il leur est compliqué d’alimenter le sens des récits qu’ils peuvent lire. C’est là qu’il importe de les aider avec ces grandes questions humaines : d’où je viens ? Comment le monde a-t-il été construit ? Comment s’organise la famille ? Comment punit-on ceux qui ne respectent pas les règles ? « Toutes ces questions sont extrêmement importantes pour enrichir et organiser le monde interne des enfants. Les contes nous racontent comment mettre des mots sur les grandes inquiétudes, les grandes angoisses archaïques que connaissent les enfants et les adolescents. Cette mise en histoire permet de s’approprier le récit. » Outre la lecture plaisir, il s’agit aussi de se construire personnellement, et cette construction intérieure est essentielle : on voit que les enfants qui arrivent à l’école avec cette difficulté un peu singulière et qui n’ont pas réussi à construire ce monde intérieur vont avoir du mal avec les apprentissages. « L’écriture, la parole, la lecture, tout marche en même temps. »
Cette journée intense a finalement démontré qu’à la marge des dispositifs institutionnels, l’incidence de la transmission familiale sur la lecture et les apprentissages est cruciale, tout autant que les conditions sociales dans lesquelles grandissent les enfants. C’est pourquoi le thème de l’édition 2024 de la Journée du Refus de l’Échec Scolaire aura pour thème « La parentalité à l’épreuve des inégalités”.
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