Thierry Pech : intérêt et limites des conventions citoyennes

Jeudi 8 juin au matin se tenait la troisième séquence pour 2023 de l’initiative Lecture au Faubourg, coorganisée par l’Afev et le cabinet Temps Commun. Après Laetitia Vitaud en février, puis Nedjib Sidi Moussa en avril, elle était cette fois consacrée au Directeur général de Terra Nova Thierry Pech, et à son livre Le Parlement des citoyens – La Convention citoyenne pour le climat (Le Seuil, 2021).

Pour présenter l’ouvrage du jour, le cofondateur de Temps Commun Denis Maillard a parlé « du livre d’un intellectuel qui réfléchit à la démocratie depuis longtemps, mais aussi du livre d’un acteur » - rappelant alors que Thierry Pech avait été « cheville ouvrière de la convention citoyenne pour le climat, première expérience de ce type. » Ainsi, Le Parlement des citoyens présente selon lui à la fois une dimension narrative et une dimension plus analytique, dédiée à la question de la démocratie participative/délibérative à travers l’exemple récent des conventions citoyennes… mais avant cela, notamment, des « tâtonnements » liés à la loi de 2003 sur la démocratie de proximité, aux comités de quartiers, au référendum d’initiative partagée, à la question prioritaire de constitutionnalité, etc. 

Une fonction pré-législative

C’est d’ailleurs par cet aspect plus théorique qu’a débuté Thierry Pech, rappelant les définitions – notamment entre démocratie participative et délibérative – avant d’expliquer en quoi ce type d’outils se développe, dans un contexte de crise de la représentation, en France comme « dans de nombreuses autres démocraties libérales à travers le monde. » A la crise de la représentativité des élus (« surreprésentation des cadres, des hommes, des diplômés ») s’ajoutent en effet, de manière plus profonde, « deux autres crises : une crise de la représentation dans nos institutions (singulièrement en France, où nos institutions laissent peu de place au parlementarisme) et un questionnement sur le principe même de la représentation (basé sur l’idée que quelqu’un est habilité à parler en mon nom de choses qui me concernent et que je prétends connaître aussi bien que lui). »
Dès lors, la « supériorité épistémique de l’élu, au titre d’une distinction forte entre représentés et représentants », qui « fut très longtemps une idée dominante de nos démocraties », semble n’aller plus de soi. Et c’est donc « à ce problème que les dispositifs » évoqués en cette matinée « tentent de répondre. » A la fin du XVIIIème siècle, l’idée qui s’impose est celle selon laquelle « le siège de la souveraineté est le peuple qui est donc, en dernier ressort, le législateur » (article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789) – une « promesse longtemps restée théorique », qui légitime notamment le référendum mais aussi, par exemple, la convention citoyenne, « sur le modèle de la démocratie athénienne. » En effet, selon lui, cette dernière « exerce au fond une fonction pré-législative, en mettant des citoyens ordinaires, tirés au sort mais représentatifs de la diversité de notre société, en situation de définir des normes pré-législatives pour ensuite remettre ces conclusions au législateur qui, lui, prend une décision. »

Complexité de la mise en œuvre

Sur cette base, dès lors, se posent « une foule de questions pratiques », notamment en matière d’ingénierie. C’est là-dessus qu’est alors revenu Thierry Pech, à l’oral comme dans son livre, estimant qu’on aurait « tort de les mépriser, parce qu’au fond il s’agit de questions absolument essentielles. » Il s’est alors arrêté sur quelques-unes de ces difficultés, parmi lesquelles les biais de sélection liés à la constitution d’un panel, d’un « mini-public représentatif » (que faire de ceux que le sujet n’intéresse pas, par exemple ?), ou encore le « socle d’informations » indispensable aux participants et la relation de ces derniers avec les experts (la thématique abordée étant généralement très technique). En effet, a-t-il précisé, « lorsque vous montez une institution comme celle-ci, vous rencontrez des dilemmes, des questions auxquelles il n’y a pas une seule bonne réponse. » Ce qui contraint à « choisir une option et à maîtriser ses risques. » A ce titre, « ceux qui vous racontent que tout fonctionne parfaitement… vous racontent des blagues ! Il y a toujours beaucoup de risques, de chausse-trappes… » Pour autant, s’il ne faut jamais nier « la difficulté de ces exercices », ces derniers ont aussi « des vertus absolument considérables », et donnent des résultats dont la qualité est très majoritairement reconnue.

Dans le cas de la Convention citoyenne pour le Climat, s’est-il souvenu, « vous avez 150 personnes qui arrivent, qui ne connaissent pas le sujet mais sont ravies d’être là, réunies ensemble. » Une fois qu’elles ont assimilé le fameux « socle d’informations », une première question émerge : « Par où et par quoi commencer ? » Des lors, deux options : soit les travaux se font toujours de concert, un sujet après l’autreméthode dite simultanée », qui permet de ne jamais diviser le groupe mais risquent d’aboutir à des « décisions beaucoup moins matures au début qu’à la fin » et de se heurter à « des problèmes de cohérence ») ; soit – et ce fut l’option retenue – on choisit d’avancer selon « une méthode séquentielle », avec des « commissions thématiques permanentes, comme dans les Parlements » (ici, des citoyens répartis aléatoirement dans « cinq groupes de travail thématiques », travaillant tous en parallèle). Mais avec, là encore, un inconvénient majeur : « Vous fabriquez des autorités, des gens vers qui l’on va se tourner » pour requérir leur avis… soit, des formes de hiérarchies, « des biais de confirmation, des irritations, du leadership », susceptibles de générer des effets pervers – notamment « un effet de conformisme. »

Un sujet mobilisateur

Dans les questions qui ont suivi, une grande diversité de thématiques ont été abordées, parmi lesquelles les relations des Conventions citoyennes avec les Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER), l’indemnisation des participants à ces conventions, la crise au sens large du système républicain, l’usage de certains outils démocratiques à des fins subversives, mais aussi par exemple la différence entre une représentation envisagée comme délégation ou comme interaction,  la notion de contre-pouvoir citoyen, la distinction entre concertation et délibérationécole des volontés politiques » plutôt qu’« agrégation des préférences individuelles »), les difficultés actuelles à maintenir une base commune de rationalité entre tous les citoyens ou encore la traduction concrète (ou non), dans les textes législatifs, des éléments issus des conventions citoyennes voire le devenir des participants aux conventions


François Perrin


Pour info : Une semaine après cette visioconférence paraissait sur le site La Grande Conversation un entretien croisé entre Thierry Pech et Claire Thoury (membre de la première promotion de Social Demain et Présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne) sur la fin de vie. 

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