Rencontres de l’Afev à Lille : des tables-rondes par thèmes… et territoires

Le jeudi 24 avril 2025, l’Afev réunissait à Lille, au siège du Conseil Régional Hauts-de-France, de nombreux acteurs engagés autour d’un événement valorisant l’engagement des jeunes comme levier de transformation sociale. À travers cinq tables rondes thématiques et un village de l’engagement, cette rencontre a mis en lumière la manière dont les actions menées par les jeunes – du mentorat à l’innovation sociale en passant par l’insertion professionnelle – participent à faire évoluer les territoires urbains et ruraux de la région. Focus sur les cinq tables-rondes.

Entre la séance d’accueil et la séance de conclusion de cet après-midi, les participants ont pu assister à cinq tables-rondes faisant chacune le point sur une action et un territoire précis. Mais avant cela, une mise en scène ludique (sous forme de quiz interactif) était animée par Cédric Laigle et Laetita Abdul, respectivement Délégué régional et Chargée administrative et financière de l’Afev Hauts-de-France, qui a permis de tester ses connaissances sur les enjeux éducatifs et sociaux de la région. 

Par exemple, près d’un tiers des habitants de la région sont peu ou pas diplômés - un indicateur qui souligne l’importance des actions éducatives portées localement. Par ailleurs, plus de 250 000 étudiants vivent dans la région, un vivier dans lequel l’Afev puise pour mobiliser ses volontaires. En 2024/2025, ce sont ainsi plus de 2 000 jeunes qui se sont engagés avec l’Afev sous différentes formes, du mentorat au service civique en passant par les colocations à projets solidaires. Présente dans 48 villes, l’association touche au total plus de 32 000 habitants, bien au-delà des seuls jeunes mentorés. Enfin, une dernière statistique a mis en lumière les disparités territoriales : 45 % des élèves du second degré scolarisés en Hauts-de-France résident dans le département du Nord, un déséquilibre qui oblige à adapter les modalités d’intervention selon les contextes locaux.

Table-ronde 1 : les Kaps à Roubaix

Animée par Betty Fradin, Déléguée territoriale de l’Afev à Roubaix, cette première table-ronde s’est concentrée sur les colocations à projets solidaires, en mettant en lumière leur implantation récente dans le quartier de l’Union à Roubaix. Deux invités y ont pris la parole : Pierre-François Lazzaro, adjoint au Maire chargé de la rénovation urbaine, et Catherine Papetti, directrice de Clésence Alter Ego, bailleur social partenaire du projet.

Pierre-François Lazzaro a salué l’effet positif immédiat de l’arrivée des kapseurs dans un quartier en pleine transformation : « Nous avons vraiment retrouvé tout de suite un nouveau soleil autour du quartier ». Il a insisté sur la manière dont cette innovation sociale, fondée sur la mixité et l’engagement, a apporté de la diversité, du lien social et une dynamique nouvelle. Selon lui, l’intérêt pour la ville repose autant sur son impact urbain que sur son faible coût d’installation : « Cela nous a coûté très peu cher […] et cela permettait aussi de créer une sorte d’innovation et d’attractivité. » Il a également salué la qualité du partenariat avec l’Afev et Clésence, évoquant un projet « quasiment clé en main » et une collaboration fluide.

Catherine Papetti a quant à elle expliqué que ce programme répondait à une double ambition : proposer un logement abordable et offrir une véritable « expérience de vie » aux jeunes. Elle a souligné l’intérêt croissant des étudiants pour ce type de résidence, notamment après la crise du Covid, et leur implication active dans la vie du quartier : « Ils montent des projets solidaires en lien sur le quartier, en lien sur la ville. » Elle a aussi évoqué la volonté de Clésence de lutter contre les représentations négatives associées au logement social, en favorisant des parcours d’engagement et d’autonomie. 

Enfin, cette première expérimentation à Roubaix s’inscrit dans une dynamique plus large. Deux nouvelles résidences sont en préparation à Saint-Quentin et à Trith-Saint-Léger. Pour Clésence, l’objectif est de modéliser et d’étendre ce type de projet sur l’ensemble des Hauts-de-France, en l’adaptant aux réalités locales des étudiants et des territoires.

Table-ronde 2 : la démocratisation de l’accès aux études supérieurs en Picardie

Cette deuxième table-ronde, animée par David Laruelle, délégué territorial de l’Afev en Picardie, s’est attachée à explorer les freins à l’orientation dans les territoires ruraux et à mettre en lumière des leviers pour accompagner les jeunes dans leur accès à l’enseignement supérieur. Trois intervenants aux profils complémentaires ont apporté leur éclairage : Frédéric Guillot, proviseur du lycée Jean Racine à Montdidier, Florence Hecquet, conseillère principale d’éducation et ancienne mentore, et Véronique Dominguez-Guillaume, ancienne directrice d’UFR à l’Université de Picardie Jules Verne.

Frédéric Guillot a insisté sur les difficultés spécifiques rencontrées par les lycéens ruraux : distance géographique, isolement culturel, absence de modèle familial. Pour beaucoup, l’Université est perçue comme « invisible » ou « floue », et génère un stress important. Il a salué l’impact du dispositif d’immersion proposé par l’Afev, qui permet de lever des inquiétudes très concrètes : « Les élèves de mon lycée sont revenus bien plus confiants. » Selon lui, les élèves ayant participé à ces immersions abordent plus sereinement Parcoursup et construisent des choix d’orientation plus travaillés, plus réfléchis.

Florence Hecquet a apporté un double regard, en tant qu’ancienne mentore devenue aujourd’hui CPE. Elle a témoigné de l’effet-miroir bénéfique de la relation entre mentor et mentoré : « On apprend beaucoup de l’expérience de l’autre pour construire sa propre expérience. » Engagée auprès d’un lycéen de Montataire, elle a mesuré l’impact de cette relation de pair à pair sur les représentations de l’université. Dans son activité professionnelle, elle continue à mobiliser l’Afev, convaincue de la pertinence de l’intervention de jeunes étudiants dans les lycées : « Ce qu’ils recherchent, c’est ce partage d’expérience, cette relation horizontale. »

Enfin, Véronique Dominguez-Guillaume a détaillé les dispositifs portés par l’université pour renforcer l’égalité des chances, notamment les cordées de la réussite. Elle a insisté sur l’importance de se rendre dans les établissements pour « faire tomber les barrières » et de mobiliser des étudiants ambassadeurs, capables de parler le même langage que les lycéens. Elle a aussi plaidé pour associer davantage les familles, proposant « d’ouvrir l’université aux parents pour la réussite des enfants. »

Tous ont convergé vers une même idée : rapprocher l’université des territoires, des jeunes et de leurs familles est une condition essentielle pour démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur.

Table-ronde 3 : la sécurisation des parcours éducatifs à Valenciennes

Animée par Pamela Visconti, déléguée territoriale de l’Afev à Valenciennes, cette troisième table-ronde a exploré les conditions nécessaires à la sécurisation des parcours éducatifs des jeunes, en croisant les regards d’une ancienne mentorée, d’une assistante sociale scolaire et d’une représentante universitaire.

Dahbia Ouhabrache, ancienne lycéenne accompagnée par l’Afev, a ouvert la discussion en évoquant les pressions précoces liées à l’orientation au lycée : « On a aussi beaucoup de pression. […] Tout le monde nous dit ce qu’il faut faire, mais personne ne nous explique comment le faire. » Grâce à son expérience de mentorat, elle a pu construire une relation de confiance, apprendre à s’organiser, à mieux communiquer et à se projeter dans l’avenir : « Cela m’a fait grandir. »

Nathalie Honnis, assistante sociale scolaire à Condé-sur-l’Escaut, a ensuite rappelé la spécificité des lycées professionnels, où les élèves souffrent souvent d’un déficit d’estime de soi : « Nos élèves de bac pro ne se posaient même pas la question d’aller à la fac. » Elle a souligné la précarité sociale du territoire, où 75 % des familles vivent sous le seuil de pauvreté, et défendu la création d’un écosystème local d’engagement qui redonne confiance aux jeunes : « Nous sommes vraiment dans l’échange, dans l’engagement, dans la solidarité. » À ses yeux, ces actions doivent être valorisées, notamment via Parcoursup, et célébrées : « En fin d’année, on fait une belle fête, de reconnaissance, parce qu’il est normal de récompenser l’investissement. »

Du côté de l’enseignement supérieur, Dorothée Callens-Debavelaere, vice-présidente de l’Université Polytechnique des Hauts-de-France, a exposé les dispositifs mis en place pour prévenir le décrochage, comme le tutorat, les contrats de réussite pédagogique ou la réorientation précoce. Elle a également insisté sur l’importance de reconnaître l’engagement étudiant : « Les étudiants s’engagent, car cela transforme une trajectoire. L’engagement, c’est une boussole. » Depuis 2019, l’université organise d’ailleurs une cérémonie de reconnaissance avec l’Afev, incluant la remise d’un diplôme officiel.

À travers ces témoignages, cette table-ronde a mis en lumière l’importance d’un accompagnement individualisé, ancré localement, et valorisé institutionnellement, pour sécuriser les parcours éducatifs des jeunes.

Table-ronde 4 : Apprentis Solidaires à Béthune

Cette quatrième table-ronde, animée par Fatima Aaross, s’est focalisée sur le dispositif des Apprentis Solidaires, destiné à des jeunes ayant connu des ruptures de parcours et cherchant à se remobiliser. Les échanges ont réuni Hakim Elazouzi, adjoint au maire de Béthune et conseiller régional, Frédéric Delattre, Directeur national du programme, et Djamila Ouddai, médiatrice à la régie de quartier de Grande-Synthe.

Hakim Elazouzi a rappelé le contexte social de Béthune, ville moyenne où un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté, et où « l’engagement, quelque part, c’est l’école de la vie. » Il a salué la capacité du programme à reconnecter des jeunes éloignés des institutions : « Le jeune doit trouver sa place, à nous de l’accompagner pour la lui faire prendre. » Pour lui, Apprentis Solidaires est un outil puissant pour retisser du lien social, développer des compétences concrètes et redonner confiance : « Ce dispositif permet de remettre en mouvement, de remettre en dynamique. »

Frédéric Delattre a insisté sur la reconnaissance des compétences acquises par l’engagement. Selon lui, ces expériences sont en adéquation avec les attentes des employeurs : « On veut des jeunes motivés, on saura les former. » Il a décrit un processus de transformation rapide : « Je fais des choses bien, donc je suis quelqu’un de bien, donc je vais réussir. » Le programme affiche ainsi 80 % de sorties positives vers l’emploi ou la formation pour les jeunes ayant suivi l’intégralité du parcours.

Enfin, Djamila Ouddai a illustré ces effets à travers les actions menées à Grande-Synthe : jardin partagé, distributions solidaires, chantiers citoyens… Elle a souligné l’impact de ces projets sur les jeunes : « J’ai vu des jeunes en retrait devenir vraiment plus solides. » Elle a aussi rappelé l’importance d’un ancrage local fort pour que les jeunes s’orientent vers les bons relais à l’issue du parcours.

Tous les intervenants ont convergé vers une conviction commune : ce programme, né dans les Hauts-de-France, devrait école à l’échelle nationale tant il répond à un besoin social urgent, en combinant engagement, accompagnement et insertion.

Table-ronde 5 : le Projet Phénix en Artois

Cette dernière table-ronde, animée par Pierre Graglia, s’est concentrée sur le projet Phénix, un dispositif porté par l’Afev et ses partenaires pour favoriser l’appropriation des territoires par les jeunes du bassin de l’Artois - notamment à Béthune. Maxence Cossalter, de l’agence Anima Conseil, Alberto Da Silva, proviseur adjoint du lycée Malraux, et un deuxième Maxence - un ancien lycéen, engagé dans le projet Phénix, engagé -, ont partagé leurs expériences.

Maxence Cossalter, spécialiste de la participation citoyenne, a raconté son arrivée sur ce territoire peu familier avec les démarches participatives. Il a relevé deux défis : impliquer un public jeune souvent « très peu visible » et créer un climat de confiance. Pour lui, trois éléments ont été décisifs : l’alliance avec les établissements scolaires, les visites de lieux emblématiques du territoire, et surtout la réalisation d’un journal « fait par les jeunes, pour les jeunes », véritable élément de matérialisation de leur parole. Il a salué une aventure « super enrichissante », démontrant que « quand on leur donne les moyens de s’exprimer, les jeunes les saisissent. »

Alberto Da Silva a quant à lui témoigné de l’impact de cette démarche sur les lycéens de son établissement professionnel. Il a observé un changement manifeste (« Les jeunes étaient différents à l’extérieur de l’établissement ») et évoqué la timidité initiale face à d’autres élèves - notamment issus de filières plus valorisées -, ainsi que le travail de reconstruction de la confiance en soi. Le projet, selon lui, améliore le climat scolaire et fait évoluer les pratiques des enseignants. Il s’inscrit dans une logique de parcours : les anciens participants deviennent à leur tour mentors. « C’est une culture d’établissement qui se construit, et ça prend du temps. »

Enfin, Maxence, ancien élève du lycée Malraux, a livré son témoignage. D’abord intimidé, il a rapidement trouvé sa place dans le groupe et découvert son territoire sous un nouveau jour : « Avant, j’étais toujours en train de me dire que la ville n’était pas très intéressante. » Inspiré par le projet, il a même créé sa propre association de rénovation de lieux publics. « J’ai été vraiment très inspiré. »

Phénix apparaît ainsi comme un levier puissant de mobilisation, d’émancipation et de valorisation pour une jeunesse souvent invisibilisée, mais pleine de ressources dès lors qu’on lui donne les moyens de se révéler.

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