William Nuytens : L’engagement des jeunes, « une versatilité prévisible »

 L’engagement des jeunes

Du 28 au 30 juin dernier, se tenait à Amiens l’Université d’été de l’Afev. Retour sur quelques temps forts de cette séquence mêlant célébrations et réflexions, festivités et projections vers l’avenir. Ici, l’intervention du sociologue Williams Nuytens, enseignant-chercheur à l’université d’Artois.

Après la séance d’ouverture, qui avait vu se succéder au micro des représentants de l’Université de Picardie Jules Verne, de la ville d’Amiens, du rectorat de l’académie et de l’Afev, puis le Député au parlement bruxellois et au parlement de la communauté française de Belgique Martin Casier, c’est en effet avec le sociologue Williams Nuytens, directeur du laboratoire SHERPA à l’Université d’Artois, qu’ont échangé l’animateur Claude Costechareyre ainsi que l’ensemble les salariés et intervenants présents. Il avait été invité pour réfléchir sur la thématique de cette plénière, intitulée : Quelle(s) jeunesse(s), quel(s) engagement(s) ?

Quelles jeunesses ?

Enseignant, « dans une université qui se situe dans le bassin minier », avec des étudiants « qui sont à 70% boursiers, et pour la plupart issus des milieux populaires », William Nuytens, a tenu d’entrée à rappeler qu’en tant que chercheur, il travaillait « depuis 25 ans sur l’engagement » - à l’origine sur l’engagement des jeunes dans des pratiques collectives violentes, puis sur la situation des jeunes au sein des QPV.
Pour lui, « sociologiquement, l’engagement ne se définit pas », tandis qu’en ce qui concerne la jeunesse, « plus l’on élargit le spectre de l’âge des jeunes, moins le concept est aisé à définir. » Il s’est donc appuyé sur un panthéon fourni de sociologues pour tenter de caractériser les interactions contemporaines entre jeunesse(s) et engagement(s), avec des résultats – on va le voir - tout à fait éclairants.
Représentant « 18% environ de la population française », la jeunesse se caractérise en premier lieu par l’importance de sa frange la moins favorisée : celle qui vit en-dessous du seuil de pauvreté, quitte le système éducatif sans diplôme et/ou vit en zones rurales. Mais dans les faits, « la jeunesse renvoie à des réalités sociologiques qui sont extrêmement différentes, et à des conditions sociales extrêmement variables. » Par conséquent, « discuter de l’engagement de la jeunesse » nécessite, « de qualifier et caractériser la jeunesse dont on parle quand on parle d’engagement. »

Quels engagements ?

Par ailleurs, selon lui, « l’engagement est une pratique sociale qui repose sur des valeurs, elle est le produit de ressources axiologiques. » Mais ces valeurs « sont intimement liées aux conditions sociales d’existence » : plus ces dernières sont précaires, « plus cette dimension axiologique est entamée... et donc plus leurs engagements sont dysfonctionnels, inexistants, voire instables. » 
Par ailleurs, « les valeurs sont le résultat des socialisations » (par la famille, l’école, etc.), tandis que l’engagement s’appréhende dans notre société sous l’angle d’une action « durable, cohérente », avec une notion de « fidélité » inscrite dans le temps long. Ce qui pose problème dans la mesure où, « depuis une trentaine d’années, on constate que les régimes d’engagement des jeunesses sont changeants, beaucoup plus instables qu’auparavant. » 
Ainsi, puisque l’engagement se conçoit comme « le résultat de trajectoires d’activités cohérentes », comme « la démonstration du fait qu’on est passé par un parcours aboutissant à des prises de décisions grâce auxquelles on est relativement cohérents avec ce que l’on pense », c’est l’existence d’un grand nombre de « paris adjacents » (soit, d’obligations) qui permet à l’individu de « s’installer dans son engagement. » 
Le hic apparaît alors, puisque « plus ces paris adjacents vous sont extérieurs, liés au regard d’autrui, produits par des institutions et une société dans laquelle vous ne croyez plus vraiment, moins votre engagement sera durable. » Ainsi, un engagement qui peut paraître, vu de l’extérieur, comme solide et ferme, peut en réalité s’avérer extrêmement fragile…

Engagement et perception sociale

Pour qu’il soit durable, un engagement doit donc « venir, le plus possible, de l’individu lui-même. » Or, dans la société actuelle, « l’engagement de la jeunesse est parfois non-intentionnel », provoqué par une forme d’injonction sociale … ce qui le rend friable, même quand il paraît – pour un temps – profondément enraciné.
Ce qui explique aussi que, « parfois, des jeunes s’engagent dans quelque chose, et abandonnent aussi vite. » Dans le cas du service civique, les responsables d’associations s’étonnent aujourd’hui de cette apparente versatilité… qui est pourtant, selon Williams Nuytens, « totalement prévisible : ces jeunes étaient peut-être authentiques quand ils se sont engagés, mais cette démarche était adossée à des paris adjacents qui ne sont pas personnels, ceux de gens convaincus. »
Ainsi, ce qui est perçu aujourd’hui comme indépassable dans « le changement de paradigme chez les jeunes, du point de vue de l’engagement » - le passage d’un engagement « long, sacrificiel, sur le mode du don de soi, d’une adhésion définitive et totale » à des engagements « de moins longue durée, plus diversifiés, et surtout réversibles » - est lié à une vision de la société désormais basée « sur le risque, la perte, l’incertitude, sur quelque chose de plus sablonneux, mouvant, liquide qu’auparavant. »

Par conséquent, ce changement d’attitude n’est, selon lui, « que le prolongement de ce que la société est devenue pour eux. » A une vision progressiste de la société, reposant sur une approche providentielle (« où l’on s’occupait plus de la jeunesse, où de nombreuses digues permettaient de résister à la précarité ») a succédé le constat d’une « société libérale, où ces digues se sont effondrées l’une après l’autre. »

Ainsi, pour conclure, il s’est demandé « comment fait-on pour multiplier les oasis ? », et « comment fait-on pour aller chercher des gens qui sont en dehors des radars ? » Ce qui constitue, pour lui, « une question fondamentale », pour contrer les effets pervers, sur la jeunesse, à la fois de « l’individualisation » et de la perception d’une accélération du temps…

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