L’amour de l’humanité dispense parfois d’aimer les hommes, déplorait Albert Camus à propos d’une conception abstraite de l’humanitarisme. Et si c’était un peu la même chose avec la jeunesse ? Beaucoup aiment la jeunesse en général, mais beaucoup moins les jeunes en particulier, ou en tout cas pas tous les jeunes. C’est toute l’ambiguïté qui ressort d'une récente étude de l’Afev : 75% des sondés ont une image positive de la jeunesse en général, mais 57% en ont une négative des « jeunes issus des quartiers populaires ». Dans le même temps, 81% des sondés pensent que les inégalités entre les jeunes se sont creusées et 78% que les politiques publiques devraient avoir à coeur de les réduire. Mais l’inégalité entre les jeunes issus des quartiers populaires et les autres n’est-elle pas justement l’une des principales inégalités qui traversent la jeunesse actuelle ?
Entre empathie et sévérité
Les résultats de cette étude viennent ainsi confirmer une tendance désormais bien installée : le regard porté aujourd’hui par la société sur ses jeunes est mêlé d’empathie et de sévérité. Empathie tout d’abord : les difficultés rencontrées par les jeunes pour s’insérer sur le marché du travail et s’y stabiliser suscitent en effet une compassion largement répandue et tout à fait légitime de la part des aînés. À une ou deux générations de distance, ces difficultés paraissent sans commune mesure avec ce que pouvaient connaître les jeunes des années 1970 ou 1980, et ce alors même que le niveau moyen de formation a sensiblement augmenté entre temps. Sévérité ensuite : tous les jeunes ne se valent pourtant pas aux yeux de la société. Ceux qui viennent des quartiers populaires, en particulier, sont immédiatement soupçonnés de violence, d’insoumission aux règles communes, de paresse, etc. Ils sont considérés, en somme, comme une menace pour l’ordre social. Ce sont pourtant eux qui connaissent les plus grandes difficultés d’insertion sur le marché du travail. Chez eux, les fragilités et les insuffisances de la formation initiale se conjuguent souvent aux effets de diverses discriminations silencieuses liées à leur origine supposée ou, plus simplement encore, aux préjugés qui entourent le quartier où ils ont grandi.Des politiques sociales au risque de la stigmatisation
L’opinion a donc ses contradictions. Cela n’a rien de très nouveau en soi. Le problème est qu’en l’espèce, ces contradictions rendent l’exercice politique particulièrement délicat. Car, à bien y réfléchir, ceux sur lesquels se concentre la sévérité du regard social sont précisément ceux à l’égard desquels l’empathie serait la plus justifiée. Cette situation soulève une autre question : une politique sociale à destination de tous les jeunes serait-elle socialement plus acceptable qu’une politique qui concentre ses efforts sur ceux qui en ont le plus besoin ? A priori, l’équité commande de donner plus à ceux qui ont moins. C’est le principe qui a dominé, par exemple, la mise en place des Zones d’éducation prioritaire. En même temps, ces politiques agissent comme une stigmatisation des plus démunis et les désignent au regard social comme ceux dont il faut s’éloigner autant que possible. A fortiori quand pèsent sur les quartiers populaires les préjugés évoqués plus haut. De fait, il est peut-être temps, dans l’intérêt de toutes les jeunesses, de réévaluer l’intérêt de politiques sociales plus universelles. Thierry Pech, directeur général du think tank Terra Nova, ex directeur de la rédaction de Alternatives économiques Tribune publiée sur l'Observatoire de la jeunesse solidaire (mars 2012)Partager cet article