L’appel à la suppression des notes a rencontré un vif écho dans la presse et l’opinion publique ainsi qu’une forte adhésion citoyenne. Érigée en débat national, cette question a dépassé pour un temps le cadre d’une réflexion entre pédagogues, pour devenir le centre d’une discussion plus fondamentale sur l’école. C’est en soi déjà un succès pour les initiateurs de cet appel.
La nature du débat qui s’est ouvert, la violence de certaines réactions, ont toutefois pu surprendre. En effet, la proposition initiale n’a rien de bien polémique. Dans de très nombreuses écoles françaises, les notes ne sont déjà plus en vigueur, la loi ne faisant plus référence à ce système d’évaluation. Dans les pays les plus performants en matière éducative, les notes ne sont pas appliquées avant 11 ou 12 ans. À l’inverse, de très nombreux praticiens, enseignants, médecins, éducateurs, accompagnateurs bénévoles, ont démontré l’impact négatif que peuvent avoir les notes sur certains élèves dans la construction, la confiance et l’estime de soi. Surtout, le constat est celui d’un système qui renforce les inégalités face à l’éducation, entre ceux qui maîtrisent les codes, les attendus ou les stratégies pour obtenir de « bonnes notes » et ceux qui ne les maîtrisent pas.
Vestige d’une école qui évaluait et classait les élèves très tôt dans un contexte d’école obligatoire jusqu’à 12 ans, cet appel proposait simplement d’accélérer ce qui paraît inéluctable autant que souhaitable : la généralisation de méthodes d’évaluation basées sur les compétences, des méthodes plus qualitatives que quantitatives. Réaffirmer que l’école élémentaire ne doit pas être le moment de la sélection et de la compétition nous semblait une idée largement partagée.
Alors, pourquoi une telle réaction « épidermique » chez certains ? Il ne faut pas caricaturer ces positions qui nous semblent symptomatiques d’une certaine peur et d’un manque de confiance dans notre système éducatif.
Peur, tout d’abord, du déclassement. La suppression des notes serait perçue comme une nouvelle étape dans le délitement de notre système scolaire. Peur qu’elle soit, en fait, l’acceptation ou la validation, de la baisse supposée du « niveau » scolaire. Peur, pour certains, de n’avoir plus d’indicateur qui permette à certains parents de se rassurer quant au niveau de leurs enfants, ce dans un contexte de forte pression sociale, donc scolaire.
Manque de confiance, ensuite. Dans l’institution scolaire, et sa capacité à trouver d’autres méthodes d’évaluation, et à les appliquer efficacement. Manque de confiance, encore, dans les enfants et leur capacité, hors un système coercitif, à faire les efforts nécessaires et indispensables à l’acquisition de nouvelles compétences.
Comment, dès lors, dépasser ces craintes? Essayons alors d’éclaircir et de mettre en perspective les objectifs poursuivis par cette proposition : l’appel à la suppression des notes n’est pas un appel à la suppression de l’évaluation, bien au contraire. Utilisée à bon escient, c’est un indicateur essentiel tant pour les enfants que pour leur famille. En appelant à des méthodes d’évaluation plus fines et plus qualitatives que les notes, nous sommes convaincus que l’évaluation peut jouer un rôle plus important et positif dans la dynamique d’apprentissage.
Ainsi, la question posée est bien celle de l’efficacité de notre système éducatif. Les notes sont-elles les plus efficaces pour l’école élémentaire? À l’évidence non, et encore moins pour les élèves en difficulté, pour lesquels la répétition des mauvaises notes va progressivement saper toute confiance en soi, et créer un rapport très compliqué avec les apprentissages. 20% d’une classe d’âge sort aujourd’hui du système sans diplôme : un nombre important d’entre eux ont sans doute perdu espoir en leurs capacités de progression. Et que dire de la question de l’illettrisme, quand aujourd’hui 9 % des personnes âgées de 18 à 65 ans scolarisées en France sont des personnes qui ont appris, puis progressivement désappris les bases fondamentales de la lecture et de l’écriture ?
La France a beaucoup changé ces dernières années, nous sommes passés de cadres collectifs qui permettaient une certaine protection ou solidarité entre membres d’un même groupe, au profit d’un société plus individualisée, où chaque personne se trouve plus isolée face à ses difficultés. Nous sommes, dans ces parcours de vie, obligés de nous former tout au long de la vie, de changer de métier, de développer de nouvelles aptitudes. Tout ceci appelle à former chacun à la fois à une maîtrise des savoirs de base mais aussi à toutes les compétences qui lui permettront d’évoluer en tant qu’individu, à favoriser le lien social et la solidarité. Il faut urgemment construire un rapport positif de l’ensemble de la société avec le savoir pour faire face à cette nouvelle donne. Formé des individus suffisamment en compétences mais aussi en confiance pour devenir les acteurs de leur propre parcours est l’un des grand défis auquel notre pays est confronté.
Si nous voulons une société où l’ensemble des individus trouve sa place au terme d’un parcours scolaire apaisé, il est évident que le maintien d’un système scolaire où subsiste, dès le plus jeune âge, une logique de compétition freine cette nécessaire évolution.
La suppression de la note ne révolutionnera pas notre système éducatif, mais elle indiquera que nous avons collectivement pris conscience que notre système éducatif doit entrer dans une société dite de la connaissance. Pour ce faire, la question de l’individu, de son parcours et plus fondamentalement la question de l’humain, doit être au cœur de ce système.
Christophe PARIS, directeur général de l’Afev
Crédit photo Flickr CC Olibac
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