La troisième édition des Rencontres Expérience Étudiante et Territoires (REET) a rassemblé le 27 mai dernier acteurs publics, universitaires et associatifs autour d’un enjeu central : faire de la mobilité sociale des jeunes une priorité partagée à tous les niveaux - et notamment dans la perspective des élections municipales de 2026. Retour sur des échanges riches qui ont mis en lumière les leviers concrets de l’engagement étudiant, les défis persistants et les conditions d’une véritable action collective.
En ouverture de ces REET, Sandrine Martin, Directrice "Enseignement supérieur et jeunesse" à l’Afev, a tenu à rappeler le sens de cette troisième édition, marquée par une attention particulière aux enjeux des élections municipales de 2026. Elle a souligné l’importance de penser la mobilité sociale des jeunes à l’échelle locale : « Cela se joue au local aussi, et nous avons besoin de tous les efforts et de toutes les alliances pour pouvoir débloquer ce fameux ascenseur social. » Revenant sur les précédentes éditions et la formule hybride de l’événement (en présentiel et en visio), elle a salué la participation d’acteurs engagés, puis insisté sur la continuité d’une réflexion entamée en interne avec France Stratégie, qu’elle souhaite aujourd’hui ouvrir plus largement à des partenaires afin de « pousser la question pour les municipales » - en s’intéressant particulièrement aux leviers d’action concrets.
L’engagement universitaire face aux inégalités
En tant qu’hôtes de la manifestation, les vice-Présidents de l’Université Sorbonne Nouvelle Ioana Galleron et Mickaël Ribreau ont exprimé leur engagement en faveur de l’égalité des chances, soulignant que leur établissement accueille une forte proportion d’étudiants issus de milieux modestes, souvent confrontés à des contraintes financières et géographiques pesantes. La première a notamment insisté sur l’importance de développer des solutions de logement accessibles, comme le dispositif des Kaps, et d’accompagner également les étudiants étrangers, pour qui « la question de l’ascenseur social se pose » dès l’inscription. Elle a plaidé pour des dispositifs d’aide renforcés, à l’image de bourses solidaires. Mickaël Ribreau a pour sa part rappelé que « l’Université est un lieu d’ascenseur social », et a salué les coopérations en cours avec les collectivités locales, essentielles pour renforcer l’insertion sociale et citoyenne des étudiants.
Etat des lieux de la mobilité sociale
Bénédicte Galtier, experte référente "Inégalités" à France Stratégie, a ensuite livré une présentation des enseignements du rapport sur la mobilité sociale des jeunes publié en septembre 2023. Le tableau est nuancé : si les perspectives de promotion sociale se sont globalement améliorées entre 1983 et 2019 (notamment pour les jeunes femmes), cette dynamique s’est principalement jouée dans les années 1990. Depuis les années 2000, la mobilité sociale stagne, voire régresse. L’analyse révèle une reproduction sociale encore marquée : « 50 % des jeunes qui avaient grandi dans une famille à dominante cadre étaient en 2019 cadres eux-mêmes », tandis que du côté des enfants d’ouvriers, « 34 % étaient eux-mêmes ouvriers et 69 % étaient soit ouvriers, soit employés. » Le phénomène est encore renforcé lorsque l’on observe la trajectoire des jeunes entre leur premier emploi et leur situation trois ans plus tard, notamment en "haut" de la hiérarchie sociale.
Au-delà de ce constat, elle a mis en évidence les déterminants de la mobilité sociale, à commencer par le diplôme, qu’elle qualifie de « déterminant-clé. » Six jeunes sur dix titulaires d’un master ou équivalent sont cadres, contre seulement 6 % des diplômés à Bac+2. L’origine sociale influence non seulement l’accès au diplôme, mais également la position occupée à diplôme égal : un jeune diplômé dont les parents sont cadres aura 1,3 fois plus de chances d’être cadre lui aussi - et ce ratio monte à 1,5 trois ans après l’entrée sur le marché du travail. Bénédicte Galtier a également pointé l’impact du capital culturel, économique, informationnel, ainsi que le rôle des ambitions scolaires, souvent plus faibles chez les jeunes d’origine modeste, même à résultats égaux. En guise d’exemple, elle a cité une expérimentation montrant que ces jeunes sous-estiment leur position dans la hiérarchie scolaire, ce qui limite leur propension à candidater dans les filières sélectives.
Les freins structurels à la mobilité sociale des jeunes
La première table-ronde s’est ouverte sur les propos du député de la Vienne Sacha Houlié, invité à livrer une lecture nationale de la mobilité sociale, en lien avec les enjeux locaux. Rappelant les ambitions initiales du premier quinquennat d’Emmanuel Macron autour de « l’émancipation sociale par le travail », il a souligné les limites d’une approche qui n’a pas suffisamment pris en compte les déterminants matériels de la réussite. « "Quand on veut, on peut" : on sait que c’est faux », a-t-il affirmé, évoquant les barrières liées au logement, aux transports ou aux conditions de vie. Le logement, en particulier, a été désigné comme levier central : levier de mixité sociale autant que facteur d’inégalités quand il confine des jeunes dans des quartiers paupérisés, ou lorsqu’il freine leur poursuite d’études faute de solution d’hébergement accessible hors du domicile familial.
Marie-Pierre Parenton, directrice de l’IUT de Lens, a quant à elle apporté un regard profondément ancré dans la réalité de terrain. Inscrivant son propos dans l’histoire sociale du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, elle a décrit une « stratégie des petits pas » propre à son établissement, où les étudiants sont souvent les premiers de leur famille à accéder à l’enseignement supérieur. Pour elle, la mixité ne passe pas d’abord par le logement, mais par un travail de proximité : ouvrir les portes de l’IUT aux lycéens, démystifier l’enseignement supérieur, partager les sujets de devoirs pour lutter contre l’autocensure : « Beaucoup de nos étudiants n’ont pas de projection sur ce que peut être un campus. » À défaut de leviers statistiques sur la mobilité sociale, l’IUT s’appuie sur la construction progressive d’une trajectoire d’étude réaliste, accessible et concrète pour ces jeunes.
Eunice Mangado-Lunetta, directrice des programmes à l’Afev, a ensuite élargi la perspective en insistant sur l’importance de prendre en compte les aspirations, le sentiment de reconnaissance et la relation de confiance avec les institutions. Elle a évoqué un basculement vers une « société d’héritiers » où les inégalités se figent, y compris symboliquement. S’appuyant sur les travaux de France Stratégie, elle a rappelé que l’accès à un diplôme du supérieur reste l’un des rares facteurs susceptibles d’amplifier l’ascension sociale. Pour y parvenir, elle a mis en avant deux programmes portés par l’Afev : le mentorat, qui favorise un accompagnement individualisé dès le plus jeune âge, et Démo’Campus, qui organise notamment des immersions à l’Université pour élargir les horizons. Dans un contexte d’enchevêtrement des inégalités, elle a affirmé que « la mobilité sociale, ce n’est pas l’excellence pour tous : c’est le droit à une orientation choisie. »
Des coopérations locales encore trop fragmentées
La discussion s’est ensuite orientée vers la difficile articulation entre les politiques publiques et les initiatives locales. Sacha Houlié a pointé le manque de coordination entre les échelons de gouvernance, malgré des ambitions affichées. Il a souligné les effets pervers du transfert de compétences en matière d’orientation scolaire aux régions, peu outillées pour en faire un levier réel, et a illustré la difficulté de créer des synergies entre établissements, entreprises et collectivités. Il a ainsi partagé une initiative prometteuse de découverte professionnelle portée localement dans sa circonscription, mais restée marginale faute d’adhésion des principaux de collèges ou d’accompagnement par les collectivités. Selon lui, « il y a une cohabitation presque hermétique entre les acteurs », malgré l’existence d’innovations locales qu’il faudrait pouvoir généraliser.
Marie-Pierre Parenton a confirmé ce diagnostic, tout en nuançant les effets de certaines réformes. Elle a regretté, à titre personnel, que la compétence "apprentissage" ait été retirée aux régions, jugeant que cela a accentué l’incertitude dans le financement des formations. S’agissant des liens avec les collectivités locales, elle a évoqué une « succession d’initiatives ponctuelles » plus qu’un cadre cohérent. En revanche, elle a insisté sur le rôle positif des étudiants eux-mêmes, en particulier via les actions de mentorat ou de valorisation de leur parcours lors des journées portes ouvertes : « Ils sont les meilleurs promoteurs de leur formation. » Pour elle, la lecture des dossiers d’admission doit rester humaine et contextualisée, permettant d’évaluer non seulement les résultats scolaires, mais aussi les conditions d’origine : « Connaître le lycée d’un candidat, c’est aussi comprendre les obstacles qu’il a déjà franchis. »
Enfin, les dernières interventions et questions du public ont réaffirmé la nécessité de penser la mobilité sociale dans toute sa complexité, en particulier pour les publics les plus fragiles. Bénédicte Galtier a livré des données spécifiques sur les jeunes issus de l’ASE (Aide sociale à l’enfance), les jeunes en situation de handicap ou encore les jeunes originaires des outre-mer : tous cumulent les freins d’accès aux diplômes et aux emplois qualifiés, même à caractéristiques égales. Eunice Mangado-Lunetta a alors rappelé que ces publics sont très peu touchés par les dispositifs de mentorat, faute de moyens mobilisables par les départements. Elle a aussi insisté sur l’importance d’impliquer les familles, trop souvent mises à distance des parcours éducatifs : « Si l’on ne travaille pas avec les parents dès le début, ce qui reste après l’accompagnement ne sera pas pérenne. » La table-ronde s’est ainsi conclue sur un constat partagé : sans une meilleure articulation entre les différents niveaux d’acteurs – État, collectivités, établissements, associations –, les politiques de mobilité sociale risquent de rester fragmentées et peu efficaces.
L’engagement étudiant, levier de transformation des territoires
La deuxième table-ronde a donné la parole à une diversité d’acteurs investis dans la valorisation de l’engagement étudiant. Pour introduire les échanges, Laurent Bordet, directeur du campus Belle-Beille de l’Université d’Angers et co-coordinateur du réseau VECU, a insisté sur le besoin de réinscrire les universités dans leurs territoires, en lien avec les collectivités et les associations : « L’engagement étudiant est une façon de recréer du commun à l’échelle locale. » Il a rappelé que de nombreux dispositifs existent déjà – engagement citoyen, tutorat, missions d’intérêt général… – mais qu’ils restent souvent sous-utilisés faute de reconnaissance institutionnelle ou de coordination entre acteurs. Pour lui, le travail du réseau VECU vise précisément à documenter ces expériences, les mutualiser, et proposer des outils d’essaimage adaptés aux contextes locaux.
Samia Hasnaoui, responsable du service de la vie étudiante à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, a ensuite présenté une démarche exemplaire de co-construction avec les étudiants. Partant du constat d’un déficit de sentiment d’appartenance à l’établissement, son équipe a mené une enquête qualitative, révélant une forte demande d’implication dans la vie universitaire : « On parle d’engagement, mais pour beaucoup d’étudiants, c’est déjà s’investir dans une asso, venir en cours, rester motivé malgré les obstacles. » En réponse, l’université a mis en place un « Conseil des étudiants engagés », chargé de co-construire les orientations stratégiques de la vie de campus. Cette initiative vise à reconnaître l’expertise d’usage des étudiants tout en renforçant les liens entre services administratifs, élus étudiants et associations.
Quentin Guillemain, Directeur du site du CROUS à La Rochelle (pour le CROUS de Poitiers), a élargi la discussion au rôle des opérateurs de la vie étudiante dans la promotion de l’engagement. Il a insisté sur la nécessité « d’aller chercher » les étudiants les plus éloignés des dispositifs classiques. À La Rochelle, le CROUS s’appuie sur le logement social étudiant pour créer du lien : chaque résidence devient un lieu potentiel d’animation, d’engagement et de rencontre. En partenariat avec des acteurs associatifs, des programmes comme les résidences Kaps ont été lancés : « Le CROUS ne peut pas tout faire seul, mais il peut jouer le rôle d’un catalyseur. » Il a également mis en avant le rôle de la restauration universitaire et des espaces collectifs dans la lutte contre l’isolement et la précarité - conditions souvent invisibles mais déterminantes pour la capacité des étudiants à s’engager durablement.
De l’expérimentation locale à une politique d’engagement plus cohérente
François Rio, Délégué général de l’Association des Villes Universitaires de France (AVUF), a ensuite rappelé à quel point l’engagement étudiant pouvait être un vecteur puissant de transformation des territoires. Selon lui, les collectivités locales sont souvent prêtes à accueillir des projets portés par des jeunes, mais peinent à trouver les bons interlocuteurs dans les établissements d’enseignement supérieur : « Il y a une forme de déconnexion qui freine la coproduction de politiques publiques. » Il a plaidé pour une reconnaissance accrue des initiatives étudiantes, à travers des conventions tripartites entre universités, collectivités et associations, qui permettraient de pérenniser les projets et de valoriser les compétences acquises. Il a également évoqué la nécessité d’une politique nationale plus cohérente sur la vie étudiante, articulant accompagnement social, engagement et reconnaissance académique.
Caroline Puisségur, Déléguée territoriale de l’Afev dans les Alpes-Maritimes, a illustré cette coproduction par des exemples concrets. Dans une région marquée par la fragmentation du tissu étudiant, l’association a mis en place un partenariat avec la Métropole Nice Côte d’Azur pour développer des actions d’engagement solidaire, notamment dans les quartiers prioritaires. Elle a insisté sur la plus-value des étudiants engagés comme « capteurs des réalités sociales », à condition de leur offrir des espaces d’expression, de formation et de reconnaissance : « Ce qui les retient parfois, ce n’est pas l’envie, mais le manque de temps, d’information, voire de légitimité. » Elle a également pointé l’intérêt des actions intergénérationnelles ou interculturelles, qui permettent de briser les cloisonnements sociaux et de faire de l’engagement un véritable facteur de cohésion territoriale.
En conclusion, Sandrine Martin a rappelé que l’engagement étudiant n’est pas un supplément d’âme mais bien un enjeu central de la réussite et de la justice sociale. Si les initiatives se multiplient, elles restent encore trop dispersées pour produire des effets durables. Elle a souligné l’importance de créer des ponts entre institutions, de reconnaître formellement l’engagement dans les parcours universitaires et d’impliquer les jeunes dès la conception des politiques publiques : « L’engagement ne se décrète pas, il se construit avec et à partir des étudiants. » À travers cette table-ronde, les intervenants ont ainsi posé les jalons d’une ambition collective : faire de l’engagement une expérience structurante à la fois pour les étudiants et pour les territoires qu’ils habitent.
Quatre axes pour une vraie transformation
En conclusion de ces REET, Christophe Paris, directeur général de l’Afev, a livré une synthèse engagée et ambitieuse des échanges de la journée. Reconnaissant les efforts déjà menés localement, il a rappelé l’importance d’agir simultanément à deux échelles : répondre à l’urgence sur les territoires… tout en influençant les politiques publiques nationales et européennes. « Il faut avoir un motif plus concret : déjà, lutter contre les inégalités de parcours – ce qui constitue déjà une belle étape », a-t-il affirmé, en appelant à reconstruire du général à partir du local.
Il a ensuite décliné quatre axes structurants ressortis des débats : faire de la jeunesse une ressource en valorisant l’engagement étudiant comme levier de mobilité sociale ; adopter une logique d’alliances territoriales cohérentes et pérennes ; penser les parcours et les flux entre territoires pour sécuriser les trajectoires ; et, enfin, dépasser le simple "supplément d’âme" pour intégrer pleinement l’engagement dans les cursus. Sur ces bases, viser 10 % d’étudiants dont l’engagement est reconnu - soit près de 300 000 jeunes -, lui semble un objectif atteignable et mobilisateur. Il a par ailleurs insisté sur la puissance de la combinaison de ces leviers - « C’est peut-être l’alchimie de ces quatre éléments qui pourra faire transformation. » -, et appelé l’État à s’emparer de ces dynamiques pour leur donner une portée véritablement structurelle.
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