Quand la pression scolaire met à l’épreuve la structure familiale

L’impact d’un mauvais bulletin ou d’un redoublement n’est pas que scolaire : le sentiment d’impuissance qu’ils peuvent faire naître chez les parents complique encore l’accompagnement des enfants dans leur parcours. En France, le diplôme a un poids tel qu’il est plus que jamais indispensable tant pour s’insérer dans la vie professionnelle que pour y évoluer. Tous les parents, y compris ceux de milieu populaire, ont intégré l’impérieuse nécessité pour leurs enfants d’obtenir un diplôme, perçu souvent comme l’unique levier potentiel d’ascension sociale : l’école constitue, pour les familles populaires, leur unique recours. Aussi, la réussite scolaire de leurs enfants devient-elle une préoccupation majeure. Symétriquement la perspective de l’échec scolaire ou de la sortie sans diplôme de son enfant est vécue comme une source d’angoisse pour chaque parent. Pourtant, 150 000 jeunes issus majoritairement des milieux sociaux les moins favorisés quittent chaque année le système sans diplôme. Face à cette pression, les parents vont développer, à leur mesure, en fonction des « ressources » dont ils disposent (ressources économiques, éducatives, culturelles ) des stratégies pour tenter de « garantir » le succès scolaire de leur enfant : recherche du meilleur établissement, pression sur les équipes éducatives, recours à des officines de soutien scolaire qui spéculent et prospèrent sur le marché de l’angoisse scolaire, inscription des enfants à des stages de renforcement pendant les vacances…

Une course à « l’armement scolaire » inégalitaire et inefficace

Cette « course généralisée à l’armement scolaire » est non seulement très inégalitaire socialement, mais aussi très inefficace, voire contre-productrice, comme le montrent les études de comparaison internationale de type Pisa, ou les études de l’OCDE concernant la souffrance scolaire des élèves en France. Les familles de milieu populaire à faible capital scolaire, habitant les zones urbaines les moins favorisées, scolarisant leurs enfants dans des établissements de plus en plus socialement homogènes sont les grandes perdantes de cette escalade dans la concurrence scolaire. Si l’implication des parents dans le suivi de la scolarité de leur enfant est importante, elle ne va pas de soi pour certains parents ne maîtrisant pas les codes scolaires ou tout simplement l’écrit. Les moyens dont disposent les familles pour « prendre leur place au sein de la communauté éducative », comme le propose la loi d’orientation sur l’éducation de 1989, sont inégaux car cette implication pose comme double préalable légitimité et disponibilité (psychologique, matérielle...). Il est plus aisé, on le sait, de prendre toute sa place comme « parent d’élève », d’accompagner son enfant dans sa scolarité, de fréquenter la bibliothèque ou de bénéficier de l’offre socioculturelle de sa ville... quand on possède un capital culturel et scolaire élevé, quand on est dans un rapport positif aux apprentissages, quand on est en emploi stable, quand on dispose d’un logement décent, etc. Lorsque leurs enfants manifestent des difficultés à l’école, toutes les familles n’ont pas les moyens, ne se donnent pas l’autorisation d’interpeller l’école, ou de trouver les recours (internes ou externes) pour que ces difficultés soient prises en charge dès le moment où elles apparaissent. Certains parents constatent, ainsi, impuissants, le décrochage progressif de leur enfant. Ils se sentent directement responsables de la situation faute de pouvoir y remédier. Dans ce contexte, la difficulté scolaire devient une mise à l’épreuve de la structure familiale. Les mauvaises notes, les annonces de redoublement ou d’orientation subie…. Peuvent provoquer des tensions voire des ruptures intra-familiales. Côté parents, ce qui est vécu comme une « impuissance scolaire » contribue à les dévaloriser à leurs propres yeux et aux yeux de leurs enfants et peut rendre difficile l’exercice de l’autorité. Côté enfants, ces tensions familiales s’ajoutent à la pression scolaire déjà exercée par l’institution et créent un cercle négatif qui réduit encore davantage les chances de réussite scolaire, voire même risquent d’accentuer, à terme, le décrochage scolaire pour ceux d’entre eux qui sont en réalité les plus fragiles.

Pour une école de la confiance

Nous avons pointé lors de notre Journée du Refus de l’Échec Scolaire à quel point la confiance en soi des enfants était un élément indispensable pour leur réussite scolaire. Celle-ci passe aussi par une relation de confiance entre les familles et les équipes éducatives, ce qui suppose d’apaiser l’angoisse scolaire des parents. C’est en instituant une école de la confiance, une école qui apparaît aux équipes éducatives, aux familles et aux élèves comme leur bien commun que nous rendrons notre système éducatif plus serein et, de ce fait, plus performant et plus juste. Christophe Paris, directeur général de l’Afev

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