Pour une Europe de la citoyenneté : 3 questions à Christophe Paris

Afev plaidoyer sur l'Europe

Dans la perspective des prochaines élections européennes, l’Afev vient de lancer le plaidoyer « Pour une Europe de la citoyenneté », articulé autour de six propositions concrètes destinées à ouvrir la voie aux contributions d’autres acteurs associatifs. Entretien avec Christophe Paris, Directeur général de l’association.

Pourquoi l’Afev a-t-elle décidé de lancer le plaidoyer "Pour une Europe de la citoyenneté" ?

Nous avons désormais pris l’habitude de formuler des plaidoyers, dans le cadre de notre zone de compétences et au moment des diverses élections, afin d’apporter aux débats un éclairage nourri par les réalités de nos actions sur le territoire. En tant qu’acteur mû par une volonté de transformation sociale, en complémentarité des politiques publiques, nous avions par exemple soumis à tous les candidats à l’élection présidentielle de 2012 notre « Pacte national de lutte contre l’échec scolaire ». Concernant les élections européennes du 9 juin prochain, nous avons beaucoup hésité à faire de même, parce que la situation est vraiment compliquée aujourd’hui : menaces de replis nationalistes, enjeux écologique, situation de guerre à nos portes…

Dans ce contexte, une parole nourrie par les actions de l’Afev ne serait-elle pas décalée ? Ce qui nous a finalement décidés, motivés, c’est la conviction qu’il fallait, les uns et les autres, plaider pour une nouvelle phase de la construction européenne intégrant une dimension plus forte de citoyenneté et d’engagement. Ceci afin d’éviter – aussi - que l’esprit européen ne se désagrège. Il y a eu une construction européenne à partir de l’industrie (charbon, acier), puis d’une Europe économique, puis d’une Europe politique. Alors comment, dans les années à venir, renforcer cette fois la dimension citoyenne ?

C’est autour de cette dimension que ce plaidoyer trouve toute sa légitimité ?

Bien sûr : l’Afev, parmi de nombreux autres acteurs, a sans doute des choses à dire sur la citoyenneté, la lutte contre les inégalités à travers l’engagement des jeunes. Notamment au regard de ses actions concrètes sur ce terrain depuis plus de trente ans ! Au sein de l’association, une vocation européenne transparaît nettement. Or à l’heure actuelle, à l’échelle supranationale, beaucoup de dispositifs existent à destination des associations, beaucoup de crédits sont débloqués, mais avec surtout le désir de pousser à favoriser les échanges, à produire de la pensée commune – peut-être moins à "faire" concrètement. Aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y a pas de "ligne"  visant à favoriser le développement d’associations d’envergure européenne.

Il ne s’agit pas pour nous d’opposer le "réfléchir" au "faire", bien sûr, mais de se demander pourquoi une association – par exemple française - dont l’idée serait bonne, dont les dispositifs proposés seraient utiles, devrait limiter son champ d’action à la frontière des Alpes, des Pyrénées, des Vosges ou du Massif ardennais. Quid du statut d’association transfrontalière, par exemple, qui en train d’avancer - mais lentement ? Plus largement, quid du statut d’association européenne ? Nous sommes très fiers de disposer de grands groupes économiques, de leaders européens dans ce domaine. Mais alors même qu’on nous demande à tous (et c’est bien légitime) de nous sentir Européens… une association ne peut être que nationale. Quelque chose ne colle pas.

C’est d’ailleurs l’objet de votre première proposition : « Faciliter l’émergence d’associations européennes. »

Si l’on souhaite construire puis consolider une citoyenneté européenne, il faut que les associations ne soient pas réduites, à chaque fois, à une identité nationale ; qu’on leur donne une sorte de passeport européen. Ce serait quelque chose d’assez fort. Et que des crédits existent pour aider les associations à essaimer dans d’autres pays, voire à interroger la légitimité d’une telle implantation. Il sera toujours plus facile de donner corps au sentiment européen chez des personnes engagées dans des associations… elles-mêmes européennes !

Aujourd’hui, l’Afev dispose de pôles à Barcelone et Bruxelles. Qu'est-ce que cela lui a apporté ?

Depuis quinze ans que nous sommes implantés en Catalogne, nous avons pu l’observer très nettement : cette expérience nous a transformés ! Et ce n’est pas qu’une question de modalités de développement d’actions : en faisant concrètement des choses dans un pays voisin, on en sort logiquement plus transformé que si l’on s’était contenté de discuter avec des citoyens de ce pays. D’ailleurs, l’Afev est la seule association, dans l’histoire de la Catalogne, a avoir reçu deux fois [en 2017 et 2021, ndlr] le Prix du volontariat de la Generalitat de Catalunya – c’est significatif, en termes de reconnaissance locale !

Et de la même manière, aujourd’hui, l’Afev Bruxelles est en train de nous transformer – comme Erasmus transforme un étudiant qui a passé six mois dans un autre pays ! De telles expériences permettent à une association comme la nôtre de s’acculturer à d’autres réalités, et donc de progresser – voire d’expérimenter de nouvelles pratiques, dans un nouvel environnement.

Dans votre plaidoyer, vous soumettez six propositions. Pourquoi ce nombre ?

Nous avons conçu une plateforme de propositions très centrées sur les actions de l’Afev : colocations étudiantes à vocation citoyenne, reconnaissance de l’engagement, mentorat, Service Civique (imaginé à l’échelle européenne), démocratisation de l’enseignement supérieur (via celle d’Erasmus)… Mais ces six propositions n’ont pas vocation à réduire ni à traiter le sujet de manière exhaustive. Plutôt à ouvrir le dialogue, à inciter d’autres acteurs à faire de même à partir de leurs réalités propres. Nous n’avons pas la prétention d’embrasser l’ensemble du sujet, mais à l’inverse, de dire : "Nous proposons des choses concrètes à partir de notre prisme ; faites- en autant !"

L’une des propositions vise par exemple à « généraliser, dans les cursus universitaires, la reconnaissance de l'engagement solidaire des étudiants »…

En 2004, le système LMD a été mis en place, qui a unifié l’enseignement supérieur européen. C’est très intéressant, notamment parce que dès lors, un cadre a été mis en place, au sein duquel il pourrait paraître logique de pouvoir faire valider l’engagement solidaire des étudiants dans tous leurs cursus. Nos propositions s’appuient sur ce qui existe déjà. C’est aussi le cas en ce qui concerne Erasmus (dont nous souhaitons voir la démocratisation se renforcer), ou pour cette idée de développer le Service Civique européen – un collectif dédié, le CSCE , œuvre dans ce sens depuis 2018.

Derrière tout cela, il y a l’idée de mêler trois notions qui se répondent dans une forme de circularité : l’engagement, la citoyenneté, le parcours des jeunes. Prenons l’exemple de la colocation solidaire ou du mentorat - qu’il soit réalisé par des étudiants auprès de jeunes nouvellement arrivés en Europe (comme le propose l’Afev) ou par des seniors auprès de jeunes migrants qui souhaitent s’insérer professionnellement (ce que fait le programme Duo for a Job , né en Belgique puis développé aux Pays-Bas, en France, désormais à Barcelone). Leur utilité sociale est très forte, et contribue au renforcement d’une citoyenneté commune, en misant sur le développement de l’engagement dans les parcours individuels.


Propos recueillis par François Perrin

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