Un nouveau type d’inégalité s’installe avec la société de communication et d’information : l’inégalité langagière, qui creuse un fossé entre ceux qui savent faire comprendre et se faire comprendre, d’un côté, et, de l’autre, ceux qui restent dans l’illusion que le SMS et internet démocratisent magiquement les relations humaines.
Le pouvoir de faire comprendre et de se faire comprendre
Certes, tout savoir devient convertible en information. Mais c’est là précisément la cause de la nouvelle division du travail, née de la mondialisation, qui met le pouvoir symbolique au sommet de toutes les hiérarchies, le pouvoir symbolique devenant le pouvoir du pouvoir. Il ne s’agit pas simplement de « communiquer », mais de créer les représentations de la réalité qui feront autorité, qui rallieront les esprits, qui serviront de supports aux projets, de débats pour les chercheurs, de base pour les compromis, d’horizon consensuel pour l’opinion... Le pouvoir appartient à celui qui fait comprendre, à celui qui rend les savoirs digestibles et transformables par un autre (l’élève, le client, le citoyen, le public...). L’argumentation fait partager l’intelligence d’une idée et l’inspiration mobilisatrice d’un mobile. C’est là un talent qui réclame une culture suffisamment maîtrisée pour devenir un art de se traduire elle-même en plusieurs langages qui en sont l’application (dans le droit, l’économie, la santé, l’entreprise etc.) et le rayonnement (dans les publics qui en sont les destinataires, nationaux ou internationaux).Donner aux jeunes la possibilité d'entrer dans une carrière
L’université a la responsabilité sociale et morale de réduire la fracture entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas autrement que par des mesures compensatoires. L’inculture des disgraciés du système doit être combattue pour des raisons qui ne seront pas simplement sociales (les illusions d’égalité universitaire ne sont plus crédibles et les sociologues eux-mêmes expliquent que la classe moyenne a fini d’absorber la pauvreté au point de vouloir désormais s’en protéger). Le courage de la vérité impose de donner à chacun la chance d’avoir un destin concrètement réalisable (par un savoir d’application autant que par un savoir d’intellectualisation), la capacité de transformer son propre savoir étant désormais la marque de l’appartenance réussie et durable à un monde où les défis sont imprévisibles, ce que chacun sait. L’université peut choisir de renoncer à la rhétorique de l’épanouissement (qui ne sanctionne plus que l’inégalité des origines familiales) et à la bureaucratie de l’égalisation par évaluation (qui augmente l’inertie des processus de fonctionnement au détriment des finalités). Elle prendra alors pour but l’absolue nécessité, économique et morale, de donner aux jeunes gens la possibilité de commencer leur vie par une entrée dans une carrière dont ils ne devront l’opportunité qu’à eux-mêmes, avec le soutien indéfectible d’une université engagée dans la promesse de re-former leur formation tout au long de la vie. Monique Castillo, philosophe, professeure à l'université Paris Est CréteilPartager cet article