La ségrégation à l’école est à coup sûr l’un des grands maux éducatifs de ce début de XXIème siècle. Alors qu'était organisée début juin une grande conférence sur les mixités sociales à l’école, on s’est pris à penser qu’il y avait en France bien des raisons de désespérer tant la séparation paraît prendre le pas sur la mixité.
Comme la présidente du Cnesco, Nathalie Mons, l’a déploré d’entrée, le phénomène est « invisible ». Certes, sur le terrain, les établissements « ghettos » sont connus. Mais il n’existe aucun appareil statistique national pour en mesurer l’ampleur. Or, les effets de la ségrégation sont nocifs : pour les élèves les plus faibles, pour le climat scolaire, pour la cohésion sociale. Qu’à cela ne tienne, le Cnesco a commandé un rapport aux chercheurs Son Thierry Ly et Arnaud Riegert et leur constat est clair : les ségrégations sociales et scolaires sont fortes dans les collèges et lycées de France, reflet de la ségrégation résidentielle et des compositions des classes. Le document regorge de chiffres révélateurs. Citons-en un seul : dans 5% des collèges (soit environ 350), il n’y a pas plus de 3% d’élèves appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+). S’il n’y avait aucune ségrégation, chaque collégien compterait dans sa classe 22% d’élèves CSP+.
Les limites de l'éducation prioritaire et de la carte scolaire
Or, le système éducatif français ne se donne pas les moyens de remédier au problème. Ses outils traditionnels, l’éducation prioritaire et la carte scolaire, ne sont pas adaptés, insiste Georges Felouzis. L’affectation par la carte scolaire peut avoir tendance à importer le séparatisme urbain dans l’école. Quant à l’éducation prioritaire, elle n’a pas pour objectif premier de lutter contre la ségrégation mais d’en limiter les conséquences. La ségrégation peut même se renforcer quand il y a contournement d’un établissement en raison de son « label » ou de sa réputation. Comme le système français est contraignant et que la liberté offerte aux parents est limitée, voire difficile à vivre diront certains intervenants, le contournement est devenu un sport national. Et à mesure est apparu un consentement croissant des acteurs sociaux à la ségrégation, surtout sur le mode « on ne va pas fragiliser nos enfants pour les pauvres ». De la ségrégation volontaire en quelque sorte, comme « La préférence pour l’inégalité » décrite par le sociologue François Dubet. Ce sont les parents CSP+ qui prônent la mixité et mettent en œuvre l’inverse. C’est la FCPE d’un lycée qui vote contre la répartition des élèves de section européenne dans plusieurs classes. Et le phénomène, légitimé, s’incruste dans les têtes. C’est ce professeur de collège qui conseille à sa meilleure élève d’aller dans un « bon » lycée, sous-entendu pas celui du secteur, bien qu’il soit très correct. En bas de l’échelle sociale, des chercheurs soulignent même que pour les immigrés, « l’entre-soi ethnique » de certaines classes peut-être « rassurant ».Des préconisations qui pourraient changer la donne
N’en jetez plus, il n’y aurait donc aucune raison d’espérer ? Au contraire, car justement cette conférence du Cnesco a eu lieu. D’abord, elle a permis de se confronter au monde. La France a touché le fond, nous sommes les plus mal en point ? Non ! Au chapitre « Qui se regarde, se désole. Qui se compare, se console », on se rend compte que tous les pays développés connaissent des problèmes similaires. Et surtout, aucun n’a de solution miracle. C’est que partout, depuis vingt ans, sont à l’œuvre hausse des inégalités et « cosmopolitisation » des grandes aires urbaines, des phénomènes qui alimentent le séparatisme, résume le géographe Michel Lussault. En Suède, pays accueillant en proportion le plus d’enfants immigrés, efforts et moyens sont mis sur l’apprentissage du suédois, mais les résultats sont mitigés. En Angleterre, les politiques volontaristes d’affectation des années 1980 ont peu à peu laissé place à une privatisation croissante du système éducatif. En Belgique francophone, les autorités ont voulu « réguler » la très grande liberté offerte aux parents, mais trois décrets et autant de ministres plus tard les résultats se font attendre. Il faut donc mettre les bouchées doubles et des exemples étrangers le Cnesco a retiré des préconisations pour la France. Outre la création d’un appareil statistique de mesure de la mixité - qui prenne aussi en compte « le pays de naissance des élèves et de leurs parents » -, l’urgence doit aller aux 100 collèges les plus ségrégués. Les priorités : une refonte de la carte scolaire pour créer des secteurs avec plusieurs collèges et en tenant compte des lignes de transport, des élèves étant répartis ensuite de façon plus mixte ; accès favorisés pour les élèves de ces collèges vers des lycées renommés, et évaluation de ces mesures par le Cnesco fin 2016. Ces préconisations s’accompagnent d’une conviction qui s’est fortement dégagée lors des ateliers de la conférence : les politiques de mixité doivent s’adapter aux conditions locales, les acteurs locaux doivent être écoutés et jouer un rôle majeur. Et c’est le cas de deux collectifs revigorants.Deux initiatives à suivre
Au nord-ouest de Montpellier, les mères voilées du quartier du Petit Bard, celles que les autorités n’attendaient pas, se battent pour que des « petits blonds » reviennent dans le collège du quartier, devenu « le collège des Marocains ». Elles ne veulent pas, mais pas du tout, de « l’entre-soi ethnique » évoqué plus haut : « le sentiment d’appartenance à la République ne peut pas se construire dans un ghetto », disent Sabia Habsaoui, Fatiha Ait Alla et les autres. Dans le 18ème arrondissement de Paris, c’est pour faire l'autre bout du chemin que s’est créé le collectif « Apprendre ensemble ». Refusant de se résoudre à ce que les collèges publics de leur quartier soient fuis par les familles aisées (notamment vers le privé), des parents ont décidé d’« aller à l’encontre du discours anxiogène trop souvent répandu : ce n’est pas sacrifier nos enfants que de les scolariser dans les établissements de secteurs ». Et pour cela, ils ont une conviction simple : « si nos enfants vont tous ensemble dans leur collège de quartier, les craintes liées à l’absence de mixité disparaîtront ». A la conférence, ces deux France se sont rencontrées et parlées. Celle, immigrée, qui veut plus de « petits blonds » dans son collège de quartier. Celle, plus aisée, qui refuse de fuir le collège à la prétendue mauvaise réputation. Et après la conférence, des parents des deux associations se sont revus et comptent travailler ensemble. La mixité en marche ? Emmanuel Defouloy, journaliste Retrouvez ici le dossier complet sur la mixité du Réseau CanopéPartager cet article