Lens, Vert et Or : un journal lycéen tourné vers son territoire

Entre décembre 2021 et mars 2022, les élèves de terminale STMG du Lycée Condorcet de Lens ont eu l’occasion de créer un journal de huit pages, entièrement dédié à l’Artois. Intitulé Lens, Vert et Or, celui-ci a été réalisé dans le cadre du Projet Phoenix coordonné par le cabinet "Anima" by Niagara, et co-porté par Euralens/Pôle Métropolitain de l’Artois et l’Afev. Une occasion, rare et précieuse, de découvrir le ressenti des jeunes sur leur environnement immédiat, tout leur en fournissant les clés pour mener une aventure éditoriale originale.
 

Sous-titré « Paroles de lycéens lensois », sur grand format, ce journal ne ressemble en rien à un fanzine polycopié à la va-vite. Après un édito signé Riad et Matis, il se décline en cinq grandes rubriques : « L’écologie est-elle assez mise en avant dans l’Artois ? », s’interrogent Flavia et Younes, qui ont interviewé le Directeur du CPIE Chaîne des Terrils et un agriculteur de La Bassée (59) ; « L’Artois peut-il devenir un leader de la 3ème révolution industrielle ? », enchaînent Damien, Yamina et Najwa, avant que Joachim et Salma ne proposent un entretien avec Jean-Louis Subileau, fondateur de l’agence Une Fabrique dans la ville. Environnement, Economie, Urbanisme… mais aussi Mobilités (Charlotte, Kewane et Dominique, à propos du réseau de bus Tadao) et Culture (« Le tourisme fait-il grise mine ? », par Noheyla et Amina). 


Rien à dire : ces lycéens lensois n’ont pas bâclé le travail ! Mais au fait, comment en est-on arrivé là ? Si ce journal, ce « livrable », a pu voir le jour, c’est dans le cadre d’un projet au nom évocateur : le Projet Phoenix. « J’ai trouvé que ce nom correspondait bien à l’identité du territoire, explique Pierre Graglia, Chargé de développement local à l’Afev de Lens. Un territoire qui va renaître de ses cendres via la jeunesse, prédestinée à en imaginer la suite. » 

Projet Phoenix : la genèse

En 2021, dans le cadre d’un travail de préfiguration, sur l’Artois, pour monter un projet Kaps, l’Afev travaille avec la Cité éducative sur une enquête auprès de 800 jeunes du territoire, sur la question du logement et de l’engagement. C’est sur cette base qu’ont débuté « de vrais échanges avec Euralens », se souvient Sylvain Debonnet, Délégué territorial de l’Afev en Artois. Cette « association d’incubation du territoire, qui s’est implantée avec l’arrivée du Louvre Lens, il y a dix ans » - et qui s’appelle désormais Pôle métropolitain de l’Artois (PMA) – faisait appel depuis quelques années à l’Afev, en tant que partenaire, mais au départ « comme un acteur parmi tant d’autres, sur la participation aux thématiques de jeunesse. »


Or, dans le cadre des dix ans du Louvre Lens, se rappelle cette fois Maxence Cossalter, du cabinet Niagara - spécialisé dans l’intelligence collective -, « Euralens souhaitait solliciter l’écosystème d’acteurs du territoire. Parmi ces derniers, il y avait un groupe qu’ils avaient beaucoup de mal à mobiliser : les jeunes. » C’est donc « spécifiquement pour cela qu’ils se sont appuyés sur l’Afev et son fort capital de mobilisation des jeunes, en se disant qu’il pourrait être intéressant de faire travailler ces derniers sur leur vision des dix dernières années de l’évolution du territoire et sur la façon dont ils pensent qu’il pourrait évoluer demain. » Autrement dit, cette fois par Sylvain : l’Afev se présentait alors comme un partenaire « capable de mobiliser, sensibiliser et surtout d’impliquer la jeunesse sur leurs ambitions de transformation du territoire. »


« On a alors proposé notre participation à cette mobilisation, poursuit-il, au départ à travers la focale Logement. Et le Projet Phoenix a émergé de ça. » Un dispositif en trois temps est alors mis en place, avec la terminale STMG du lycée Condorcet de Lens, incluant les élèves, l’équipe pédagogique, l’Afev, Niagara et Steven Dolbeau, un ancien journaliste de La Tribune - par ailleurs ami et associé de Maxence. Des « nombreuses discussions de méthodo » qui s’enclenchent alors ressort notamment « l’importance des lieux-ressources », fortement incarnés dans l’imaginaire local, « pour que les jeunes se rencontrent, que ce soit inspirant, et qu’ils se sentent valorisés dans leur participation à ce projet. » Ce sera donc « trois lieux hyper symboliques, indique Pierre, historiques… des lieux-totems, quoi. D’ailleurs, si on avait mis ça en place dans un cadre peu marquant, ça aurait beaucoup perdu en sens. Là, ça les a vraiment mis en condition pour bosser ! » 


Par ailleurs, comme le précise à son tour Sylvain : « Ca s’est vraiment mis en place comme ça : sur du faire, de l’action, de l’opportunité. Et ça a muté aussi en fonction des souhaits des différents partenaires, mais surtout de la participation des jeunes. »

Premier temps : faculté Jean-Perrin, décembre 2021  

Le 16 décembre 2021, l’Université d’Artois accueille les participants au sein de la faculté Jean-Perrin, autour d’une question simple, rappelée par Sylvain : « Comment les jeunes visualisent-ils leur territoire, aujourd’hui et demain ? » De leur côté, Maxence et Steven avaient prévu une animation originale, ainsi décrite par le premier : « Nous, en intelligence collective, on part vraiment de la vision des participants, de leur ressenti, en expression libre totale. Et là, nous sommes partis du photo-langage » : une trentaine de photos diverses, liées ou non aux spécificités du territoire, et déclinées en plusieurs thématiques (patrimoine/culture, technologies, tourisme, économie, engagement politique…) - chaque lycéen devant en choisir une, qui illustrait sa vision de l’Artois, puis l’associer à un mot-clé.


Bilan, selon Maxence : « Le terril, les maisons de mineurs sont les images qui sont le plus ressorties. Associées dans la très grande majorité des cas à quelque chose de positif : ils ont tous un aïeul qui a été dans les mines, ce qu’ils vivent comme une véritable fierté. » En revanche, « ce qui n’est pas sorti du tout, c’est la dimension Citoyenneté, Engagement. Beaucoup m’ont dit qu’ils voteraient, mais aucun que la politique l’intéressait » Et paradoxalement, « s’ils se sont montrés fiers de leur territoire, ils sont tous décidés à le quitter pour faire leurs études. »


« Ce n’était pas du tout pré-orienté à la base, confirme Pierre : le faisceau était hyper large, et ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont choisi les thématiques… qui correspondent à une tendance nationale, sinon internationale : développement durable et écologie, troisième révolution industrielle, tourisme, et les mobilités – ça, c’est très au cœur de leur existence. Celles-là revenaient vraiment en boucle. »


Suite à cet exercice, les lycéens ont eu l’occasion de rencontrer « des experts du territoire, parce qu’Euralens a un cercle de qualité, avec des experts dans différents domaines » selon Sylvain. Ceux-ci avaient été mobilisés sur la base de ces cinq thématiques retenues : urbanisme/aménagement, écologie, économie/insertion, mobilité, tourisme/culture. « Il s’agissait alors, d’après Maxence, de les raccrocher à une forme de réalité. Ainsi, ces intervenants ont fait des speed-conférences, face à de petits groupes tournants. C’était un peu la confrontation entre deux visions ! »

Deuxième temps : stade Bollaert, janvier 2022  

« Ensuite, il y a eu une deuxième journée, se souvient le Délégué territorial de l’Artois, le 14 janvier au racing club de Lens, au stade Bollaert. On était en continuité du premier temps et l’idée, c’était cette fois de plus les mobiliser sur le début d’une écriture, autour d’un livrable – qui est donc le journal Lens Vert et Or. » Pour ce faire, « ils ont été accompagnés par Anima tout au long de la journée. Ils ont été répartis en équipes, sur les cinq différents sujets identifiés la première fois. »


Selon l’expert de chez Niagara, c’est à cette étape en effet que le statut d’ancien journaliste de Steven a pesé de tout son poids : « C’était l’excellente idée de Steven, ça, de leur faire produire un journal. Donc il leur a appris la règle des 5W+H, à sourcer, à croises les sources… » Divisés en « sept petits groupes », cette quinzaine de jeunes se sont répartis les rôles : un groupe pour chacune des cinq thématiques, bien sûr, mais aussi un pour la mise en page et la maquette et « un pour le making of – faire une vidéo, interroger leurs camarades, etc. Là-dessus, ensuite, nous n’avons rien touché. Les plans, la musique : tout vient d’eux ! »


Et, pour nourrir les articles, « on leur a donné des ressources physiques (dont des livres, vers lesquels ils ne se sont pas rués…), des liens internet, mais aussi une liste d’acteurs à contacter, qui étaient au courant de la possibilité de ces appels, en fonction des thématiques. » Résultat ? « Tous les jeunes ont joué le jeu – certains ont même eu deux intervenants -, ce qui leur a permis de produire leurs articles. »


Avec enthousiasme et une vraie pertinence d’analyse, se souvient Maxence, amusé par le fait que la plupart de ces lycéens portaient un regard plutôt sévère, au cours de la première séquence, sur les professionnels des médias et de la presse… « Steven est un peu repassé sur certains articles, pour leur donner un style parfois plus journalistique, indique-t-il, mais moi, globalement, j’ai vraiment été bluffé. Les filles, par exemple, ont posé des questions d’une pertinence incroyable, au cours de leurs interviews. » Pour lui, c’est l’évidence : « On est très loin des représentations sur les jeunes, selon lesquelles ils seraient durs à mobiliser, s’en foutraient de tout ! »
 

Troisième temps : Fabrique de Béthune, mars 2022  

Après celui de la consultation, de la mise en route, après celui de la production, vient le temps de la valorisation du travail fourni. Soit, pendant l’après-midi du 11 mars et au cœur-même de l’Assemblée générale du Pôle métropolitain de l’Artois (PAM), « un temps de restitution, selon Sylvain Debonnet, où les jeunes ont pu témoigner de leur participation au projet, de leur vision, parler un peu du journal… C’était un temps hyper-vivant, hyper-participatif, auquel étaient présents des chefs d’entreprise, responsables administratifs, élus locaux… qui ont pu questionner les jeunes. » 


Comme espéré, ce fut « un vrai temps de valorisation, où ils se sont sentis concernés par les décisions politiques à venir pour notre territoire. » De fait, les prises de parole avaient été « préparées en amont, avec Niagara », et ce temps dédié – « avec une heure bloquée dans l’après-midi » - figurait à l’ordre du jour de l’AG. Autant de gages de (prise au) sérieux, qui ont permis à la petite dizaine de lycéens présents sur place de répondre en conscience aux questions des participants (dont Marie Lavandier, Directrice du Louvre Lens), portant sur la méthodologie, la réalisation effective du journal, mais aussi à des interrogations plus éthiques – notamment sur l’écologie ou sur leur vision de l’avenir.


A l’arrivée, à en croire Pierre, « ça a été hyper bien reçu par l’ensemble de l’auditoire ; ça a vraiment intéressé ce monde-là, qui n’était pas forcément très enclin à écouter la jeunesse… et s’est donc trouvé ravi d’être confronté à une parole qui n’était pas que de surface. » 
 

Et maintenant ?  

En plus d’une seconde restitution, au sein-même du lycée Condorcet (« en petit bonus, pour que ce soit valorisé aussi à l’échelle de leur établissement scolaire, peut-être en lien avec les parents, et qu’ils échangent avec leurs pairs »), cette expérience réussie a donné envie aux responsable locaux de l’Afev de « développer le projet, peut-être sous d’autres formats, avec d’autres problématiques, sur d’autres lycées à l’échelle du PMA, par la suite. » De fait, l’intérêt pédagogique du dispositif est évident : « Là, poursuit Pierre, c’est un peu un travail de recherche/action qu’on leur propose : on les familiarise avec les codes du journalisme, on travaille la prise de parole à l’oral, l’expression écrite, on leur permet d’appeler un expert pour lui poser des questions, de mieux problématiser et mettre en forme… Tout ça, ce sont aussi de gros objectifs pédagogiques ! »


En attendant, « le projet a donné naissance à une ébauche de partenariat de plus long terme » avec le lycée Condorcet : Mentorat à distance, Démo’Campus… Ce Projet Phoenix pourrait permettre à d’autres programmes de l’Afev de se déployer dans l’enceinte de l’établissement. Par ailleurs, « ces jeunes pourraient être raccrochés à la dynamique, parce que là, ils sont sensibilisés, conscientisés… et c’est aussi un pari sur l’avenir, sur leur entrée dans l’enseignement supérieur. Parce qu’on pourra les recroiser alors… » Car le but avoué de l’association est aussi, par ce type de démarche interactive et valorisante, de pousser les jeunes impliqués à « démarrer petit à petit un parcours d’engagement. » 


Sur ces points, Sylvain rejoint Pierre : « Nous, justement, on voyait ce dispositif comme une vraie expérimentation, comme un moyen de montrer que les jeunes peuvent conscientiser leur territoire, qu’ils en ont une vision propre - qui n’est pas forcément celle de leurs aînés -, qu’ils ont des envies et une volonté de se projeter dans l’avenir. » Et, oui, « d’un point de vue strictement “stratégie Afev“, nous, l’intérêt, c’est de pouvoir mettre en lien ce genre d’expérimentation avec de la pratique d’engagement. (…) et de poser un premier jalon pour être mieux identifiés sur notre capacité à mobiliser, à sensibiliser, à apporter une plus-value et à être connectés au territoire. » Donc pour la suite, voilà le programme : « 1. Comment on peut développer ce projet à échelle plus large. 2. Comment on y articule, après, de la proposition d’engagement pour les jeunes. » Un vaste programme, initié de la meilleure des façons possible…

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