Injuste socialement, la concentration des politiques publiques d’éducation sur une élite des quartiers ne répond pas au besoin global d’élévation des qualifications pour notre société, estime Christophe Paris, directeur général de l’Afev.
L’égalité des chances, comme la « mixité sociale » en son temps, serait la nouvelle formule magique des politiques publiques, un concept défendu unanimement, à droite comme à gauche. Pour aborder correctement cette question, il est indispensable de prendre la juste mesure des disparités flagrantes qui existent aujourd’hui entre les jeunes en termes d’environnement social, économique et culturel ou encore de conditions d’études, de scolarité et de qualité de vie. Ainsi, la France est l’un des pays de l’OCDE où les écarts sont les plus élevés entre les meilleurs et les moins bons élèves. C’est le pays où 20 % d’une classe d’âge, soit 150 000 jeunes, quitte chaque année le système scolaire sans diplôme, avec les difficultés d’insertion que l’on sait. Ici est ainsi posé tout le problème de la rhétorique de l’égalité des chances. Car aujourd’hui l’écart est tel que prétendre à établir une réelle égalité des chances entre les jeunes nécessiterait la mobilisation de moyens sans commune mesure avec ceux actuellement déployés.Sauver les meilleurs ?
Faute de moyens, les politiques d’égalité des chances se résument souvent à l’émergence d’une élite des quartiers. À défaut de pouvoir « sauver tout le monde », sauvons les meilleurs. Ce souci d’émergence d’une élite des quartiers, qu’on peut juger légitime et utile, reste, hélas, bien en deçà des défis de l’économie de la connaissance auxquels notre pays se trouve confronté, et qui nécessite une augmentation importante et globale du niveau d’étude et de qualification. Insuffisante en termes économiques, cette vision est surtout socialement injuste. Que fait-on de ceux qui ne peuvent aspirer à un parcours d’excellence, de tous ces élèves moyens, sans parler de ceux en difficulté ? Débat parfaitement illustré, il y a quelques jours, par la sortie d’un rapport sur l’impact de la suppression de la carte scolaire, laquelle a permis à certains élèves de rejoindre des établissements mieux côtés, mais a creusé encore plus fortement les écarts entre les établissements scolaires, renforçant ou créant de nouveaux « ghettos scolaires ». La notion même d’égalité de chances doit être réinterrogée car elle conforte la notion de compétition et d’individualisme en matière éducative. L’école, en France spécifiquement, contrairement à beaucoup de pays européens ayant par ailleurs de bien meilleurs résultats que les nôtres, n’est plus suffisamment le lieu de la promotion de tous mais celui de la sélection des meilleurs.Un devoir d’éducation
Dans ce contexte, l’affichage d’une tentative d’égalité des chances sert à rendre «acceptable» cette compétition et renvoie à la responsabilité de chaque élève en difficulté le fait d’en être éliminé. Terrible, cette sélection draconienne est tellement peu en phase avec une société en mutation, qui nécessiterait que tous les jeunes Français puissent disposer à la fin de leurs études d’un bagage constitué de confiance en soi, de compétences transversales et de formation initiale pour être en capacité de se mouvoir dans un monde où l’adaptation, la communication, la mobilité et la réactivité sont devenus indispensables. Aujourd’hui, notre défi n’est-il pas de passer de l’illusion de l’égalité des chances à un devoir d’éducation de notre société envers sa jeunesse ?Christophe Paris est directeur général de l’Afev
Crédit Photo Didier ZMI - FlickrPartager cet article