Le fait urbain, une question démocratique ?

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Peu connu en France où la question urbaine est avant tout une affaire de spécialistes, l’ONU s’est dotée il y a maintenant près de 40 ans d’un programme spécifiquement consacré aux questions d’urbanisme (UN Habitat), considérant que ces questions se trouvent au centre de très nombreuses préoccupations sociales, économiques et environnementales. Ainsi, dans l’indifférence presque générale des médias français s’est tenu début avril dernier, à Medellin, le 7ème forum mondial de l’urbanisme (forum organisé par l’ONU tous les deux ans). Il a réuni près de 20 000 personnes, carrefour d’échanges et de rencontres face au développement exponentiel de la question urbaine dans le monde : interventions en plénière, workshop, tables rondes, débats organisés par délégation... A partir de ce bouillonnement de réflexion, d’expertise et d’expérience se construit le futur de notre réalité quotidienne (habitat, transport, vie sociale,…)

D'un constat de gestion de crise majeure...

Au titre de l’Afev j’ai participé aux éditions qui se sont tenues à Rio au Brésil en mai 2010 et donc à Medellin en Colombie début avril 2014, au sein de la délégation française coordonnée par le ministère des affaires étrangères et le PFVT. Je retiens deux éléments marquants de ces éditions. Il y a quatre ans, à Rio, l’impression d’ensemble était celle de personnes confrontées à une gestion d’urgence, presque une gestion de crise. La population mondiale urbaine avait franchi pour la première fois la barre des 50%, et la perspective était de 70% à l’horizon de 2050. Ce phénomène à la fois massif et rapide, obligeait à se placer dans une gestion de l’urgence à la fois humaine (les questions d’habitats, de santé, d’approvisionnement en eau potable, …) et écologique. Le président Lula, en introduction à cette conférence, avait d’ailleurs eu un propos articulant volonté d’inclusion de ces nouvelles populations et réponses à leurs besoins vitaux.

... à la volonté d'impliquer des habitants

A Medellin, en avril, l’impression générale était tout autre. J’ai été marqué par l’affirmation d’une volonté, par les acteurs locaux, de prendre en main la destinée de leur territoire : l’émergence d’une force politique locale, qui à la fois s’affranchit progressivement de la tutelle des Etats, et fait de la participation des habitants un axe central des dynamiques sociales, économiques, urbanistiques, impulsée sur son territoire. L’évolution des cadres juridiques, la question de la gouvernance, ou encore la valorisation des démarches collaboratives et les actions communautaires ont été des éléments récurrents.

L'émergence de métropoles plus autonomes

Le lieu de la conférence, Medellin, n’était surement pas étranger à ce sentiment. L’intervention du maire de Medellin, figure charismatique d’un territoire en pleine mutation, s’inscrivait dans cette nouvelle ambition affichée et assumée par les leaders locaux : Medellin et son pari de connecter plus fortement ses favelas construites à flanc de montagne en développant à la fois le tramway et le Metro câble, la construction dans chacun de ces quartiers de parcs-bibliothèque symboles d’une volonté d’inclusion spatiale, sociale, politique, économique et culturelle. D’ailleurs, l’Agence Française de Développement, partenaire financier majeur du programme d’infrastructure de transport en commun de Medellin, en faisant le pari d’un financement direct des collectivités locales, sans garantie d’état, s’inscrit et accompagne ce mouvement d’émergence de métropole plus autonome. J’imagine que pour d’autres participants, ce sentiment étant moins fort que pour moi Français, qui venait de voter, une semaine avant et pour la première fois au suffrage direct, mes représentants à la communauté d’agglomération.

Jeunes et universités en vedette

Le deuxième élément marquant est davantage d’ordre formel. Sur les 11 tables rondes organisées, une était uniquement consacrée à la place des universités, et une autre spécifiquement à la place des jeunes, places importantes donc, d’autant plus que l’approche de ces sujets n’était pas de l’ordre de la spécificité des questions mais de leur intégration et de leur rôle dans les processus en cours. Là encore, la question de la gouvernance était très fortement présente. Ainsi il a été beaucoup question de  la capacité des universités à accompagner et à  former les communautés, à influer sur les mutations de leur territoire, l’approche ici étant moins pédagogique que politique, plus transversale que sectoriel. Il en ressortait l’envie d’imposer les universités comme acteurs importants de la nouvelle question urbaine. La table ronde « jeune » procédait de la même volonté, insistant sur cette génération post révolution industrielle ou les questions sectorielles sont prédominantes, cette génération de la coopération, inscrite naturellement dans des modes de fonctionnement urbain identifiés comme entité à part entière et fonctionnant de façon plus organique et systémique. Sur ces deux tables rondes peu de Français présents, et une approche assez éloignée de nos politiques publiques, plus verticales et cloisonnées, plus descendantes et moins participatives.

Un modèle inspirant pour réinventer la participation et la coopération

A l’émergence du fait urbain et des difficultés qu’elles génèrent, répond dans ces métropoles, une nouvelle réalité démocratique, un nouvel espace de construction collective, une envie renouvelée de faire société ensemble, un chemin d’amélioration sociale et économique. De notre capacité à s’en inspirer, à le traduire dans le modèle français, à inventer des transversalités nouvelles entre les acteurs, à imaginer des schémas de fonctionnement autour d’une responsabilité sociale territoriale partagée, à réinventer les modes de participation et de coopération, se jouera le renouvellement de notre démocratie et notre aspiration à une société plus juste et plus solidaire. Cette aspiration, si elle est largement partagée, se confronte à la difficulté d’en trouver la traduction opérationnelle. L’enjeu métropolitain se situe à l’évidence à ce niveau. Christophe Paris, directeur général de l'Afev

Crédit photo CC Flickr Omar Uran Article publié dans le numéro d'octobre 2014 d'Université & Territoires

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