Alors que je pensais, en toute naïveté, que l’une des leçons qui pourrait être tirée des événements de début janvier serait de combattre, ensemble, et sereinement l’intégrisme sous toutes ses formes, les plus violentes et les plus visibles mais aussi les plus insidieuses parce que les moins médiatiquement « rentables », ma déception est grande. Mon inquiétude l’est aussi.
J’ai le sentiment, aujourd’hui, qu’il est de plus en plus difficile et risqué de penser librement. Il est de plus en plus complexe de poser les données, les multiples données du problème de l’intégrisme. J’ai le sentiment qu’il devient impossible de porter sinon un jugement au moins un regard sur les religions - et elles sont nombreuses - et sur cette maladie qui les atteint toutes : la dérive intégriste. Il est donc devenu impossible de le faire simplement et sereinement sans courir le risque d’être jugé comme un adepte ou une victime de l’amalgame.
Il est d’ailleurs, au passage, confondant de constater à quel point un mot, un simple mot passé à travers les moulinettes des nouveaux modes d’expression, notamment les réseaux sociaux subit des transformations pour finalement perdre et le sens et l’essence qu’il porte avec lui et en lui. Le mot amalgame n’est malheureusement pas le seul à souffrir de cette maladie.
Militant laïque je suis, militant laïque j’étais, militant laïque je resterai. Je me suis toujours « battu », pour que la religion, ce qui en relève, en découle ou l’accompagne reste autant que possible contenu dans l’espace privé.
J’ai toujours combattu pour que les enfants, surtout les plus jeunes, ne soient pas livrés aux prédicateurs et autres déconstructeurs de ce que l’école et l’ensemble des acteurs de l’éducation essaient patiemment de mettre en place pour chacun.
Et aujourd’hui, comme hier, je veux pouvoir dire, sans violence et nulle autre intention que de proposer librement une pensée, que je considère comme néfaste pour ne pas dire dangereuse l’influence de toutes les religions lorsqu’elles décident, dans leurs dérives intégristes de formater les plus jeunes et de proposer à ceux qui s’en réclament de récuser toutes les règles du vivre ensemble.
Je veux pouvoir le dire pour les catholiques, et je l’ai fait sans concessions depuis plus de trente ans, je veux pouvoir le dire pour les juifs, pour les musulmans, pour les bouddhistes, pour les protestants. J’en oublie certainement.
Je veux pouvoir le dire avec le même niveau d’indignation qu’il s’agisse d’école coranique, de catéchisme ou de tout autre espace de manipulation de la pensée. Je veux pouvoir le dire sans courir le risque d’être catalogué dans un camp, ou dans un autre. Je veux pouvoir le dire sans risquer d’être jugé et condamné par tous qui se sont définitivement enfermés dans une posture. Et puisqu’il faut, comme c’est à la mode, dénoncer les amalgames possibles, je refuse que mes propos, mes réflexions de penseur libre soient « amalgamés » avec les propos, quels qu’ils soient, de ceux qui prennent en otage la pensée, l’analyse des événements et des faits pour les digérer avec tous leurs sucs idéologiques.
Le seul camp auquel j’appartiens est le camp de l’humanisme. Il est celui d’une laïcité qui permet le vivre ensemble.
Alors oui, je dénonce et je veux pouvoir continuer de dénoncer, aujourd’hui comme hier, les dérives de toutes les religions.
Or l’enfermement de chacun, ou plutôt de beaucoup, ou soyons optimistes de certains, dans ce que nous pourrions appeler une « chapelle » idéologique, si tant est qu’on puisse considérer comme des idées, de simples postures nous conduit aujourd’hui tout droit à des affrontements permanents, souvent par le biais des réseaux sociaux ou dans des joutes médiatiquement organisées sur de pseudos chaines d’informations.
Ces affrontements, ces déclarations, ces anathèmes déversés par les uns et les autres sur les uns et les autres, affaiblissent chaque jour un peu plus notre démocratie. Aujourd’hui alors que tout devrait être mis en œuvre pour travailler, ensemble, à l’inclusion, à l’intégration, à la compréhension de l’autre, tout est, au contraire, tourné vers l’exclusion, la condamnation, et surtout la sélection.
Et c’est bien ce dernier point qui m’inquiète le plus. Aujourd’hui l’indignation est sélective et pire, elle est parfois traversée par des considérations comptables : on compte les morts, on les compare, on les oppose, et on attribue des degrés à l’indignation, au sentiment d’injustice.
Aujourd’hui l’indignation est sélective sur la question de la laïcité.
Le vivre ensemble n’est possible et ne sera encore possible que grâce à cette idée que je me fais de la laïcité : celle qui respecte l’autre dans ses croyances et ne l’oublions jamais ses non croyances, celle qui respecte l’identité de chacun d’où qu’elle vienne et quelle qu’elle soit, mais celle aussi qui ne peut exercer son pouvoir d’intégration qu’à la seul et unique condition qu’elle soit acceptée, dans ses règles, et notamment la plus fondamentale d’entre elle : la neutralité de l’espace public, de tous les espaces publics, seul garantie pour donner la possibilité et l’envie à chacun d’aller à la rencontre de l’autre parce qu’il aura en face de lui dans la neutralité de cet espace non pas un porte étendard mais une femme, un homme, bref un être humain avec qui on a envie de partager, de partager ses différences y compris celle qui relèvent de la croyance.
On m’opposera que mon propos est en contradiction avec le nécessaire exercice de la liberté et que l’espace public doit pouvoir garantir l’exercice de cette liberté.
Certes, mais la liberté est un combat permanent. Il a fallu se battre pour la conquérir, il faudra encore plus se battre pour la protéger, pour la préserver. La protéger de la barbarie, du fanatisme, qui ne frappe pas aveuglément mais avec justement la plus grande des précisions. Mais il faut aussi la protéger de toutes celles et tous ceux qui enfermés dans leurs camisoles idéologiques partisanes claniques affirment avec une arrogance indécente qu’ils sont évidemment les seuls gardiens de cette liberté dont nous sommes tous légitimement les constructeurs et les défenseurs.
Et je revendique ce droit à considérer que la liberté pour être protégée a besoin de la neutralité de l’espace public.
Et pour finir quand je lis, quand j’entends certains affirmer qu’ils sont les seuls légitimes à combattre pour cette liberté j’ai honte et j’ai peur. J’ai honte parce que les plus virulents de ces aboyeurs se posent avec mépris condescendance et indécence comme les seuls porte-drapeaux d’un combat qui nous concernent tous au-delà de toutes les chapelles religieuses de toutes les écuries politiques. J’ai peur aussi car je me dis qu’alors qu’il faudrait tirer avec lucidité toutes les leçons de ce qui vient de se produire, certains déjà reprennent leurs vieilles habitudes de quincailliers de la politique. L’attitude qui consiste à rechercher à priori dans l’autre ce qui pourrait en faire un ennemi est triste suicidaire et indécent dans le moment
Eric Nedelec, citoyen engagé et inquiet
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