JAP 2024 : Démo’Campus et l’orientation

Les 20 et 21 mars dernier se tenaient à Paris les Journées annuelles du projet (JAP) de l’Afev, en présence de nombreux salariés venus de tous les pôles nationaux (et internationaux) de l’association. Zoom sur le dernier temps de la première journée, avec une table-ronde sur les inégalités de parcours scolaire et la mise en lumière de l’un des programmes de l’Afev : Démo’Campus.

Co-présentée par Eunice Mangado-Lunetta, Directrice des programmes de l’Afev, et Sandrine Martin, Directrice de l’Enseignement supérieur et de la Jeunesse, puis Judith Motillon-Alonso, Chargée de mission Démo’Campus, cette conclusion de la première des deux Journées annuelles du Projet (JAP), consacrée à la place de ce dernier programme dans le projet global de l’Afev, s’articulait en deux temps : d’abord, une table-ronde intitulée « Agir sur les inégalités de parcours d’orientation », puis un focus sur les différentes réalités territoriales de la mise en œuvre locale de Démo’Campus.

Pour le premier temps étaient présentes sur place Johanna Barasz, Cheffe de projet "Action publique, société, participation" chez France Stratégie, Frédérique Alexandre-Bailly, Directrice générale de l’ONISEP et, en visio, Christophe Grosjean, Directeur de l’orientation pour la Région Nouvelle-Aquitaine. Ils étaient venus apporter « trois regards croisés sur cette question de l’orientation – un sujet cher à l’Afev depuis de nombreuses années déjà », selon les animatrices. Ces dernières ont d’ailleurs rappelé que l’édition 2018 de la Journée du refus de l’échec scolaire avait été consacrée à l’orientation. Plus récemment, l’association s’est mobilisée, avec l’institut VivaVoice , dans un collectif autour des inégalités en matière d’orientation scolaire -  dont l’étude est sortie en janvier dernier .

France Stratégie : une enquête

La parole a alors été donnée à Johanna Barasz, qui a présenté France Stratégie (« Une administration qui fait partie des services du Premier Ministre, mais est autonome ») et détaillé les résultats d’une enquête « qui a fait pas mal de bruit dans le Landerneau éducatif » lors de la dernière rentrée, réalisée en auto-saisine et qui porte sur le poids des héritages dans le parcours scolaire. Cette étude s’inscrit dans « une série de notes et de rapports réalisés dans les dernières années, consacrées à ce que nous avons appelé les "inégalités de destin".

Au-delà des déterminants territoriaux – qui cette fois n’ont pas été étudiés -, trois variables étaient examinées de près, avec évaluation de leur poids respectif sur les mécanismes de construction des inégalités (et en particulier l’obtention ou non de diplômes, critère principal des futures inégalités de revenus) : l’ascendance migratoire, la question du genre et l’origine sociale. Revue de la très massive littérature dédiée à ces sujets, mais surtout analyse attentive d’une cohorte d’élèves « entrés en sixième en 2007 » (panel de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l’Education nationale).

Conclusion : « Le poids ultra-dominant et ultra-déterminant de l’origine sociale sur les deux autres variables » apparaît très nettement. En effet, « la question de l’origine sociale domine à la fois sur les performances des élèves et sur leur trajectoire, de manière encore une fois particulièrement prépondérante ; c’est vrai si on regarde les revenus des parents, les catégories socio-professionnelles des parents, et en particulier si on regarde le capital culturel des parents – et en particulier le niveau de diplôme de la mère, qui reste l’un des déterminantes majeurs. » Cela influe aussi bien sur les « tests standardisés » que sur les « résultats aux examens » et sur la « progression des élèves. » Un exemple ? En comparant le tiers des élèves les moins favorisés et le tiers des plus favorisés, on constate que « sept ans après leur entrée en sixième, 27,5% des premiers sont entrés dans l’enseignement supérieur, contre 64,2% des seconds. Et si l’on observe les marges, c’est encore pire. »

Concernant le genre ou l’ascendance migratoire, si bien entendu des écarts existent bel et bien (tout particulièrement au niveau de l’orientation en ce qui concerne le genre, « les filles réussissant mieux jusqu’à ce qu’elles fassent des choix d’orientation moins valorisables sur le marché du travail »), ils s’avèrent largement moins marqués. Ce qui a par exemple motivé les chercheurs à intituler un chapitre : « Les immigrés, des pauvres comme les autres. » Détaillant encore un peu l’ensemble de ces résultats (notamment en parlant de cumul des difficultés, d’effets de correction plus ou moins effectifs selon l’origine sociale, des diverses « étapes » dans la scolarité depuis la crèche), Johanna Barasz a finalement conclu en disant que si « bien sûr il faut mettre le paquet dans l’accompagnement sur le primaire et les premières années », il n’en reste pas moins « qu’à chaque étape de la scolarité, y compris au collège, au lycée, chaque acteur de cette scolarité a sa propre responsabilité à jouer sur le "déjouage"; de ces inégalités. »

ONISEP : accompagner jeunes et familles

Réagissant aux résultat présentés par Johanna Barasz, Frédérique Alexandre-Bailly a souligné l’importance des actions de l’Afev « dans les familles, mais aussi des Volontaires en résidence » pour tenter de contrer « les mille raisons combinées qui font qu’on emmène moins loin un enfant qui n’a pas la chance d’être né dans une famille qui comprend les enjeux liés à la scolarité, est capable de l’accompagner – soit par elle-même, soit en déléguant à d’autres gens -, de demander de l’aide, de la payer éventuellement, d’aller parler avec les acteurs du système éducatif. » D’où l’importance, aussi, « d’assurer un accompagnement très personnalisé pou pouvoir dire aux gens, aux familles, quels sont leurs droits, à quel moment ils peuvent les faire valoir, et leur souligner tous les moments qu’il ne faut pas louper. Parce que nous avons un système qui est extrêmement complexe. »

Pour y remédier, par exemple, le site de l’ONISEP propose une présentation du système scolaire en huit langues (dont l’ukrainien, ajouté récemment). Mais encore faut-il que les parents en soient informés ! De la même façon, même pour les parents parlant français, encore faut-il qu’ils sachent qu’existent « des lieux de médiation, d’accompagnement, de compréhension. » En outre, « plus généralement, chez les parents et vis-à-vis de l’école, il peut y avoir une question de méconnaissance, une question de honte, voire une question de détestation et de refus de s’y rendre pour ne pas se retrouver dans un environnement où ils ont été eux-mêmes en situation d'échec. » Il peut y avoir également, par ailleurs, « une question d’impensé, de nécessité d’expliciter ce que c’est qu’accompagner un enfant à la réussite » - un sujet par exemple interrogé par la sociologue Sandrine Garcia.

Aider son enfant, par conséquent, ne consiste « pas uniquement à bien connaître le système et à faire les bons choix sur Parcoursup ! » Il existe de nombreuses façons d’aider les élèves à travailler, parfois même sans avoir l’impression de le faire (via la dimension ludique par exemple), de les sensibiliser à l’écrit, au livre… Or « on sait encore très peu de choses sur l’intimité des familles, sur ce qui explique que certaines arrivent à trouver le chemin et d’autres pas. » Ce qui souligne encore l’intérêt « d’aller dans ces familles, d’être une personne référente, de confiance, qui ne représente pas un système que l’on comprend mal et dont on a peur. » Dans les faits, « existent des rapports culturels, familiaux, historiques à l’école, qui expliquent aussi une grande partie des choses »… mais sur lesquels, sans une forme d’immersion au cœur de la structure familiale, il semble particulièrement compliqué d’agir.

De son côté, l’ONISEP travaille en particulier sur « les compétences à s’orienter », notamment en utilisant « le vocabulaire des jeunes » pour les leur expliciter et « leur faire construire quelque chose qui corresponde à ce qu’ils comprennent » - soit, en « partageant un langage commun entre les adultes et les jeunes. » Ce qui les aide tous, mais en particulier « ceux qui sont très loin des projections vers l’avenir, parce qu’ils sont déjà dans le fait de simplement survivre tous les jours au système scolaire et aux humiliations, aux mauvaises notes et à la croyance qu’ils ne pourront jamais rien faire. » L’outil Mon projet Sup est d’ailleurs testé en ce moment, avec l’équipe de Parcoursup, « qui permet d’élargir les vœux des jeunes et d’élever leur niveau d’ambition » - y compris celui des filles… De la même façon, un effort est fait pour « travailler les compétences du XXIème siècle, que l’on va chercher aussi bien à l’école qu’à l’extérieur de l’école » (notamment en matière de « créativité artistique, de sport et d’engagement »).

Le rôle des régions sur l’orientation

Christophe Grosjean, représentant de la région Nouvelle-Aquitaine (qui s’était entretenu en amont avec ses collègues de l’association Régions de France), a introduit sa prise de parole en indiquant que « la réalité décrite par l’étude est celle que les régions vivent au quotidien – comme les collègues de l’Education nationale et les partenaires associatifs -, dans des expériences très concrètes » et avec, dans son cas, des différences de plus en plus importantes « entre la ruralité et le littoral. » A ce titre, les questions de mobilité (ou d’absence de mobilité) jouent également un rôle non négligeable dans le renforcement des inégalités de parcours.

Il a ensuite oscillé entre « des points de vue globaux des régions » et « des illustrations via [son] expérience en Nouvelle-Aquitaine », pour expliquer « la part que les régions peuvent ou souhaitent prendre face à cette égalité, celle d’inégalités renforcées. » Dans un premier temps, la « part du colibri » consiste à « s’inscrire dans l’effort commun en matière d’égalité des chances, de lutte contre les inégalités, [à] assumer le fait d’être un acteur qui structure localement le service public, avec tous les partenaires, et prend des initiatives sur l’articulation, l’organisation… » Qui plus est, « depuis 2018 », la partie "information sur les métiers" a pris une part importante dans les prérogatives régionales.

Dès lors, elles doivent « prendre en compte plusieurs enjeux » : enjeux d’égalité, de « généralisation de l’information métier », de territorialisation. Elles travaillent donc aussi bien « dans les interstices entre la famille et les institutions » qu’avec « les services de l’Etat, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école », pour « poursuivre des évolutions importantes. » Sur la plateforme Avenir(s), bien sûr – qui ouvrira en septembre 2024 à destination des élèves, des parents et des équipes éducatives -, mais aussi sur les guides des métiers par exemple (aussi bien en numérique qu’au format papier, pour « ne pas exclure un certain nombre de publics par rapport au mode de diffusion de la documentation. »)

Concernant les interventions « dans le cadre de la vie de l’école », il s’agit de « mettre au point des propositions aux enseignants, aux principaux, pour pouvoir organiser des séquences où l’extérieur vient dans l’école pour travailler autour des métiers, de l’expérience… » et de « nourrir, le plus tôt possible, la jeunesse, contrer les déterminismes. » A ce titre, il l’a constaté : « Nous intervenons naturellement autour des lycées mais, progressivement, en quatrième/troisième, et jusqu’à la cinquième. » Il y a donc, désormais, « une structuration d’interventions non plus uniquement sur les compétences à s’orienter, mais sur des propositions d’ouverture du champ des possibles » - avec « des partenariats très nombreux, et de plus en plus affirmés. »

Parallèlement à cela, « les régions travaillent de manière assez forte avec de nombreux services de l’Etat, et leurs partenaires associatifs, sur la question des territoires, des divers besoins des différents territoires. » En effet, « quand on s’éloigne, par exemple, de la banlieue bordelaise pour prendre le chemin de Villeneuve-sur-Lot ou Fumel, on ne parle plus tout à fait des mêmes choses que quand on se trouve à l’intérieur de la rocade de Bordeaux… » Ainsi, « toutes les régions essaient d’appréhender globalement puis de problématiser leur territoire, pour adapter leurs interventions à ces problématiques » : maisons de l’orientation, maisons des régions, équipes volantes, réseaux de "tiers de confiance", "Olympiades des métiers"… Avec, à terme, deux objectifs : « Transférer de l’éducation nationale à la région l’ensemble des dispositifs dédiés à l’orientation, pour une cohérence d’animation et de mise en œuvre » et « pouvoir créer des agences régionales d’orientation, sous pilotage des régions, avec l’ensemble des acteurs. »

Focus sur Démo’Campus

Après la projection d’une vidéo de présentation du programme Prometeus de Barcelone, Judith Motillon-Alonso était présente avec Jérémie Schleiffer, Délégué territorial de l’Afev Nouvelle-Aquitaine, pour parler de ce programme développé par l’Afev, « depuis une dizaine d’années, sur la base d’un double constat : il y a de fortes inégalités scolaires en lien avec l’orientation ; et l’Afev mène de nombreuses actions, qu’elles soient collectives (Kaps, Apprentis Solidaires, VER…) ou individuelles (mentorat), sur le sujet de l’orientation depuis longtemps. »

Sur cette base, « deux décisions ont été prises : d’abord, de continuer à développer et modéliser nos actions en lien avec l’orientation scolaire en général ; ensuite, de créer un groupe de travail prospectif sur ce sujet, en lien très fort avec la Direction de l’Enseignement supérieur et toutes les autres directions. » Tout ceci a permis de « modéliser Démo’Campus, à l’échelle nationale, comme un parcours d’action, un programme d’action – ce qui était déjà le cas dans pas mal de pôles. » Ceci passe, notamment, par « la caractérisation et le développement du métier de coordinateur Démo’Campus », dédié à ce programme.

Programme de démocratisation de l’enseignement supérieur et de réussite dans l’enseignement supérieur, Démo’Campus s’adresse « à des enfants et élèves venant de QPV mais aussi de zones rurales, à partir de la quatrième et jusqu’à la terminale » : ateliers « ludiques et participatifs » au sein de l’établissement scolaire (avec notamment des témoignages d’étudiants, des éléments d’information sur les filières, et bourses universitaires…), immersions à l’Université et, de plus en plus, « ateliers de sensibilisation des familles. » Ce dernier point constitue un enjeu fort aujourd’hui pour l’association, dans la mesure où « le sujet de la parentalité, sur la question de l’orientation, est vraiment quelque chose d’absolument essentiel. »

Concrètement, Jérémy Schleiffer a eu enfin l’occasion d’expliquer comment tout ceci pouvait se mettre en place (et avait d’ailleurs commencé à se mettre en place dès 2018) sur un territoire comme Bordeaux. Après une « première phase d’expérimentation », sont intervenues « une phase de développement » puis, aujourd’hui, « plutôt une phase de stabilisation et de pérennisation. » Sur la métropole bordelaise, « une salariée est spécialisée sur les programmes Démo’Campus et Mentorat d’accueil, avec une répartition annualisée de 70/30% », et 8 Volontaires en Service civique sont « positionnés vraiment sur la mise en œuvre de ces deux programmes-là. »

Tout ceci permet à l’heure actuelle d’intervenir « sur 8 collèges en métropole, ce qui permet de réaliser à peu près 400 ateliers sur l’année, et de toucher entre 1 000 et 1 500 élèves » - soit, et les équipes locales y tiennent, « toutes les classes d’un niveau donné, que ce soit la quatrième ou la troisième. » Des actions qui, au demeurant, entrent en synergie avec les actions de mentorat menées par l’Afev sur le même territoire, « dans une forme de complémentarité », et se concentrent à chaque fois sur une période de temps assez brève – « entre deux et trois semaines sur un collège » - pour garantir aux élèves « une progression assez rapide », et leur éviter « d’être complètement perdus. »


François Perrin

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