Le 19 septembre dernier à la Bellevilloise (Paris 20ème), l'Afev et ses partenaires organisaient leur onzième Journée du refus de l'échec scolaire (JRES). Un public fourni ainsi que des intervenants variés avaient répondu présent à ce rendez-vous bâti cette fois autour de l'épineuse question de l'Orientation. Retour sur une introduction dense en pistes de réflexions, et la livraison d'une enquête exclusive enquête exclusive réalisée par Trajectoires-Reflex.
En ouverture, Eunice Mangado Lunetta, Directrice des programmes de l'Afev, a tenu à rappeler que « L'Afev a toujours une détermination et une envie intactes de se mobiliser » sur ce sujet, qui « la révolte » mais sur lequel l'expérience a prouvé qu'il demeure toujours possible d'agir à condition de mutualiser les efforts de l'ensemble des acteurs (et de pouvoir compter notamment sur les 8000 étudiants engagés que recrute l'association chaque année pour intervenir dans les quartiers « politique de la ville »). Pourquoi ce thème de l'orientation ? Car il affleurait déjà lors des précédentes éditions (sur le décrochage, les lycées professionnels, etc.), et constitue en cela « un sujet incontournable, à la fois scolaire, intime, personnel, et politique », puisqu'il crée très tôt une partition entre les « bons élèves » et ceux dont les savoir-faire ne transparaissent pas dans l'évaluation de leur parcours (« suscitant une première blessure, si ce n'est une humiliation »). Mention fut faite, en cette occasion et plusieurs fois ultérieurement, du récent échange entre le Président Emmanuel Macron et un jeune horticulteur.
Animés par le Rédacteur en chef du Monde Campus Emmanuel Davidenkoff, les débats ont ensuite été introduits par une séance réunissant la Sociologue de l'éducation et marraine de cette édition Marie Duru-Bellat, le pédopsychiatre Patrice Huerre et – en lien vidéo – la sociologue et précédente marraine Cécile Van de Velde. La première, ancienne conseillère d'orientation, a rappelé que cette question, depuis les années 70 et 80, a mis du temps à s'imposer comme une problématique majeure dans la « fabrication des inégalités scolaires ». Les notes ne présageant bien entendu que de manière partielle du confort de l'avenir professionnel des élèves, il s'agit de réfléchir sur l'adéquationnisme (entre savoirs enseignés à l'école et état du marché du travail) sans en faire l'alpha et l'oméga de toute réforme pédagogique : « Un actif sur deux, dans notre pays, a un emploi qui n'a aucun rapport avec sa formation. » Mieux vaut se demander « de quoi les gens ont besoin pour être à l'aise dans la vie qui les attend » : des bases et valeurs scolaires, bien sûr, mais aussi d'autres compétences à valoriser. Auteure d'un article paru la veille sur le site The conversation, Marie Duru-Bellat a également eu l'occasion de s'exprimer au sujet de l'orientation dite « heureuse » : « Pour ce faire, il faudrait que les jeunes optent pour les études de leur choix », et que ces choix débouchent naturellement sur les emplois idoines – une utopie vers laquelle tendre.
Sur ce dernier sujet, Patrice Huerre a parlé des jeunes qu'il rencontre dans le cadre de ses activités professionnelles. Selon lui, « il y a aujourd'hui une évolution très nette de la situation » (avec des pressions parentales en conflit avec la revalorisation du rôle d'acteur du premier intéressé), même si en tant que psychanalyste il estime « qu'être désorienté à l'adolescence, c'est normal », mais qu'il existe des risques à identifier : un malentendu par rapport aux bonnes intentions des adultes (qui pensent en adultes, donc), ou encore la multiplicité des domaines d'incertitude auxquels sont soumis les jeunes (corps nouveau, quête identitaire, rapport au temps selon le principe « demain, c'est ce soir ; l'avenir, c'est le week-end prochain », rôle des parents, importance des modèles et contre-modèles, enjeux intergénérationnels et « rêves inaboutis des parents »). Selon lui, le soutien des « investissements latéraux » (intérêts sportifs, culturels, etc.) compte aussi énormément – un soutien que certains adultes continuent à dénigrer au profit d'un exclusif bachotage – ainsi que la rencontre entre les adolescents et des « personnes investies dans leur travail », susceptibles ainsi de constituer des modèles déterminants dans leurs choix. Il a enfin rappelé en quoi la « capacité de jeu » inculquée dès la crèche est susceptible de déterminer la « capacité d'adaptation » et la « capacité d'ouverture » (au Monde et aux autres) des collégiens et lycéens.
Dans une vidéo enregistrée pour l'occasion depuis Montréal, la sociologue Cécile Van De Velde a quant à elle livré une réflexion sur la question du temps de l'orientation, et les injonctions parfois contre-productives à ce sujet, tant le « vertige du choix »peut paralyser certains jeunes : « le choix peut être anxiogène ; s'orienter c'est beaucoup refuser, négocier avec soi-même et avec les parents. Il faut prendre le temps. On peut avoir une révélation à 14 ans, mais le plus souvent, on s'oriente par refus successifs. » Ainsi, les choix de vie se façonnent principalement par tâtonnements. L'audace et la patience doivent ainsi entrer en dialogue pour permettre aux adolescents d'opérer des choix raisonnés.
Ces propos introductifs ont ensuite permis à Valérie Pugin, directrice d'études chez Trajectoires Reflex, de présenter l'enquête sur l'orientation réalisée, pour l'occasion, en mai/juin 2018 auprès de 718 collégiens scolarisés dans des quartiers sur lesquels intervient l'Afev. L'occasion de découvrir ou de confirmer que si les jeunes ont bien conscience de l'importance (94%) comme de la complexité du processus (tant institutionnel que personnel) à mettre en œuvre pour les aider à s'orienter, ils s'appuient à 70% sur la ressource Famille (ce qui produit des inégalités de fait en fonction desdites familles). Dès lors, l'institution scolaire semble seule susceptible, de plus en plus au fur et à mesure de l'avancée du parcours scolaire et à condition de prendre ce rôle au sérieux, de les « ouvrir sur de nouveaux champs de possibilités. » Or 40% des jeunes de 3ème interrogés se déclarent insuffisamment informés (un tiers n'ayant jamais rencontré de psychologue de l’Éducation nationale), tandis que 70% d'entre eux affirment que la découverte concrète des métiers, souvent mal couverte par l'institution, constitue une indéniable priorité.
François Perrin
Photos : Afev
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