Eric Nédelec : « Tous les espaces de vie et tous les temps de vie sont interconnectés. »

Eric Nedelec 1252 x 410

Les débats récurrents qui agitent l’opinion autour des questions éducatives, autour de la question de l’Education ont parfois pour fâcheuse tendance à se centrer sur la seule question de la part que chacun prend, doit prendre, pourrait prendre pour réussir ce défi permanent qui est celui de l’éducation. Il n’est malheureusement pas rare que le débat s’enlise, et parfois s’envenime, autour de la taille de la part, de son importance, de sa qualité, de la proportion qu’elle occupe par rapport à l’ensemble. Il est tout aussi habituel de ne chercher qu’à minimiser la part des autres quand la réussite est au rendez-vous mais par contre à l’augmenter quand on est confronté à l’échec.

En matière d’éducation la moindre miette peut se révéler avoir un rôle essentiel

Les conséquences de ces débats, de ces confrontations sont catastrophiques et surtout contreproductives. Il est vrai que face à un problème aussi grave que celui de l’échec scolaire et pour ce qui nous concerne de l’illettrisme, il est tellement plus simple et intellectuellement confortable de ne se contenter que de chercher le coupable idéal pour lui imputer l’entière responsabilité de ce qui n’a pas collectivement fonctionné. Ce coupable idéal, n’est évidemment jamais le même. Il change suivant la place de laquelle on parle. Nous devons cependant reconnaître que deux acteurs clés pour l’éducation ont été et sont souvent cités à la barre des accusés. Ils comparaissent et une fois condamnés sont très souvent abandonnés. Ces deux coupables idéaux, parce que faciles à identifier, parce qu’au cœur des confrontations, y compris sémantiques, sur les questions d’éducation sont au choix les familles ou l’école. Outre le fait que ces accusations sont le plus généralement accompagnées d’idées toutes faites ou prennent appui sur une profonde méconnaissance de la réalité, elles sont aussi totalement contreproductives dans le sens où justement elles accentuent et cristallisent de façon significative les crispations, les tensions. Et alors qu’il y a généralement unanimité conceptuelle pour dire qu’il faut plus d’ouverture, de complémentarité, de continuité, ces postures car il s’agit généralement de postures enferment les uns et les autres à l’intérieur de leur propre périmètre et ne facilitent pas la nécessaire compréhension mutuelle. Ce n’est pas le choix que nous avons fait pour aborder le problème de l’illettrisme et de sa prévention qui, comme chacun le sait, a un lien avec le problème de l’échec scolaire. Nous avons fait le choix du collectif, nous en avons fait une méthode de travail qui sera au centre de cette contribution.

« Réunir pour mieux agir » : plus qu’un slogan, plus qu’une intention relevant de l’incantation, une méthode de travail qui apporte des solutions

Il faut simplement rappeler ce que le cadre national de référence de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme, résultat d’une écriture collective en 2002, affirmait dans son introduction. Il faut non seulement le rappeler mais continuer à affirmer l’actualité de ce principe fondateur et directeur.

« Il faut agir sur tous les fronts parce que le risque d’illettrisme à l’âge adulte prend souvent racine dès l’enfance au moment des premiers apprentissages, parce que les hommes et les femmes en situation d’illettrisme sont de tous âges et vivent dans des contextes très différents, parce qu’il faut penser à préserver le "capital lecture" des personnes âgées, parce que, pour chaque cas, il faut mobiliser des moyens d’action qui font appel à des ressources variées, sociales, culturelles, éducatives, professionnelles, sanitaires. Toutes sont nécessaires pour construire des solutions appropriées et personnalisées. C’est donc une responsabilité qui doit être assurée collectivement. L’engagement de tous, bénévoles et professionnels, décideurs et acteurs de terrain, est vital pour lutter contre l’illettrisme. »


Il est intéressant de noter que dans le chapitre consacré à l’action de ce que nous appelons la société civile et nous adressant à tous ceux qui sont ou peuvent se sentir concernés nous disons : « Pour optimiser son action, il faut éviter les cloisonnements, rechercher les complémentarités et développer la qualité de ses services. Les organisations de la société civile, dans une volonté de partage et d’efficacité, participent à une dynamique générale qui implique de : • s’ouvrir aux réseaux voisins et jouer la complémentarité, • nouer des liens avec les autres réseaux loin de tout prosélytisme, • mutualiser les moyens et participer aux échanges d’expériences, • rechercher des complémentarités pour mieux couvrir les besoins des personnes. Cette invitation à construire des coopérations ou des « alliances » pour reprendre le terme choisi pour cette JRES est adressée au-delà de ces seuls acteurs, ceux de la société civile, elle est aussi une invitation à partager et mettre en œuvre cette démarche avec les institutions publiques et le monde économique. Pour y parvenir, le cadre national de référence insiste sur l’importance pour inscrire les actions dans la durée à participer aux projets territoriaux et à améliorer la qualité des services. Cette « montée en qualité » passant par la poursuite de leurs efforts de formation des bénévoles et des salariés et par l’amélioration de leur organisation interne notamment la circulation de l’information, le travail en réseau, la conduite de projets collectifs. Le cadre étant posé qu’en est-il aujourd’hui de l’action collective sur le champ de la lutte contre l’illettrisme dans toutes ses dimensions y compris prévention. Avec toutes les organisations qui sont à des degrés différents à nos côtés, il s’agit bien d’agir ensemble pour lutter contre l’illettrisme, prévenir les situations d’illettrisme et rendre possible l’accès de tous à ce qui participe à l’émancipation. Toutes les actions mises en œuvre par les organisations membres de nos réseaux participent directement à la réussite de ce défi. Chacune le fait à la place qui est la sienne, et l’action de chacune bonifie, optimise l’action de toutes les autres. Nous avons aujourd’hui une conviction et ce sont les résultats qui nous y invitent : tous les espaces de vie et tous les temps de vie sont interconnectés. Cet écosystème éducatif comme le décrivent les québécois a besoin de fluidité, d’accessibilité. Lorsque les passages sont facilités, ils ne se transforment pas en rupture notamment pour les plus fragiles. C’est ainsi que grâce à notre méthode de travail nous sommes parvenus à provoquer des rencontres, des coopérations efficaces parce que c’est la personne elle-même qui est au centre. Les acteurs du champ culturel sont ainsi convaincus aujourd’hui que les actions qu’ils mènent avec des enfants et des adultes ont un impact indirect qui va bien au-delà de ce qu’on pouvait imaginer au départ. Les actions de sensibilisation que nous conduisons parfois très courtes, ont pour vertu, et en toute simplicité de faciliter le décentrement, et d’adapter ses postures professionnelles. Lorsque nous affirmons avec beaucoup d’autres que l’action collective est une garantie pour l’efficacité nous nous appuyons essentiellement sur l’observation de ce qui se fait pour en tirer les leçons simples au bénéfice de ceux vers qui les actions ne vont jamais parce qu’on ne les voit pas ou qu’on n’y pense pas. Parmi les dix principes pour agir que nous avions formulés en 2008 lors du colloque organisé sur la tension école famille certains nous paraissent tout à fait adaptés à ce sujet, celui des alliances, des coopérations. S’adressant à tous les acteurs ces principes simples peuvent faciliter la mise en œuvre d’une véritable coopération.

 

Principes pour agir ensemble

Principe n°1 : ne pas s’enfermer dans des discours ou des démarches qui peuvent contribuer à culpabiliser plutôt qu’à responsabiliser. Les coupables possibles étant aussi nombreux que les acteurs qui les « désignent » respectivement : les parents, les enfants, l’école, les autres… Principe n°2 : éviter les injonctions qui partant de bonnes intentions peuvent accentuer les tensions voire les transformer en crispations Principe n° 3 : ne pas parler au nom des personnes que l’on désigne sans d’une part les avoir déjà rencontrées ou et être certains que ce que l’on peut dire sur elle, correspond à ce qu’elles diraient aussi pour elles-mêmes. Se donner les moyens de les associer véritablement pour retrouver un réel pouvoir d’agir Principe n°5 : adopter à priori le principe de confiance, qui peut se construit autour de l’exigence et du respect Principe n° 6 : privilégier, l’agir, le faire et s’appuyer sur l’expérience pour « réfléchir » et être capable ensuite de porter sur sa propre pratique un regard éclairé et éclairant Principe n°7 : ne pas tomber dans le piège des modélisations uniformisantes et s’appuyer sur la diversité des actions qui correspondent à la diversité des contextes Principe n°8 : poser et se poser les bonnes questions. Se les poser à soi-même pour s’interroger sur ses propres postures. Ne pas produire individuellement ou collectivement de discours qu’on ne s’applique à soi même.

Et pour finir ne jamais sous-estimer le poids des mots qui sont choisis et utiliser pour « en » parler, la stigmatisation source de tension commence souvent par tout ce qui est véhiculé par le vocabulaire qu’on utilise. Ainsi en est-il du mot cible et de ses déclinaisons. N’oublions jamais que, même à plusieurs, lorsqu’on cherche à atteindre des personnes, une cible est d’abord un objet sur lequel on tire et que généralement on rate…

 Éric Nédélec, Coordonnateur National de l’ANLCI Retrouvez ici toutes les contributions de nos partenaires pour la 8ème Journée du refus de l'échec scolaire.

 

 

Partager cet article