De profundis

Entendre, ou lire une fusillade est en cours... plusieurs attaques... il y aurait 8 victimes... plus de 120 morts Voir, imaginer Des blessures atroces... une mare de sang... l’entassement des cadavres, Comprendre, … Il s’agit bien d’un massacre... un acte terroriste d’une ampleur inédite S’enfoncer, tomber, comme par une succession de trappes qui s’ouvrent brutalement sous nos pieds, toujours plus bas, toujours plus sombre, à chaque information.   De profundis   Lorsque s’éteignent les voix, les bruits, suit un silence terrible, de misère, de supplice, de désespoir. Une nuit d’abîme. Du plus profond de cette nuit, de ses recoins les plus sombres, d’autres trappes sont redoutées, celles qui se profilent à l’aube naissante de la haine et des amalgames, celles d’une violence symbolique et d’un basculement dans la peur.   Pourtant, contre toute attente, une lumière perce. Une petite lumière dans la nuit. Une lumière inattendue, une lumière inespérée, ou, plutôt, une lumière d’espoir .   Elle perce des mots mêmes prononcés par ce survivant, de ceux utilisés par ce présentateur outre atlantique, ou de cet anonyme sur un trottoir, bougie à la main, elle vient singulièrement, et tragiquement, du contexte et des lieux mêmes de ces attaques. De jour en jour, le halo de cette lumière s’élargit, s’intensifie et se clarifie : ce qui fait ciment entre nous, ce qui nous donne envie de reprendre nos activités, ce qui nous portera, ce qui nous motivera ces prochains jours, ce qui fera que nous ne sommes plus simplement ensemble mais que nous vivrons et que nous ferons ensemble, c’est tout ce que nous imaginerons, et tout ce que nous créerons.   À la haine redoutée se substitue la force de la création.   Aujourd’hui, à Paris et partout en France, ce sont des livres qu’il faut publier, C’est le spectacle vivant qu’il faut soutenir, Les expositions qu’il faut continuer à programmer, Les salons et festivals qu’il faut développer.   Non pas parce qu’ils éviteront le terrorisme, non pas parce qu’ils empêcheront à eux seuls la radicalisation ou le basculement dans la violence. Mais parce que rien n’est plus impératif que l’art et la culture, qui sont pour nous tous, pour chacun de nous, absolument, rigoureusement, définitivement, intrinsèquement, vitaux.   Sophie Van der Linden est auteure et critique, spécialiste de littérature pour la jeunesse. Auteur de nombreux articles et ouvrages sur l’album et l’illustration, rédactrice en chef de la revue Hors-Cadre[s], elle signe également des romans pour adultes publiés aux édition Buchet-Chastel, dont le dernier, L’Incertitude de l’aube (2014), s’attache à la prise d’otages de Beslan, qui s’était déroulée en 2004, en Russie. Crédit photo : Buchet-Chastel

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