En 2012 dans le pacte contre l'échec scolaire que l'Afev avait fait signer à plusieurs candidats dont François Hollande, nous pointions le collège comme le maillon faible de notre système éducatif et proposions une réflexion pour atténuer le passage école / collège si brutal pour les enfants les plus fragilisés à qui on fait payer le choix politique d'un collège pensé non dans la continuité de l'école mais comme le propédeutique du lycée.
Certes, la priorité au primaire était nécessaire, mais nous appelions de nos vœux une réforme du collège sans laquelle, d'ailleurs, le travail engagé sur le premier degré n'aurait pas eu de sens.
Pour sauver le collège unique, il fallait avoir le courage politique de s'attaquer à la contradiction profonde dans laquelle il se trouve : celui d'être à la fois un lieu unique d'accueil et de promotion de tous les publics, aussi hétérogènes soient-ils, et un lieu de sélection chargé de faire émerger une élite.
Au regard des enjeux, on aurait pu penser que cette réforme n'allait pas assez loin. Or, un mois après sa présentation, il est étonnant de constater la tournure que prennent les débats et de voir réapparaître de vieilles lignes de clivages qui dépassent les familles politiques. Certaines ont plus précisément retenu notre attention.
La difficulté à interroger les modes d'enseignement et une défiance envers tout modèle pédagogique qui bouscule le disciplinaire. Nous savons pourtant que la principale difficulté des enfants que l'on dit "en difficulté scolaire" et qui décrochent progressivement est leur incapacité à donner du sens à l'école. Les étudiants de l'Afev qui interviennent auprès de ces publics perçoivent bien à quel point leur besoin est, avant d'apprendre, d' "apprendre à apprendre" mais surtout de comprendre pourquoi ils apprennent. L'interdisciplinarité (qui ne remplacera pas, d'ailleurs, les disciplines dans le projet de réforme) ne sera peut-être pas la panacée mais ne peut-on pas lui donner le crédit de constituer une piste sérieuse de remédier à ce manque de sens ? Elle aurait, tout au moins, la vertu de permettre aux enseignants très isolés dans leur pratiques de faire équipe et inventer, ensemble, de nouvelles façons de faire cours....ce qui en soi constituerait un progrès majeur.
Le spectre du nivellement vers le bas qui, notons-le au passage, effraie étonnamment bien plus que l'hémorragie scolaire que représentent les 140 000 sorties prématurées du système. À lire les réactions de certains, on suppute qu'au fond ils ne se sont jamais fait à l'idée d'un collège vraiment "unique". Sans doute perçoivent-ils derrière ce terme un égalitarisme justifiant une uniformité de l'offre opposée à la recherche permanente de distinction, marqueur de la course généralisée à l'armement scolaire qu'est devenu notre système scolaire.
Toute entrave à cette recherche de distinction entrainerait de fait un nivellement par le bas.
Mais que souhaitons-nous au juste pour notre collège ? Si nous souhaitons en faire un lieu de sélection et de préparation à l'émergence d'une élite plus ou moins diversifiée socialement, alors il ne faut rien changer, si ce n'est son nom : collège unique.
Si nous ne souhaitons plus nous satisfaire d'un collège qui fonctionne à deux vitesses, alors il nous faut changer les choses pour permettre à tous, en priorité aux plus fragiles, d'acquérir des connaissances et compétences indispensables à leur futur parcours.
La question de "à qui profite le collège" est aussi démocratique et sociale. N'y a-t-il pas à s'interroger sur le fait que la scolarité publique des collégiens, payée par nos impôts, soit aussi inégalitaire ? Qu'est ce qui justifie que 16% des élèves de 6e et de 5e se voient offrir la possibilité de rejoindre une classe bi-langue ? Sont-ils plus méritants que les autres, davantage dignes d'investissement ?
Il ne s'agit pas ici d'opposer les enfants les uns contre les autres mais de comprendre en quoi refuser la généralisation de ces "avantages" bénéficiant aujourd'hui au petit nombre revient à défendre un système inégalitaire.
Dans l'espace médiatique, la parole a beaucoup été donnée aux latinistes et aux germanistes. A-t-on demandé aux familles populaires ce qu'elles pensaient du fait qu'en classe de 5e, environ 10% des élèves issus de familles défavorisées apprennent le latin contre un tiers des élèves issus de familles très favorisées ?
Le Premier Ministre a récemment choqué avec sa référence à l'apartheid territorial, il y aurait matière à réfléchir aux mécanismes permettant à la communauté éducative, sous couvert de collège unique, de séparer et d'organiser des microsociétés d'élèves, de même niveau scolaire et social, selon le choix des options.
La réforme du collège ne sera pas l'alpha et l'oméga de la refonte de notre système éducatif. De fait, le plus dur reste à faire : la rendre effective avec notamment un important chantier du côté de la formation continue des enseignants pour relever le défi de l'interdisciplinarité. Mais cette réforme peut contribuer, combinée à d'autres leviers, à rendre le collège plus juste.
Au-delà des inquiétudes individuelles pour nos enfants, les choix que nous ferons pour notre collège sont lourds car ils dessineront, en creux, le modèle de société que nous appelons de nos vœux.
Eunice Mangado Lunetta, directrice déléguée aux actions éducatives de l’Afev
Tribune publiée sur le Huffington Post
Crédit photo salle de classe cc
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