La question territoriale (re)devient une question éminemment politique. Deux initiatives récentes renforcent cette conviction. L’une est initiée par le quotidien Libération qui a organisé une journée de débats sur le projet du Grand-Paris. L’autre est illustrée à travers un numéro spécial d’Urbanisme consacrée à « Dix métropoles en recherche(s) ».
Cette ébullition intellectuelle sur le sujet des territoires démontre que la période qui s’ouvre clos une séquence historique ouverte au lendemain de la seconde guerre mondiale et marquée par le poids symbolique du livre de Jean-François Gravier, « Paris et le désert français ». Cette vision de l’aménagement et du développement de notre pays selon laquelle Paris serait la cause du déclin de la province est définitivement enterrée par l’effet combiné de l’émergence du fait métropolitain en France et le statut de Paris comme « ville monde ». Ces changements de tropismes génèrent à la fois de l’enthousiasme et de l’inquiétude chez les acteurs du développement local. Pour les uns, ils traduisent l’apparition de phénomènes de ségrégations spatiales aux fortes conséquences sociales. Pour les autres, il s’agit d’un eldorado porteur d’une nouvelle prospérité économique, social et culturelle. Chacun a un fond de vérité et pointe des réalités qui nécessitent d’être entendues.
Des politiques d'aménagement avec les habitants et leurs réalités...
En ce sens, la démarche portée par la plate-forme POPSU qui a mené le travail d’étude sur les dix métropoles françaises présente un grand intérêt. Elle s’attache à prendre en compte des échanges d’expériences, croisant les points de vue de chercheurs et d’acteurs en décloisonnant systématiquement les disciplines et les domaines de l’intervention publique ou privée. Cette volonté est rappelée de manière récurrente par les différents contributeurs du numéro de la revue Urbanisme. Comme l’indique son rédacteur en chef, Antoine Loubière : « Il est nécessaire d’échapper aux discours simplificateurs en associant à la réflexion les praticiens et les experts ». Cet état d’esprit a également animé le forum de Libération permettant notamment la confrontation intellectuelle de personnalités telles que la sociologue Saskia Sassen, l’architecte Christian de Portzampac et des responsables politiques comme Anne Hidalgo ou Patrick Devedjian.
Ceux-ci ont mis en garde face au risque de « métropolisation sauvage » et ont pointé les enjeux qui devront favoriser l’émergence du Grand-Paris, futur espace de 6 millions d’habitants avec au cœur une ville-monde de plus de 2 millions d’habitants. Saskia Sassen a considéré, très justement, que la densité « ne fait pas nécessairement urbanité et ne fait pas ville ». Pour cela, il est important d’être attentif à d’autres dimensions constitutives de la vie sociale d’un territoire. Ceci est fondamental afin de rechercher les points d’équilibre qui rendront la ville du 21ème siècle vivable. Ainsi, les transports, la solidarité, l’écologie, la culture… ne doivent pas être simplement les valeurs d’ajustement de l’intervention publique mais être au cœur des grandes politiques d’aménagement. Celles-ci nécessitent d'ailleurs, selon Christian de Portzampac « d’être discutées avec les acteurs locaux et singulièrement les habitants ».
Gare au jacobinisme local
Malgré la tendance forte à l’homogénéisation qu’entraine la globalisation, Anne Hidalgo a relevé le fait que « si la mondialisation a des traits communs elle a aussi des espaces spécifiques liés au territoire ». Pour cela, sur la question urbaine, comme sur d’autres sujets, notre héritage national doit permettre de façonner une certaine singularité dans la mondialisation. La décentralisation, comme l’a exprimé Patrick Devidjian, participe de cet héritage en ayant été « un facteur de réduction des inégalités entre ville-centre et périphérie ».
La reconnaissance institutionnelle et la constitution de ces nouveaux ensembles urbains que sont les métropoles ou le Grand-Paris ne doivent pas faire l’objet d’une capture par la ville-centre. Ces dernières sont les garantes d’un développement harmonieux et solidaires des communes qui composent ces nouveaux territoires, comme l’Etat l’a été par le passé pour notre pays. Il n’aurait rien de pire que ces évolutions craies une forme de « jacobinisme local ».
Chaque territoire à l'épreuve de la mondialisation
A lire la revue Urbanisme ou après avoir écouté les intervenants du forum Libération, le phénomène de métropolisation apparaît comme la déclinaison urbaine de la mondialisation. Avec comme maitres mots du marketing territorial : l’attractivité et la connectivité.
Dans ce contexte, plutôt que les nations, ce sont dorénavant les territoires locaux qui se concurrencent entre eux. Les uns bénéficieraient de cette attractivité tournée vers l’avenir alors que les autres seraient sinistrés ou désertifiés ressassant dans une posture de la nostalgie un passé révolu. N’attirant plus les investisseurs ces derniers décrocheraient des dynamiques vertueuses du développement économique. Ils vivraient en marge des infrastructures multimodales de transports et des centres de décisions.De fait, la création des dix métropoles françaises met en lumière, la condition d’autres espaces constitutifs de notre armature territoriale nationale : les zones péri urbaines, rurales, ou encore les villes anciennement industrielles.
A l’instar de certains pays qui paraissent s’éloigner de la zone euro ou de l’Union européenne ces territoires, qui concentrent 60 % de la population, doivent profiter des processus de métropolisation. Il est de la responsabilité des villes centres, en lien avec l’Etat, d’imaginer une forme d’économie urbaine distributive à l’échelle de l’ensemble des territoires de notre pays. Au delà des prises de postions exclusivement idéologiques, ceci bouleverse et interroge notre conception de l’intervention publique et de l’action politique trop souvent imprégnée d’une culture centralisatrice et égalitariste.
Inventer de nouvelles solidarités sociales et territoriales
Nous devons intégrer le fait qu’à l’avenir 600 aires métropolitaines vont capter 75% de la richesse mondiale. Il nous faut donc imaginer de « nouvelles solidarités sociales et territoriales » comme le prône le chercheur Pierre Veltz dans sa contribution pour le numéro d’Urbanisme. Il rappelle que depuis la crise économique de 2008 les métropoles et leurs communes ont été les moteurs de la croissance et les principaux pourvoyeurs d’emplois. Selon lui, ces espaces urbains « assurent les points d'ancrage et de stabilité des économies nationales dans la mondialisation ».
Ceci ne rend pas pour autant indépassable l’horizon métropolitain car la mutation de notre modèle de production élève considérablement les besoins en niveau de qualification. En effet, lors de la période des Trente glorieuses il était aisé de déverser la main d’œuvre agricole dans le monde industriel, aujourd’hui l’exercice de basculement dans l’économie de la connaissance est plus difficile pour les classes populaires. Ces ruptures de continuité pour les salariés ne sont pas seulement économiques et sociales, elles sont aussi spatiales. Elles expliquent en partie les fractures qui fragmentent le paysage territorial français.
Un défi social plus que spatial
En ce sens, les analyses du géographe Christophe Guilluy, même si elles sont légitimement soumises à la critique, n’en restent pas moins dénuées de certains fondements. Ainsi, il faut entendre que les situations de fragilités sociales et territoriales ne sont pas exclusivement concentrées dans les zones d’habitats sociales situées en périphérie proche des grandes agglomérations. Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au CNRS conforte cette position lorsqu’elle indique que les élites circulent, que certaines couches sociales sont inscrites dans la mobilité alors que d’autres sont assignées à résidence.Néanmoins, lorsque les perdants et les gagnants n’ont plus la même origine sociale et habitent dans des endroits différents l’impératif de mobilité ne se décrète pas.
Alors comme le dit Alain Bourdin, responsable scientifique du programme POPSU2 : « Le défi est plus social que spatial ». A l’heure où la cartographie territoriale est rebattue nous sommes face à un formidable défi où chaque territoire, quel que soit sa spécificité, est la pièce d’un nouveau puzzle. Il appartient désormais à l’Etat et aux différentes collectivités locales, en lien avec la société civile, d’imaginer de nouveaux systèmes de collaboration et de gouvernances pour tendre vers toujours plus d’équité territoriale. C’est aussi à ce prix que nous conjuguerons au mieux l’urbain et l’humain.
Jérôme Sturla
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