Afev Guadeloupe : première bougie soufflée !

engagés Afev Guadeloupe

Dès le début de la crise sanitaire, dans le cadre du dispositif Mentorat d’urgence, le rectorat de Guadeloupe faisait appel à l’Afev pour assurer la continuité pédagogique, sur un territoire archipélagique par ailleurs très marqué par les inégalités éducatives. A peine trois ans plus tard, l’association y établissait un avant-poste, particulièrement bien accueillie et accompagnée par des partenaires locaux très volontaires.

En 2020, en Guadeloupe – comme dans les autres DROM, dont la Martinique ou la Guyane -, la crise sanitaire et les périodes de confinement ont encore aggravé une situation éducative particulièrement complexe. Ce qui a incité le rectorat à mettre en place un Mentorat d’urgence afin de « prévenir les risques de rupture pédagogique. » C’est dans ce contexte que l’Afev, qui développait au même moment son programme de Mentorat à distance (MAD) , a commencé à mener des actions sur l’île… jusqu’à y ouvrir un pôle d’action, en janvier 2023, désormais géré par la Guadeloupéenne Laura Amiens, une Déléguée territoriale qui travaillait auparavant sur les Cordées de la réussite en région parisienne - puis en tant que Directrice d’un centre social sur "son" île.

Un contexte particulier

« En Guadeloupe, d’après une enquête de 2021 réalisée par le rectorat, indique Jessica Oublié, autrice de bandes dessinées et Coordinatrice régionale de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI), 20% des jours de classe sont perdus chaque année, du fait des grèves, des inondations, des opérations de nettoyage des plages à cause des sargasses [algues brunes à l’odeur nauséabonde, ndlr], des intempéries, des opérations de dératisation, etc. » Ces facteurs peuvent induire un risque en termes d’accès à l’égalité des chances en termes de réussite éducative, pour ceux des élèves les plus en difficulté sociale.

La correspondante de l’ANLCI rappelle que « un tiers de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté », et que la Guadeloupe compte « 38 000 bénéficiaires du RSA et 60 000 chômeurs. » Or « ces situations sociales au niveau des foyers peuvent jouer le rôle d’amplificateur des inégalités », d’où l’importance de « pouvoir multiplier les réponses éducatives, en complément de celles que propose le rectorat. »

Sur l’illettrisme à proprement parler, elle indique qu’en 2011, « 20% de la population âgée de 16 à 65 ans était en situation d’illettrisme », selon l’enquête Information vie quotidienne (IVQ) de l’INSEE commandée par l’ANLCI. D’où l’importance, dans l’attente de nouveaux chiffres à paraître en cette année 2024, de « disposer de politiques éducatives et de formation pour adultes très soutenues » sur la question de la maîtrise des compétences de base – dont le numérique.

Illettrisme et goût d’apprendre

Jessica Oublié rappelle en effet qu’est considérée comme illettrée « toute personne qui a été scolarisée à l’école en France, et qui est sortie du système éducatif à 16 ans ou plus sans maîtriser la lecture, l’écriture, le calcul ou le numérique. Si bien qu’elle va se trouver en difficulté, en perte d’autonomie dans des situations simples de la vie quotidienne. » Et qu’à ce titre, « la Guadeloupe est particulièrement concernée ; elle fait partie, en France, des territoires les plus touchés par ce phénomène. »

Prenant exemple sur son cas personnel – elle est « la première de [sa] famille à avoir passé le bac » -, elle indique que « [ses] parents, qui ont dû arrêter leur scolarité au collège, étaient très attachés au fait que [ses] sœurs et [elle] aient une bonne scolarité. » Elle explique par ailleurs quel rôle a joué, dans son propre parcours, sa meilleure amie, « qui était brillante, et dont les parents étaient tous les deux enseignants. » Ainsi, selon elle, des ressources existent bel et bien tout autour des élèves, mais pas toujours de façon égale : « Des parents comprenant le rôle que l’école peut jouer en termes d’émancipation sociale, des amis soutenants, des enseignants attentifs à vos besoins et en capacité de vous offrir de la ressource complémentaire, des dispositifs d’aide aux devoirs. »

Par ailleurs, en tant qu’autrice de bande dessinée, elle a eu l’occasion d’intervenir de longs mois dans un collège de Pointe-à-Pitre, et de constater lors de ses interventions que « ce sont souvent des jeunes filles et des enfants issus d’Haïti ou de République dominicaine qui [lui] ont demandé "du rab" : "Qu’est-ce que cela veut dire, Madame ?" ; "Peut-on travailler ensemble ?" ; "Est-ce qu’on peut faire une visio après le cours ?" ; "J’ai choisi votre sujet pour l’oral du brevet, accepteriez-vous de m’aider à le préparer ?" ». Cela lui a appris « que tous les temps d’échange avec les élèves, dans l’enceinte d’un établissement, peu importe leur nature, sont des occasions d’éveiller leur curiosité, de susciter de l’intérêt pour des sujets nouveaux et de leur permettre de révéler (souvent à eux-mêmes) leur propre potentiel. »

Un besoin de "tiers" mentors

Ainsi, « l’arrivée de l’Afev en Guadeloupe vient répondre à un besoin d’accompagnement périscolaire, en permettant notamment aux enfants les plus démunis de bénéficier du mentorat » - et à leurs parents de devenir « de meilleurs superviseurs, de meilleurs alliés au niveau du suivi de la scolarité de leurs enfants, et donc de retrouver une place dans ce triptyque Éducation nationale / élèves / familles. »

Concernant les mentors à proprement parler, Jessica Oublié estime que leur mission consiste à « aller un peu plus loin que le disciplinaire, prendre l’élève dans sa dimension globale, se saisir de son baromètre du jour, introduire une dimension de jeu pour pouvoir faciliter la découverte/compréhension de son profil apprenant, travailler l’écrit, l’autonomie… et surtout lui proposer des méthodes pour "apprendre à apprendre", en fonction de son profil propre d’apprenant » (plutôt axé sur l’auditif ou le visuel, la pratique ou la théorie, la matinée ou la soirée, etc.) Lui permettre, en somme, « de classer et d’organiser toutes les connaissances dans sa bibliothèque mentale », mais aussi, plus globalement et collectivement, d’œuvrer à « ouvrir le plus largement possible l’horizon des élèves en termes de projection sociale et professionnelle. »

Mise en place d’un partenariat

Pour toutes ces raisons, l’Afev, forte de son expérience de trente ans sur le mentorat, et ayant innové en 2020 avec son programme MAD, constituait un partenaire de choix pour une académie guadeloupéenne particulièrement demandeuse. Les trois départements de Guadeloupe, Martinique et Guyane s’étaient en effet inscrits, il y a quatre ans, dans le cadre de l’opération #Mentoratdurgence, auxquels l’Afev avait proposé de recourir, précisément, à son MAD. « Les trois ont fait la demande, se souvient Laura Amiens, mais cela a vraiment "pris" en Guadeloupe. »

Pourquoi ? « Parce que c’est une question de personnes, estime-t-elle. Il a fallu tomber sur les bonnes personnes, sur des personnes motivées» En l’espèce, elle parle notamment de Rony Roman, inspecteur de l’Éducation nationale pour la circonscription de Les Abymes, en charge de la Mission éducation prioritaire, qui précise : « Nous avons été proactifs sur le mentorat dès le démarrage, en tentant de l’organiser un peu "en autonomie" dans un premier temps. » « Puis, poursuit-il, après un premier contact avec Eunice [Mangado Lunetta, Directrice des programmes de l’Afev, ndlr], nous avons compris que ce que nous essayions de mettre en place, l’Afev disposait des moyens de le déployer vraiment – tout en assurant la formation des mentors. L’association avait le savoir-faire, les moyens, et nous, nous étions sur le terrain pour trouver les lieux, les élèves susceptibles d’en bénéficier. » Ni une, ni deux, le partenariat se met en place, avec, côté Afev, Alexiane Terrochaire-Barbançon, Chargée de mission MAD et, sur place, des responsables de l’Éducation Nationale « convaincus, au regard des objectifs, de l’efficience du dispositif. »

Au démarrage, se souvient Magalie Hébreu, Proviseure adjointe du lycée Yves Leborgne de Sainte-Anne, « les mentors étaient recrutés principalement en dehors du territoire guadeloupéen – notamment dans l’Hexagone » (et ce même si, comme le rappelle cette fois Laura Amiens, des étudiants guadeloupéens ont été mobilisés dès le départ, grâce à un partenariat avec l’Université – mais là aussi en distanciel, notamment du fait des problèmes de mobilité propres à l’île). A l’époque Cheffe de projet de la Cité éducative Pointe-à-Pitre / Les Abymes, Magali Hébreu évoque les premiers mentorats mis en place « au sein du collège Nestor de Kermadec , chef de file de notre Cité éducative », puis de manière plus large, sous l’impulsion du rectorat, « avec les autres collèges et les écoles. » Objectif initial : « Toucher 150 élèves », tant sur le volet orientation (en quatrième) que « compréhension, lecture et expression orale » (en CM2) ou « vocabulaire » (en 6 ème , et pour les enfants allophones).

Ainsi, « même si nous estimions qu’une force vive in situ n’aurait pas été de trop, développe Rony Roman, le mentorat de l’Afev, pendant ces trois premières années et malgré cette organisation en distanciel, a rapidement récolté un écho favorable. De plus en plus de chefs d’établissement, de directeurs et directrices d’école ont sollicité la mise en place ce dispositif pour venir en aide à certains jeunes dont ils et elles avaient la charge. »

Communiquer, se faire connaître

Dans les faits, cette acceptation sur l’île de l’Afev comme de son mode d’action n’allait pas forcément de soi au départ. Ainsi, comme l’indique Magalie Hébreu « il a fallu engager les enseignants, les directeurs d’établissements dans cette mission qui consiste à identifier les élèves concernés, mettre en place la communication avec la famille… » Premier frein en effet : « Les équipes enseignantes et les parents, qui se demandaient qui étaient ces jeunes qui allaient appeler les élèves depuis des numéros de téléphones de l’Hexagone. » Heureusement, « nous avons eu très tôt quelques parents qui ont pu apprécier ce mentorat à distance, qui ont voulu réitérer l’expérience d’une année sur l’autre – nous les avons fait témoigner sur cette expérience extrêmement positive », ce qui a levé chez beaucoup les doutes initiaux.

Rony Roman fait le même constat : « La communication a été et demeure essentielle. » Côté Education nationale, « chaque année, une note émise par le recteur puis la rectrice, permet d’informer l’ensemble de la communauté scolaire du partenariat avec l’Afev. Ce qui montre que la plus haute autorité institutionnelle prône ces actions. » Mais des éléments de communication ont aussi été inlassablement diffusés « en direction des enfants, des étudiants, des familles – transmis aux familles par le biais des établissements -, ainsi que des collectivités locales. Ceci, afin que tous les acteurs soient informés au mieux », et qu’ainsi l’alliance éducative prenne forme aux yeux de tous. Tandis qu’en parallèle, une évaluation fiable du dispositif lui a permis, peu à peu, de s’imposer dans les faits.

2023 : création d’un pôle

Finalement, en janvier 2023, Alexiane Terrochaine-Barbançon et le DGA de l’Afev, Tanguy Tollet, font le déplacement sur l’île, où l’association est désormais bien décidée à implanter un pôle à part entière. Et ce, selon Rony Roman, « dans la continuité de ce que nous avions, ensemble, mis en place depuis mars/avril 2020. » Cette ouverture constitue, pour lui aussi, « une étape indispensable : pour le programme de mentorat à distance comme pour d’autres que développe l’Afev, la montée en puissance et en gamme du mentorat en Guadeloupe nécessitaient que l’on puisse disposer d’une présence. »

Effectivement, la grande réunion organisée en janvier 2023 en Guadeloupe, en présence de deux responsables de l’association, « a vraiment permis de débloquer les choses, d’après Magalie Hébreu : il y avait énormément de parents, qui ont ainsi pu mettre un visage et des noms sur l’Afev et rencontrer physiquement ces personnes. » D’autant que des élus locaux étaient présents (dont l’une s’est adressée en créole au public), et que la Chargée de mission MAD « avait préparé une petite vidéo sur laquelle des parents de la Cité éducative expliquaient le déroulé du mentorat avec leurs enfants et quels en avaient été les impacts positifs. Plusieurs participants connaissaient ces parents, ce qui a vraiment été bénéfique pour la compréhension du dispositif. »

Les acteurs locaux ont dès lors assisté, en effet, à « un déploiement des inscriptions, en masse, avec des parents qui comprenaient et voyaient concrètement de quoi il s’agissait, et l’intérêt pour leur(s) enfant(s). » Cette présence physique de l’Afev, c’est désormais Laura Amiens et Léna Gonin, Chargée de développement local, qui l’assurent. « Un élément facilitateur pour la fluidité des missions que l’association souhaite mener sur l’île », selon l’inspecteur d’académie, mais également pour Magalie Hébreu : « La logique du présentiel "paie" toujours – Tanguy et Alexiane, et ensuite le recrutement des référents locaux, ont permis de rendre plus concret le dispositif et de gagner la confiance des parents »… et facilitent également, bien sûr, le renforcement des liens avec l’ensemble des partenaires sur place.

Laura Amiens le confirme d’ailleurs, lorsqu’elle précise : « Tout ce que j’avais pu cumuler comme compétences au niveau des Cordées de la réussite, tout le réseau que j’avais acquis sur l’île jusqu’ici, il était temps de l’utiliser ! » D’autant « qu’il est important, pour une association qui a son siège dans l’Hexagone, de disposer de quelqu’un de Guadeloupéen sur le terrain, pour les partenaires et pour bien s’implanter aux Antilles... » Ce qui passe, aussi, par ce qui pourrait apparaître comme un détail : la mise à disposition d’une ligne téléphonique « au numéro à l’indicatif un peu plus local » !

Le mentorat… et au-delà !

Ainsi, la création d’un pôle local a permis, également et rapidement, de démultiplier le nombre de mentors locaux (y compris de Guyane et de Martinique) - de sortir donc du seul Mentorat à distance -, tout en mettant en place d’autres programmes, comme les Volontaires en service civique / Volontaires en résidence (VER) ou le mentorat lycéen. En effet, les différents intervenants mentionnent également qu’au-delà du mentorat étudiant à proprement parler, d’autres actions de l’Afev se développent aujourd’hui, qui allient l’efficacité à un intérêt sans cesse croissant. Parmi celles-ci, par exemple, « une action menée dans une école du quartier d’Anquetil-Dugazon des Abymes, où des parents ont été reçus, ensuite, dans une médiathèque à proximité » (citée par Rony Roman), ou des actions « permettant d’aborder des problématiques comme le harcèlement,les incivilités, les droits et devoirs… » (selon Magalie Hébreu).

Dans ces conditions, aujourd’hui, l’heure n’est plus uniquement à la présentation de l’Afev et de ses actions sur l’île, mais au travail sur la reconnaissance universitaire de l’engagement, au déploiement des programmes existants, voire à l’expérimentation de nouvelles pistes. En effet, selon Rony Roman : « Si nous avons commencé à travailler avec l’Afev, dans le cadre de la crise sanitaire, nous poursuivons aujourd’hui parce que les besoins sont réels, qui sont liés à des problématiques de réussite du parcours de l’apprenant. »

De son côté, Magalie Hébreu préconise de s’atteler à la question des élèves du premier degré – « dans l’interstice entre le cycle deux et le cycle trois, puis à la fin du cycle trois, au niveau CM2/sixième » - et de renforcer le travail auprès des élèves allophones. L’idée étant qu’à terme, au regard de l’éventail fourni de l’offre d’actions, « cela devienne un réflexe ; que les équipes enseignantes sachent qu’il est possible de mettre en place des actions de mentorat avec l’Afev et que cela devienne une solution parmi d’autres, dans le panel des offres à leur disposition. »

En attendant, le 7 février dernier, se tenait sur le campus de Fouillole de l’Université des Antilles, à Pointe-à-Pitre, le premier comité de pilotage de l’Afev Guadeloupe, en présence à la fois de partenaires, d’engagés – bénévoles ou jeunes en service civique, qui ont témoigné – et des évaluatrices Pluricité pour le Fonds d’expérimentation de la jeunesse. Selon Eunice Mangado-Lunetta, ce temps-fort a donné l’occasion « de faire un retour sur toute l’activité déployée en un an, et de construire ensemble des perspectives de déploiement sur l’île. »

 

François Perrin

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