Au Micro Lycée, nous accueillons des jeunes de 16 à 25 ans qui ont été déscolarisés pendant des mois, voire des années, et qui veulent reprendre leurs études, obtenir un baccalauréat (général !) et poursuivre dans le supérieur. Des décrocheurs, comme on les appelle, qui n’ont pas choisi de quitter l’école, contrairement à l’image que l’on s’en fait. mal orientés, soumis à des problèmes personnels trop lourds, obligés de gagner leur vie ou tout cela en même temps ; ils ont d’abord commencé par l’échec scolaire (le premier décrochage), l’ennui, la perte du désir, une orientation subie, de l’absentéisme, et parfois, une exclusion. L’abandon sous toutes ses formes.
En général, on ne les a pas retenus. Ils traversent alors une forme de désert, où la relégation sociale s’ajoute à la relégation scolaire. Une fois « repentis », quelques regrets et blessures en poche, ils cherchent à ré-intégrer l’école. Ils frappent à toutes les portes. ils demandent du diplôme, ils demandent du système… trop vieux, trop coupés du monde scolaire, n’ayant pas fait la bonne filière, ils sont refusés partout. Et acceptés chez nous. Mais tout n’est pas simple, et nous faisons face à leurs contradictions : en demande de norme pour obtenir un sésame à travers le diplôme, ils leur est souvent difficile de se réadapter aux codes… il faut donc faire vivre cette petite communauté, entre individuation et vie collégiale. Et parfois il faut, comme ailleurs, rappeler à l’ordre.
C’est ainsi que j’ai reçue récemment Maïmouna dans mon bureau… Je commence par lui dire qu’elle exagère : elle est insolente, elle passe son temps à recevoir des messages en cours, elle nous ment souvent, elle ne s’ouvre pas assez aux autres. Elle ne joue pas le jeu de notre structure, pourtant fondée sur la confiance. En même temps, Maïmouna traverse tout Paris pour venir à La Courneuve étudier, elle a de très belles analyses, de solides connaissances, et je lui répète qu’il ne fait aucun doute qu’elle peut obtenir son bac littéraire. tout en lui parlant, je ressors son dossier.
Ne change rien Maïmouna, réussis ton bac, puis va résister de l’intérieur
Un peu farouche, elle ne se laisse pas approcher : je la connais moins que d’autres. Elle a redoublé sa seconde, récemment déménagé, et on n’a jamais vu ses parents, séparés. Dans son ancien lycée, elle n’avait pas obtenu son passage en Première L (nous l’avons acceptée dans cette classe), pourtant elle avait 13,5 en français et des appréciations notant ses fortes capacités. Mais on lit : « comportement inadmissible », « absentéisme », « choisit ses matières ». Je lui fais la morale, en lui montrant qu’au microlycée elle reproduit les mêmes écarts, alors que le contrat est différent. Et puis soudain, je lis sur un bulletin la dernière remarque du proviseur qui l’a exclue : « Vous n’êtes pas adaptée au système ». C’est la première fois que je lis cela. Je suis effarée. La sentence, le couperet. Vous êtes inadaptée, et il faudrait l’être, vous êtes un mauvais exemple pour ceux qui font l’effort de se plier aux règles, qui se laissent formater. On ne va pas non plus faire l’effort de s’adapter à vous, encore moins de vous éduquer, de vous aider à réussir, même si vos capacités scolaires sont reconnues. Vous agressez le système, il vous renvoie le miroir. Il est plus fort que vous. Alors j’ai cessé mes réprimandes, je me suis rappelée que nous étions là pour le réparer un peu, ce système, même à toute petite échelle, pour y faire entrer toutes les singularités, les ailes trop larges et les fronts trop hauts. Je m’en suis voulue d’avoir fait pleurer cette tête de mule, et j’ai pensé : ne change rien Maïmouna, réussis ton bac, puis va résister de l’intérieur, entre dans leur système et montre-leur de quoi tu es capable. J’avais envie de lui demander pardon. Nathalie Broux, professeure au Lycée du Bourget et au Microlycée 93 Crédit photo Flickr opensourcewayPartager cet article