Les 29 et 30 juin dernier se tenait l’Université d’été de l’Afev, dans une organisation hybride entre présentiel et distanciel. Au sortir de quelque 18 mois de crise sanitaire et d’épisodes de confinements, les salariés et bénévoles de l’association ont fait l’état des lieux de la situation, rassemblé les enseignements de la période et identifié enjeux et défis à venir. Retour sur un premier temps-fort : le bilan de cette période dense de mobilisation et d’innovations sociales, sur quatre terrains constitutifs de l’association.
Pour conclure la première matinée, la Présidente de l'Afev Nathalie Ménard a regretté un fait indéniable, dû à la crise sanitaire : « Cela fait deux années consécutives que nous ne sommes pas vus tous ensemble, "en vrai", à l'occasion des universités d'été. » Pour autant, elle a indiqué qu'elle retenait de ces premières heures d'échanges une idée simple mais toujours opérante : « Changer le monde, voilà, c'est la base, mais aussi la moindre des choses que nous pouvons faire. C'est le choix que j'ai fait il y a trente ans en démarrant l'Afev, et c'est ça que l'on doit continuer à faire. » Elle a également salué « la dynamique incroyable qui a été maintenue cette année encore, malgré les nombreuses perturbations dues à la crise sanitaire. » En dépit de la tourmente conjoncturelle, « l'association non seulement se maintient mais se développe, avec une montée en puissance de toutes nos thématiques et même l'émergence de nouveaux champs d'investigation. » Pour autant, « il ne s'agit pas non plus de nier les écueils ni les difficultés. » Face à ces derniers, « l'Afev dispose d’une colonne vertébrale solide - et ça se voit. »
Suite à cette introduction, l’animateur Claude Costechareyre a introduit les débats en rappelant que le but des universités d’été, en plus de se retrouver et de faire le point (voire la fête), était bel et bien de « prendre de la hauteur, partager, se mettre en perspective. » Et ce, confrontés collectivement à une crise sanitaire « qui a montré toute notre vulnérabilité, mais aussi toute notre force, toute notre capacité d’adaptation et de résilience. » Il a orienté les débats selon deux axes : « Qu’est-ce qu’on a appris, finalement, et comment l’Afev va pouvoir relever les défis à venir, à travers les grands sujets qui ont font sa singularité ? »
Enseignement supérieur
La première à intervenir, pour aborder plus précisément les relations de l’Afev avec l’Université, a été Sandrine Martin, Responsable nationale Enseignement supérieur et Déléguée régionale Nouvelle-Aquitaine. Elle a souligné les trois aspects ou paradoxes mis en lumière au cours de l’année passée : la précarité étudiante, à la fois sur le plan économique et sur les plans social et psychologique ; le très fort engagement des étudiants, qui constituent « une force sociétale très importante », tant dans le domaine de la solidarité que du réchauffement climatique ; enfin, une grande faiblesse démocratique de cette fraction de la population, illustrée notamment par le fait que « 87% des 18-24 ans n’ont pas voté aux dernières élections. » Selon elle, il s’agit là « de trois contradictions importantes », dans lesquelles se trouve « le germe de ce que l’on pourrait faire pour transformer, nous, à notre échelle, la société – notamment en montrant que s’ils peuvent paraître contradictoire, les étudiants constituent une vraie force », à laquelle il faut donner les moyens d’intervenir sur le champ social pour la réduction des inégalités. Notamment en continuant de valoriser concrètement l’engagement au sein des établissements d’enseignement supérieur - « Le rôle de l’Afev étant d’amener les étudiants à pouvoir mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent, et de leur donner envie d’agir sur celui-ci », quelle que soit la forme prise par leur engagement. D’où l’intérêt, aussi, de valoriser l’expérience acquise au cours des études et en parallèle de celles-ci.Mentorat et éducation
Eunice Mangado-Lunetta, Directrice des programmes, a souligné aussi cet apparent paradoxe, et rappelé « la baseline de l’Afev : "créateur de lien solidaire". » Or, « ce qui nous a sauté à la figure cette année, c’est que les étudiants avaient besoin de lien, et que celui qu’a pu leur proposer l’Afev leur avait fait du bien », au même titre qu’aux publics bénéficiaires de l’action. Pour autant, l’année s’est également caractérisée par une « explosion des inégalités, comme l’indiquent chaque jour de nouvelles études sur les impacts à court, moyen et long terme de la crise sanitaire. » La question du numérique lui apparaît particulièrement criante, tant au niveau du niveau d’équipement des familles que des usages : « digitalisation extrême de nos usages professionnels, atomisation et digitalisation du lien social… » La crise, en parallèle, a permis à la société de poser « un regard nouveau sur le mentorat, avec la consécration de l’importance d’une approche individuelle », mais aussi une meilleure prise en compte d’une part du rôle des familles et des parents, d’autre part de celui de l’école comme moyen d’agir, dans un sens ou dans l’autre en fonction des décisions prises, sur les inégalités. A ce titre, l’émergence de « nouvelles formes de solidarités éducatives » constitue indéniablement un phénomène d’importance, qu’il faut appréhender sans ignorer les effets d’échelles : « Dans un quartier, quand on accompagne vingt enfants, le poids que nous pesons n’est pas le même que quand nous en accompagnons cent cinquante… » Cette prise de parole a également fourni l’occasion de revenir, enfin, sur les métamorphoses de l’appréhension du mentorat par l’association, qui se positionne désormais via le Collectif mentorat « comme un acteur fort, susceptible d’influencer directement les politiques publiques », et s’inscrit dans un mouvement collectif d’innovations et de solidarités convergentes (et ce, aujourd’hui, jusqu’en Guyane).Logement et Kaps
Pour Kheira Boukralfa, Responsable nationale Logement, la question du lien reste fondamental, et on peut définir « la colocation comme la consécration du lien de pair à pair, là où l’on retrouve le fil rouge que porte l’Afev. » Or, on a pu voir pendant la crise « à quel point ce lien de pair à pair a été porteur, a permis de faire pare-feu vis-à-vis des situations d’isolement, de faire groupe pour pouvoir ensuite s’engager ensemble autour de projets communs. » Pour elle, dans les moments difficiles comme ceux que nous traversons, l’engagement a pu être un moteur, « un moyen de trouver du sens » dans une période compliquée – comme a pu le démontrer l’enquête effectuée par l'Afev auprès de ses bénévoles. De fait, les jeunes engagés au sein des Kaps ont « fait preuve d’une créativité hors normes », mais aussi exprimé « un sentiment d’appartenance fort, au sein d’un groupe de personnes qui cherchent à être utiles, solidaires, et à lutter contre les inégalités. » Soit, en l’occurrence, être créatrices de solidarités, en illustrant une autre "baseline" de l’association : « Des campus vers les quartiers. » Pour elle, « l’Afev est la petite voiture qui apporte de la jeunesse et de l’énergie » vers ces derniers – et les Kaps incarnent parfaitement cela. « Ce que l’on a démontré pendant cette période pandémique, a-t-elle conclu, c’est que notre réseau était capable aussi bien de prendre soin des enfants accompagnés que de nos engagés eux-mêmes », dans une logique de « care par le faire. » Une « approche holistique » constitutive de l’association, qui a nettement fait ses preuves dans ce contexte particulier.Synergies territoriales
De son côté, la Déléguée régionale Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur Candice Le Tourneur est revenue sur une autre réalité d’importance, vis-à-vis des partenaires et acteurs locaux : « Depuis le début de la crise, nous avons été très sollicités, du jour au lendemain, à la fois par nos partenaires traditionnels, et par d’autres acteurs représentants des territoires : les députés, qui ont été nombreux à nous appeler, et à montrer par là qu’ils reconnaissaient le travail de l’Afev sur les territoires, pour lutter contre les inégalités. » Elle a également relevé, « malgré la précarité étudiante, un engagement massif de cette population sur les territoires ; d’ailleurs, grâce par exemple à un partenariat renforcé avec l’Université d’Aix-Marseille sur la période, suite à une campagne nous avons reçu plus de 300 coupons en moins de 48 heures – ce qui n’était jamais arrivé auparavant. » Ainsi, selon elle, « cette crise a fait passer l’Afev dans une nouvelle phase de son histoire, dans la mesure où nous avons dû imaginer, réinventer, proposer de nouveaux outils pour permettre à tout notre réseau de basculer à distance – et donc nous professionnaliser dans ce domaine. » Dans les faits, « la crise a permis de décloisonner les territoires, au profit de l’engagement. » A ce titre, elle a honoré son goût des métaphores en parlant de « recoudre la ville », et souligné l’intérêt de travailler « sur des territoires certes tous différents, mais où subsistent systématiquement d’évidents besoins sociaux et de fortes fractures territoriales » - qu’il s’agisse de Cannes, Nice ou Marseille, par exemple, autant de territoires sur lesquels l’Afev s’est implantée de diverses manières, en s’adaptant aux réalités locales pour mettre en avant tel ou tel dispositifs (Kaps, mentorat…). François PerrinPartager cet article