A l’occasion du colloque « Démocratiser la réussite dans l’enseignement supérieur », le 26 juin à Paris, le sociologue Jules Donzelot s’interroge sur « la capacité du système à satisfaire ou non les aspirations des élèves ».
Publié dans LE MONDE |
Par Jules Donzelot (Sociologue, EHESS et université de Cergy-Pontoise)
Nombre de questions soulevées par Parcoursup seront au cœur du colloque organisé le 26 juin à Paris, au siège du Monde, sur le thème « Démocratiser la réussite dans l’enseignement supérieur ». Un événement porté par l’Observatoire de la responsabilité sociétale des universités (ORSU) et l’Afev (Association de la Fondation étudiante pour la ville) en partenariat avec « Le Monde » Campus. Le sociologue Jules Donzelot s’interroge, en particulier, sur « la capacité du système à satisfaire ou non les aspirations des élèves », un « système » moins démocratique, selon lui, que celui des Anglo-Saxons.
Tribune. Alors que les réponses aux candidatures des lycéens sont publiées sur Parcoursup, on s’interroge – à juste titre – pour savoir si chacun se voit ou non proposer une place dans une filière correspondant au moins en partie à ses aspirations. Soit la question de la capacité du système à satisfaire ou non les aspirations des élèves. Mais Parcoursup ne pose-t-il pas aussi la question de la capacité du système à aider les élèves au moment où se forment leurs aspirations, soit bien avant le processus d’admission postbac ? N’y va-t-il pas, en la matière, d’une responsabilité des établissements d’enseignement supérieur, seuls capables d’informer adéquatement les collégiens et les lycéens afin de maximiser leurs chances, une fois engagés dans Parcoursup, d’être acceptés puis de réussir dans les études de leur choix ? Le succès de Parcoursup dépend aussi de ce qui sera mis en œuvre en termes de sensibilisation aux études supérieures et à leurs débouchés, d’aide à l’orientation, ou encore de tutorat. Des inégalités sociales, de genre, de handicap, de territoire, etc., existent en matière d’aspirations, contre lesquelles il est possible d’agir. D’autres pays se sont lancés dans cette bataille. Certains expérimentent déjà depuis plusieurs décennies des actions visant à diversifier la participation. La plupart convergent vers un continuum d’interventions, de l’école primaire jusqu’à l’accès aux études supérieures, afin de sécuriser par le bas la construction d’aspirations ambitieuses mais aussi réalistes chez tous les élèves. En Grande-Bretagne, par exemple, on ne parle pas d’« égalité des chances d’accès » mais d’« étendre et de diversifier la participation » (widening participation to Higher Education) en « élevant les aspirations » (raising aspirations). Cet objectif s’inscrit dans un système dont l’organisation repose sur la demande d’études supérieures (demand-led system) et dans une philosophie d’action mêlant utilitarisme et justice sociale. Pour que la demande soit à la fois plus massive et plus diversifiée à tous niveaux (social, ethnique, de genre, etc.), les universités interviennent dès le collège – parfois dès l’école primaire – et accompagnent des dizaines de milliers d’élèves en ayant besoin dans l’élaboration de leur projet personnel, dans leur choix de matières à 13 et 15 ans et, enfin, dans les procédures d’accès aux universités. Elles ciblent, en particulier, ceux dont les parents n’ont pas fait d’études supérieures. Ces interventions existent depuis bientôt deux décennies et le budget public s’y trouvant consacré n’a cessé de croître. Selon l’Agence des statistiques de l’enseignement supérieur (Higher Education Statistics Agency – HESA), les résultats sont bons dans la mesure où, depuis 1999, la participation des jeunes d’origine défavorisée a augmenté plus rapidement que celle des plus favorisés, contribuant à une réduction de quelques points de pourcentage du « fossé de participation ». Ils sont remarquables aussi en Australie où, depuis une dizaine d’années, des actions similaires ont contribué à une réduction rapide des écarts sociaux. Si les inégalités socio-éducatives sont très résistantes, des programmes ambitieux d’élévation des aspirations et d’accompagnement éducatif peuvent donc les infléchir. Cette politique d’élévation des aspirations se retrouve aujourd’hui dans les programmes de nombreux pays : Aimhigher au Royaume-Uni (rebaptisé NNCO en 2014, National Networks for Collaborative Outreach), Prometheus à Barcelone, Pathways to Education au Canada, le HEPPP en Australie (Higher Education Participation Partnership Program), Upward Bound aux Etats-Unis, etc. Elle diffère de l’approche qui domine en France avec les Cordées de la réussite et les Parcours d’Excellence, et qui privilégie la reconnaissance du mérite des très bons élèves au détriment de la construction du projet d’études et de vie des autres – une étape pourtant nécessaire à certains pour s’engager sur le plan scolaire et entrer dans un cercle vertueux de réussite – au lieu, comme le font les autres pays, d’aborder simultanément ces deux enjeux. Les établissements d’enseignement supérieur, aux côtés de ceux du secondaire, se trouvent au cœur de ce « modèle aspirationnel » et se chargent eux-mêmes de la majeure partie des actions d’élévation des aspirations et d’aide à l’orientation. Les choix émis par les élèves entrent dans le champ de la responsabilité sociétale des universités dans la mesure où, pour prendre des décisions en toute connaissance de causes déjà jusqu’à la fin du secondaire, ils ont besoin d’informations ne pouvant être mises à disposition que par elles (sur les conditions d’accès, de réussite, de vie sociale ou encore d’insertion professionnelle). Leurs interventions s’appuient sur les services d’orientation et de communication des universités, ainsi que sur des milliers d’étudiants volontaires intervenant dans les écoles et proposant un accompagnement régulier à ceux en ayant le plus besoin. Ces considérations ouvrent la voie à un questionnement plus large portant sur les responsabilités des établissements d’enseignement supérieur à l’égard des territoires dans lesquels ils se trouvent implantés. Comment penser leur rôle en matière de développement local ? Que peuvent-ils apporter aux territoires comme les banlieues, les villes périurbaines ou encore les zones rurales ? Avec l’appui de quels partenaires ? En confiant quelles missions aux étudiants, en particulier, les Volontaires en service civique et les bénévoles des associations ? Démocratiser la réussite dans l’enseignement supérieur. Rencontre-débat ORSU Talks du 26 juin 2018 à Paris. Pour s’inscrire, cliquez ici : www.orsu.fr/rencontres-et-debats. Photo : Université de Munich - 25 mai 2016 / REUTERS / Michaela Rehle / File Photo MICHAELA REHLE / REUTERSPartager cet article