Sophie Béjean / Bertrand Monthubert : "Oui l’enseignement supérieur peut lutter contre les déterminismes sociaux"

Le comité sur la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur (StraNES) a rendu mardi 8 septembre son rapport final au ministère. Il y a quelques semaines, sa présidente Sophie Béjean, et son rapporteur général, Bertrand Monthubert, présentaient quelques-unes de leurs préconisations, et notamment que "25 % des ECTS dans une formation soient systématiquement prévues et délivrées sous la forme de pédagogie par projet au sens large, c’est-à-dire y compris pour reconnaître des engagements citoyens". 

Pendant près d’un an vous avez auditionné la plupart des acteurs et observateurs de l’enseignement supérieur. Qu’en avez-vous retenu ?

Bertrand Monthubert - Nous avons pu observer les forces de notre enseignement supérieur : un système public très ouvert, des formations de qualité et attractives, des diplômes qui protègent du chômage… mais aussi ses faiblesses : un système surtout conçu pour former des élites et qui ne permet pas de lutter contre les déterminants sociaux. Sophie Béjean – Cette question des inégalités sociales représente un vrai risque de fracture à l’intérieur de la génération. C’est le point le plus important qui nous a marqué lors nos rencontres avec les enseignants, les étudiants, les syndicats, les associations, etc. Oui l’enseignement supérieur peut prendre une place pour lutter contre les déterminismes sociaux.

Quelle ambition portez-vous à travers ce rapport StraNES ?

P1050633-minBertrand Monthubert - Notre ambition est de donner une place nouvelle à l’enseignement supérieur au sein de la société. C’est une question culturelle et politique très importante. Jusqu’à présent, au delà de l’obtention du bac, l’accès à l’enseignement supérieur était considéré comme une sorte de bonus par rapport à ce bagage minimal. Or, ce qui est de plus en plus clair, notamment à voir le taux de chômage selon le diplôme, c’est que l’enseignement supérieur ne concerne plus seulement les élites. Il doit former plus de la moitié d’une génération. C’est donc un sujet central dans la politique du pays qui se décline dans les questions liées à l’orientation qui fonctionne très mal, à la coopération entre les différents acteurs du secteur public de l’éducation, ou encore aux inégalités sociales. Nous devons nous donner des objectifs de réduction des écarts de diplomation selon les catégories sociales.

Vous fixez dans ce rapport quelques objectifs, notamment diviser par deux l’écart entre le taux de diplômés du supérieur chez les étudiants dont un parent est cadre et ceux dont un parent est ouvrier ou employé. Concrètement comment faire ?

Sophie Béjean - La France est trop souvent un pays de droits formels derrière lesquels on se réfugie pour ne pas affronter la réalité. La réalité, c’est par exemple le fait que les bacheliers professionnels ont formellement le droit d’accéder à l’université mais que leur taux d’échec est très important. En BTS en revanche, leur chance de réussite est réelle. Si des bacheliers professionnels veulent toutefois faire des études académiques classiques, il faut réunir les conditions pour qu’ils y parviennent. Il faut les y aider, dès le lycée en renforçant les acquis fondamentaux, et à l’université en leur offrant des parcours adaptés, en étalant par exemple sur quatre ans la formation en Licence pour leur permettre d’acquérir progressivement les compétences et connaissances qui leur manquent. D’ailleurs, qu’est-ce que réussir ? Subir une pression pour terminer une Licence en 3 ans ou obtenir les compétences et le diplôme à son rythme et s’insérer professionnellement ensuite ?

Envisagez-vous de la sélection à l’entrée à l’université ?

Bertrand Monthubert - Non la sélection n’est pas une solution. Nos propositions visent à agir en amont pour renforcer les compétences et les connaissances académiques fondamentales, agir aussi en amont sur l’orientation pour construire un parcours qui donne de réelles chances de succès, avec un accompagnement et un étalement quand c’est nécessaire. Notre proposition est d’expérimenter des conseils d’orientation postbac. Ils réuniraient les différents acteurs publics pour donner des préconisations d’orientation pour les lycéens en fonction de leur profil, et sortir de l’impasse actuelle où un bachelier qui veut faire une filière courte peut se retrouver en Licence générale et en échec. Tant que les acteurs ne se rencontreront pas pour parler des cas individuels, on continuera à faire porter la responsabilité de l’accueil des bacheliers aux seules universités, et pas à tout le système public d’enseignement supérieur, ce qui est absurde.

Vous proposez par ailleurs de réformer le statut étudiant. Pourquoi et dans quelle orientation ?

P1050634-minSophie Béjean - Il faut refonder le statut des étudiants pour apporter plus de fluidité dans l’organisation des parcours. Aujourd’hui cette souplesse n’existe pas. C’est ce qui donne entre autres ce poids très fort à la formation initiale. L’organisation des études et les droits sociaux correspondants devront être adaptés aux nouveaux rythmes et à la réalité des engagements et espoirs des étudiants. Un statut réformé doit par exemple permettre de tenir compte des interruptions et reprises d’études, des temps partiels, une année passée à l’étranger et/ou en entreprise, des compétences acquises lors d’engagement citoyen, etc.

La loi de 2013 permet déjà la reconnaissance des compétences acquises en dehors des cursus. Elle ne concerne que quelques trois mille étudiants. Comment aller plus loin ?

Sophie Béjean – Pour aller plus loin nous faisons une proposition forte : que 25 % des ECTS dans une formation soient systématiquement prévues et délivrées sous la forme de pédagogie par projet au sens large, c’est-à-dire y compris pour reconnaître des engagements citoyens. Bertrand Monthubert - Il y a deux freins à lever. Un frein culturel, puisque ce type de compétence ne fait pas partie de ce qui était traditionnellement évalué. Et un frein organisationnel, car ces compétences ne sont évidemment pas de même nature que les autres compétences, et la réglementation pousse à mettre tout sur le même plan.

Le volet Responsabilité sociétale des universités (RSU) occupe une place importante dans votre rapport. Avec quelles propositions ?

P1050630-minSophie Béjean - Notre point de départ est que le rôle de l’université dans le monde, dans la société, dans l’économie doit être accrue. En ce sens, la RSU qui est reconnue dans la loi du 22 juillet 2013 doit être mieux mise en avant. Faire de l’université un laboratoire de la société de demain, cela commence par mettre les étudiants en situation de contributeurs. Il faut passer d’une logique passive des étudiants qui ingurgitent des savoirs à une logique active où l’on va tirer parti de leurs richesses et de leurs engagements. C’est ainsi, par exemple, que nous proposons que le service civique soit accompagné par le ministère en charge de l’enseignement supérieur. L’université pourrait avoir un rôle d’accompagnement des volontaires en service civique et les former si besoin, avec des moyens spécifiques. Ce serait un cadre symbolique fort. On peut aussi imaginer que le service civique y soit reconnu sous forme de crédit ECTS et qu’il soit aussi l’occasion de favoriser la reprise d’études. Bertrand Monthubert - La RSU consiste à encourager les acteurs de l’enseignement supérieur à agir pour relever les défis de notre monde, au sein même de la société. Un des aspects peut aussi se penser à travers la question de la réserve citoyenne. Pour la constituer, l’enseignement supérieur a un rôle à jouer pour inciter des étudiants à avoir une activité d’accompagnement éducatif, à l’exemple d'ailleurs de ce que fait l’Afev. Sophie Béjean - Enfin, la RSU sera aussi l’occasion d’associer les différents champs disciplinaires, en particulier les sciences humaines et sociales, pour accompagner la transformation de la société. Propos recueillis par Emmanuel Vaillant  

Le rapport "Pour une société apprenante - propositions pour une stratégie nationale de l'enseignement supérieur" a été publié le 09 septembre 2015.

Parmi les orientations données : parvenir à 50 % d’une classe d’âge au niveau L3, poursuivre l’effort en faveur de la démocratisation de l’accès aux études supérieures, améliorer l’insertion professionnelles des jeunes diplômés et conforter la place de l’université dans la société française, notamment en accroissant son rôle en faveur de la formation continue et de la formation des enseignants..

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