Le 4 avril dernier, l’Afev organisait, à Marseille, un colloque sur le thème « Jeunesse et quartiers populaires ».
L’occasion était donnée de retracer 25 années d’Accompagnement Individualisé sur les territoires relevant de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Ce dispositif phare du projet de l’Afev a été présenté par Eunice Mangado-Lunetta, directrice des programmes. Il permet à un jeune en difficulté scolaire d’être suivi deux heures par semaine par un étudiant. Aujourd’hui, dans toute la France et 350 quartiers prioritaires, ce sont 1,3 millions d’heures d’engagement solidaire qui sont portés par 7 000 étudiants bénévoles sur 45 agglomérations ou métropoles. Cet accompagnement personnalisé, appelé « mentorat » à l’échelle européenne, dépasse le cadre purement scolaire. Il stimule des ressources telles que la motivation, l’ouverture culturelle, la mobilité, l’autonomie… Non académiques, ces savoir-être, sont de plus en plus considérés comme déterminants pour la poursuite des études et l’insertion professionnelle. Dans son discours de bienvenue, Jacques Ginestié, le directeur de l’Ecole Supérieur du Professorat et de l’Education, a plaidé pour « une ouverture des établissements sur leur environnement ». Ces propos ont donné le ton aux échanges qui se sont poursuivis à travers quatre ateliers auxquels ont participé une diversité d’acteurs soucieux de la réussite éducative. L’orientation et l’emploi, le rôle de l’accompagnement scolaire, le logement et la place des familles ont été les thématiques qui ont rythmées cette journée. Pour beaucoup, "l’épanouissement personnel", des enfants et des jeunes, est apparu comme un facteur clef pour la réussite des trajectoires éducatives et professionnelles des publics des quartiers populaires. Pour contribuer à cet objectif, tout le monde a convenu du rôle central de l’institution scolaire. Néanmoins, il a été pointé que celle-ci, doit désormais, intégrer l’apport de ressources extérieures pour inscrire son action dans la singularité des territoires.
L’implication d’acteurs institutionnels Ainsi, et au delà de la sécurisation des parcours éducatifs, tendre vers l’épanouissement personnel offre la possibilité à un individu de "concevoir un projet personnel ou susciter des passions". Ces opportunités ont un impact sur les publics les plus fragilisés grâce, notamment, à des politiques publiques volontaristes impulsées nationalement ou localement. Dans cet esprit, Valérie Guidarini, chargé de mission pour l’enseignement supérieur au Rectorat d'Aix-Marseille, a présenté la mise en œuvre des « Parcours d'excellence ». Ce programme, apparu en 2016, propose une continuité aux « Cordées de la réussite », en ayant comme objectif d’inciter les élèves originaires des collèges REP + à poursuivre leurs études. Il a vocation à développer une politique éducative plus inclusive. Alice Pavie, volontaire en service civique à l’Afev Aix-Marseille, et prochainement doctorante au sein du laboratoire de sociologie LAMES, a souligné, en référence à ses travaux de recherche, la sous-représentation des jeunes filles issues des quartiers populaires dans les programmes d’ouverture sociale des grandes écoles. Pour enrichir la réflexion et internationaliser les sources d’inspiration, Jules Donzelot, sociologue et coordinateur scientifique du projet Démo’Camus a explicité l’originalité du programme anglais Aimhigher. Porté par les universités, il développe des actions de sensibilisation en ciblant des jeunes des quartiers populaires. Les actions proposées reposent sur l’élévation des aspirations et de la confiance en soi de dizaines de milliers d’élèves.
L’engagement comme levier aspirationnel
Lors de cette journée, plusieurs bénévoles se sont exprimés pour évoquer leurs expériences et l’impact de leur intervention. En plus du récit de leurs pratiques, les propos entendus traduisaient une réelle émotion de la part de jeunes qui renvoyaient un fort sentiment d’utilité sociale. Chacun aura particulièrement retenu les paroles de Chetna Malviya, engagée de l’Afev, qui a conclue son intervention en livrant à notre réflexion ces quelques mots : "la créativité est distribuée grandement chez tous les enfants, mais ce sont les opportunités qui ne le sont pas". Ce type de témoignage, empreint d’humanité, relate la magie de la rencontre entre une jeunesse en situation de réussite et une autre fragilisée. Il traduit une volonté d’agir pour plus de solidarité et révèle les incidences positives de l’engagement. En ce sens, le déficit d’accès des jeunes des quartiers populaires aux études supérieures et à l’insertion professionnelle est à croiser avec leur éloignement des pratiques citoyennes. Une étude de l’INJEP, publiée en 2016, note que "Les jeunes les plus en retrait de la vie citoyenne sont aussi les plus précaires. Ils sont en particulier plus nombreux que les autres jeunes à avoir terminé leurs études avec un niveau de diplôme inférieur au bac, et à n’être au moment de l’enquête, ni en emploi ni en formation." Ainsi, plus le milieu est aisé, ouvert socialement et culturellement, plus les jeunes s'engagent. Ceux, originaires des quartiers populaires, sont donc moins touchés par l’engagement, ceci traduit un réel enjeu de démocratisation de l’engagement pour favoriser l’accès à l’emploi.
L’insertion professionnelle comme perspective
Elever les aspirations est une condition nécessaire mais non suffisante pour l’insertion professionnelle des jeunes des quartiers populaires. La recherche d’emploi ou la création d’activité implique, souvent, un accompagnement personnalisé. Celui-ci se justifie par le manque de connaissance des ressources existantes. Claude-Emmanuel Triomphe – conseiller du haut-commissaire à l’engagement civique - évoquait la situation des jeunes des quartiers populaires qui, "même bardés de diplômes, accumulent les handicaps en terme de manque de confiance en soi et d’autocensure". Ce constat est renforcé par l’éloignement des structures d’aides et d’accueil, du manque de réseaux qui conforte l’isolement. "A diplôme, sexe, origine et nationalité identiques, un jeune de ces quartiers met 18 mois à trouver un emploi contre 6 mois pour un jeune d'un quartier non estampillé -populaire-". Lucille Ranger - booster au sein du programme Impact Jeune porté par les apprentis d’Auteuil - conforte ce point de vue en évoquant "l’absence de connaissance des jeunes de leur territoire". Ainsi, l’acculturation au monde économique passe par l’accessibilité à un réseau. Celui-ci peut emprunter plusieurs vecteurs : institutionnel, associatifs, informels ou digital. Quel que soit le chemin choisi la relation à l’entreprise est un élément clef de la trajectoires d’un jeune. A ce titre, la démarche présentée par Alexandre Fassi - secrétaire général de Cap au Nord Entreprendre - est particulièrement inspirante. Son action, dans les quartiers nord de Marseille, vise à casser les représentations qu’ont souvent les recruteurs des jeunes et inversement. Pour lui « sur ce territoire, le problème numéro 1 des chefs d’entreprises n’est pas la sécurité mais le recrutement ». Il encourage à briser les freins de la rencontre et de la découverte pour que chacun se sente légitime à intégrer une entreprise.
L’exigence de citoyenneté
L’ensemble de ces projets, portés par la puissance publique, les associations ou l’initiatives privées, existe dans des contextes territoriaux qui méritent d’être appréhendés comme des espaces de paroles et d’échanges. Ces réalités imposent de prendre en compte l’expertise d’usage des habitants. Ceux-ci doivent se réapproprier leur « droit à la ville ». La participation citoyenne doit s’imaginer en continu, et pas uniquement au grès des opportunités. L’expertise d’usage des jeunes des quartiers populaires doit être prise en considération. Leur parole doit laisser place à « l’imprévu » dans la conception des projets. C’est à ce prix que les aspirations individuelles de chacun alimenteront les aspirations collectives du plus grand nombre. Jérôme Sturla, Directeur du Lab’Afev
Photos : Camille Cohendy
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