À l’invitation de la Jasmine Foundation, le Lab’Afev a participé aux rencontres Active Citizen à Tunis les 27 et 28 août dernier.
L’objet de ces rencontres soutenu, notamment par le British Council et l’Union européenne, étaient de rendre compte, en présence de près de 200 jeunes, de la réalisation de 32 projets d’actions sociales qui se sont déroulés sur 6 mois dans les quartiers populaires du Grand Tunis, de Bizerte ou Medenine.
Durant ces deux jours, à travers des échanges de pratiques, il s’agissait de créer un réseau de jeunes engagés localement pour capitaliser et pérenniser ces premières expérimentations.
A l’issue de cette manifestation, nous envisageons un partenariat entre nos deux structures qui poursuivent les mêmes objectifs de liens permanents entre l’action et la recherche.
Nos champs de réflexions et d’interventions sociales croisent les mêmes thématiques relatives à la jeunesse, l’engagement citoyen, le développement social, les mutations urbaines, la démocratie, etc.
Au lendemain de la révolution de 2011, ces sujets sont des enjeux majeurs pour l’avenir de la société tunisienne qui vit une importante période de transition démocratique. Ils entrent en résonnance avec des problématiques de la société française.
Dans le cadre de programmes d’échanges de jeunes volontaires, de chercheurs et de praticiens de l’action publique, nous souhaitons participer à la coopération entre nos deux pays.
Interview de Tasnim Chirchi – Directrice et co-fondatrice, Jasmine Foundation
Quand est née et quel est l’objet de la Jasmine Foundation ?
Fondée après la Révolution de 2011, cette structure poursuit un objectif de mobilisation des sciences sociales au service de la transition démocratique. Pour cela, deux axes de travail ont été mis en avant : la recherche et l’action sociale. Dans notre esprit, la Jasmine Foundation est conçue comme un Think and do Tank concret ou un Action-Research NGO ! En terme de méthode, nous souhaitons promouvoir une approche favorisant l’implication d’une pluralité d’acteurs et la mobilisation de différentes disciplines universitaires. En effet, seule l’intelligence collective pourra permettre de relever les défis auxquels la Tunisie est confrontée dans une période si particulière de son histoire. Nous revendiquons notre rôle d’ONG innovante, pour qui, la compréhension de la complexité des enjeux socio-économiques est un préalable à l’action. Ceci est un gage de réussite pour contribuer à réformer notre pays, à faire changer et évoluer les choses. Dans cette perspective, les sciences sociales sont un outil indispensable pour créer du sens, orienter et maitriser le changement social.Comment abordez-vous les enjeux de gouvernance et d’élaboration des politiques publiques ?
Notre volonté d’accompagner la transition démocratique s’appuie sur la mise en œuvre d’outils de concertation tels que des focus groupe, des tables rondes ou des séminaires. Ils visent, en associant étroitement les citoyen-ne-s, singulièrement les jeunes générations, à faire émerger de nouveaux modes de gouvernance, à réfléchir aux implications de notre constitution et à la prise en compte des droits de l’homme. Ce travail de fond doit permettre de mieux évaluer la mise en place des politiques publiques initiées principalement par l’État à travers ses différents ministères. La Jasmine Foundation se positionne comme « une interface citoyenne » qui souhaite analyser, identifier les défis et anticiper les écueils potentiels inhérents à chaque ambition démocratique. Nous nous inspirons des travaux de Philippe Schmitter, père de la transitology, qui invite à prioriser les réformes en insistant sur les notions de transparence et redevabilité. Dans un contexte de transition, la place de la société civile est essentielle. Nous devons stimuler sa capacité à proposer. En ce sens, la formalisation de plaidoyers doit permettre au plus grand nombre de présenter des alternatives fiables et crédibles à l’attention des décideurs. Ainsi naitra, nous l’espérons, une nouvelle tradition participative et démocratique.Comment concrètement relevez-vous les défis de l’engagement et de la participation des jeunes ?
Sur ces questions notre objectif est de rendre les jeunes acteurs de leur avenir à travers des dynamiques participatives impulsées à partir d’évènements, de mobilisation et de temps de sensibilisation aux enjeux qui traversent la société tunisienne. Plusieurs projets ont déjà vu le jour comme par exemple le Chabeb Constitution Forum qui s’est déroulé sur les années 2014 et 2015. L’objectif était de permettre l’appropriation de la constitution, adoptée en 2014, par plus de 150 jeunes originaires des quartiers défavorisés du Grand Tunis. Il s’agissait de vulgariser les concepts et les principes de la constitution pour qu’ils puissent les utiliser comme levier dans leurs propres luttes ou contestations. La mise en place d’une recherche-action déclinée par l’organisation de focus group, de tables rondes, d’entrevues ou de sondages a largement contribué au succès de cette initiative. Travaillant dans un contexte difficile et plein d’incertitude nos équipes ont été très attentives à garantir un suivi très rapproché des jeunes impliqués afin de les fidéliser. Cette approche a permis l’émergence de jeunes facilitateurs issus des quartiers populaires qui ont joué un rôle de leadership et d’encadrant auprès de leurs pairs, permettant la pérennité du projet.Quels premiers enseignements tirez-vous des expériences Chabeb Constitution Forum ou Active Citizens ?
La motivation originelle qui a poussé la Jasmine Foundation, en liens avec d’autres partenaires, à mettre en place de tels projets a été une série de questionnement relative à la jeunesse. Pourquoi les jeunes ne participent pas à la vie publique ? Pourquoi ne s’engagent-ils pas ? Comment pourraient-ils s’impliquer dans la vie civique et citoyenne ? Il est clair que cette frange de la population ne s’identifie pas aux modes de participation traditionnels. Il s’agit donc de renouveler les offres d’engagements. Ceci implique d’imaginer des moments, d’élaborer des outils, de saisir des opportunités, de comprendre leurs attentes et surtout favoriser leur reconnaissance. Pour cela, créer en permanence un climat de confiance est fondamental. Aujourd’hui encore, le climat de défiance vis-à-vis des institutions est très fort. Ceci est dû, en partie, au lègue de la dictature qui a détruit les liens sociaux. Nous devons impérativement retrouver de la cohésion sociale. Ces expériences démontrent qu’il y a une disponibilité de la nouvelle génération pour construire des actions locales qui bénéficient à leur environnement proche et permettant de s’identifier à des projets d’utilité sociale.Ces premières réussites ouvrent-elles de nouvelles perspectives ?
Il est clair que ces premières expériences renforcent nos convictions et nous incitent à impulser de nouveaux projets. Un axe de travail que nous souhaitons approfondir est la décentralisation (ce n’est pas axe futur car nous avons travaillé pendant deux ans sur cet axe de différentes manières que ce soit sur la législation proposée ou en termes de plaidoyer, en plus du travail de sensibilisation), nous avons commencé par des campagnes de sensibilisation et d’implication des jeunes et souhaitons poursuivre cette démarche. Ce sujet est à l’intersection de la démocratie participative et de la citoyenneté. En rapprochant le pouvoir de décision des territoires et des acteurs locaux, nous consoliderons la démocratie, nous apporterons des réponses adaptées aux inégalités régionales historiques et nous permettrons l’émergence de nouveaux modèles de développement. Là encore la jeunesse, à travers un travail de plaidoyer, apparaît comme un levier déterminant pour améliorer les projets de lois et renforcer le rôle des collectivités locales. Sur la période 2017-2019, nous poursuivrons notre travail de renforcement de la capacité des jeunes à exiger la redevabilité et à être des portes paroles. Nous souhaitons dynamiser le dialogue démocratique et consolider la redevabilité des institutions à l’égard des citoyens en créant des outils de communication adaptés qui intégreront la dimension numérique à travers la création d’interfaces qui encouragent la participation citoyenne au monitoring de la qualité des services publics surtout au niveau local. D’autres sujets de société telles que la lutte contre la corruption, la radicalisation ou encore l’éducation aux médias sont à l’ordre du jour. Enfin, nous aborderons les questions économiques telles que l’entreprenariat, l’économie sociale et solidaire, l’énergie, etc.La logique de Jasmine et celle du Lab’Afev : quels parallèles ?
Ces questions qui traversent la société civile tunisienne aujourd’hui, traversent aussi d’autres sociétés. Nos labs peuvent permettre les échanges entre les expertises d’une démocratie mature avec une démocratie émergente. Il est nécessaire de construire ensemble des nouveaux cadres d’analyse des problématiques sociales et politiques et d’enrichir le débat, et promouvoir l’apport de la réflexion théorique dans l’action sociale. Propos recueillis par Justine Blankaert et Jérôme SturlaFocus sur le projet « NewZart »
Lieu d’intervention : Complexe de la jeunesse et des sports, Zarzouna Bénéficiaires : 80 jeunes Thème : Culture et Espace Public Objectif : Renforcer la cohésion sociale et la participation des jeunes à Zarzouna et contribuer à la préservation de l’environnement en se réappropriant l’espace public via des manifestations culturelles et sociales innovantes. Résultats- 37 jeunes ont participé à un café-débat sur l’implication des jeunes dans la gestion locale
- 300 citoyens, notamment des jeunes et des enfants, ont participé à un tournoi de football fédérateur qui s’est déroulé sur 4 jours au complexe de la jeunesse et des sports de Zarzouna
- Une campagne de sensibilisation et de mobilisation pour nettoyer, réaménager et embellir un jardin public
- Réalisation d’un graffiti sous le pont de Bizerte
- La transformation et l’aménagement d’un bus brûlé en une bibliothèque publique ouverte à tous par les jeunes de Zarzouna
- 700 livres collectés pour meubler la bibliothèque sur roues
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