Quels enjeux pour la responsabilité sociétale de l’université ? L’exemple de l’université de Bordeaux

La question de la Responsabilité Sociétale des Universités (RSU) fait l’objet de nombreuses attentions dans la communauté universitaire internationale depuis la déclaration de Talloires (1990). Au-delà d’un effet de mode (notion dérivée de la RSE, responsabilité sociale des entreprises), il y a dans cette démarche une affirmation politique forte des responsabilités nouvelles que doivent assumer les universités.

Une notion à géométrie variable

Cette notion de RSU est encore assez élastique. Ainsi on peut trouver la définition suivante : « La Responsabilité Sociétale des Universités (RSU) est l’intégration par les universités de préoccupations culturelles, socio-économiques et environnementales dans leurs activités et leurs relations avec le monde du travail, les collectivités territoriales et les autres composantes de la société. Elle s’inscrit dans la démarche de développement durable » (blog de l’Université de Provence). Certains n’hésitent pas à parler de responsabilité sociale et sociétale pour faire le pendant d’une vision exclusivement économique de l’impact des universités (cf. Jean-François Balaudé, président de l’Université Paris X Nanterre). Un Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Universités (ORSU) a par ailleurs été créé en 2012 par l’Association de la Fondation Etudiante pour la Ville (AFEV) et l’UNICEF France. La RSU fait référence au rôle citoyen de l’université, au-delà des fonctions basiques qu’elle assume dans la création et de la diffusion des savoirs, à ses responsabilités nouvelles dans la période actuelle, ce qui renvoie à quatre dimensions qui sont présentes dans la construction engagée de l’Université de Bordeaux.

L’enjeu écologique

Tout d’abord, l’université doit avoir une démarche volontaire de développement durable, prenant en compte les enjeux écologiques dans ses pratiques quotidiennes (gestion des déchets, achats éco-responsables, consommation d’énergie et d’eau, respect de la biodiversité, etc.), dans son architecture et ses constructions, l’aménagement du campus, la mobilité, etc. Elle doit non seulement diffuser ces exigences, à travers ses formations ou la recherche, mais en être aussi un acteur exigeant. Une telle démarche suppose une organisation en groupes de travail. Sans se limiter à une approche technique que doivent porter les services, il faut mettre en œuvre une démarche participative qui associe l’ensemble des acteurs.

Etudiants et personnels, tous citoyens

La deuxième dimension renvoie à la citoyenneté au sein de la communauté universitaire, celle-ci étant comprise comme incluant étudiants et personnels (la communauté est l’un des premiers sens du mot université). Au-delà des seules obligations réglementaires, il s’agit de renforcer la démocratie universitaire, en favorisant l’engagement des uns et des autres dans la vie de l’établissement et leur implication dans la vie de la cité, d’être proactif dans la lutte contre toute forme de discrimination, pour l’égalité femme/homme et le respect de la diversité. Créer du lien social au sein de la communauté universitaire est l’enjeu de la vie des futurs campus de l’université, qu’animeront des conseils spécifiques. Pour les étudiants, il s’agit de soutenir leurs implications dans la vie de l’université autour de la vice-présidence étudiante et du bureau de la vie étudiante. C’est aussi reconnaître l’engagement étudiant dans la vie associative, son intégration dans la cité seront soutenus non seulement à travers le FSDIE, mais par une reconnaissance dans les cursus. C’est aussi porter une vraie politique relative à l’emploi étudiant au sein l’établissement et une attention portée aux conditions d’études des étudiants salariés, handicapés, sportifs ou artistes de haut niveau, bref de tous les étudiants à besoin spécifique. Cela passe enfin par une prise en compte des étudiants les plus fragiles, au niveau de la santé ou de la pauvreté. Pour les personnels, dans la continuité des pratiques liées au chantier de la création de l’Université de Bordeaux, le nouvel établissement donnera une large place au dialogue social avec les organisations représentatives. La qualité de la vie au travail doit être un élément structurant de sa politique sans la limiter à la prévention des risques psychosociaux. L’ambition est créer un environnement de travail favorable avec une vie de campus animée, de mettre en œuvre une véritable politique d’action sociale, animée par un conseil de service comprenant tant l’aide à la restauration que l’affectation de locaux ou encore le soutien à la vie associative des personnels.

L’université comme acteur du développement économique

La troisième dimension inscrit l’université dans la cité et dans son territoire. L’université est devenue un acteur du développement économique local et régional. Ses recherches sont de plus en plus mobilisées sur l’innovation, par des laboratoires communs avec les entreprises, par une démarche de valorisation mieux structurée ou par une diffusion de la culture entrepreneuriale. Les formations sont de plus en plus conçues en relation avec les milieux professionnels. Si l’université doit prendre en charge cette nouvelle responsabilité économique, elle ne saurait s’inscrire dans cette seule démarche en oubliant ses responsabilités sociétales, à savoir son rôle social. Dans les métropoles universitaires, comme Bordeaux, l’enseignement supérieur et la recherche représente plus 10% de la population, ce qui implique une forte interaction entre l’université et les acteurs locaux, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, des milieux économiques, des acteurs sociaux, du tissu associatif, etc. L’université de Bordeaux a aussi vocation à être présente sur l’ensemble de l’Aquitaine, contribuant à l’animation des territoires où elle atteint une taille critique, notamment les villes moyennes (Agen, Périgueux). La future université sera aussi ouverte aux rapports avec les organisations syndicales, attentive aux populations en difficulté, qu’il s’agisse des personnes privées de liberté (éducation supérieure dans les prisons), des enfants en difficulté scolaire (soutien par les étudiants) ou de personnes confrontées à des problèmes juridiques inédits (clinique du droit). Elle s’attachera aussi aux enjeux écologiques locaux qui concernent nos territoires.

Une dimension internationale

Enfin, la quatrième dimension est relative à l’universalité de l’universitas, donc au-delà du local, à ses responsabilités internationales, notamment vis-à-vis des populations et des pays les plus démunis à travers le monde. Ceci renvoie d’abord à une véritable politique d’accueil des étudiants étrangers et des collègues des pays du Sud ainsi qu’au développement des relations avec leurs universités. Cette dimension fait aussi référence aux engagements sur les enjeux sociétaux majeurs qui concernent ces populations, qu’il s’agisse des questions de santé publique ou de développement économique. Sans sacrifier à la recherche de partenariats d’excellence avec les universités les plus prestigieuses, la stratégie internationale de l’Université de Bordeaux ne devra pas oublier ses responsabilités, notamment mais non exclusivement envers l’Afrique. L’Université de Bordeaux, c’est bien sûr l’excellence en formation et en recherche de l’Initiative d’excellence, mais qui doit être pensée en relation avec l’engagement citoyen de l’université. Yannick Lung, économiste et président de l’université Montesquieu - Bordeaux 4 Contribution Orsu

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