"Les premières fois, c’est pas facile de rentrer dans l’école. On a peur de s’imposer. On sent bien que c’est pas notre territoire….". Ainsi parle Jennifer, la trentaine, du projet qu’elle a mené avec d’autres parents de son quartier de Lille-Fives au sein de l’école de son fils.
Appuyés par ATD Quart Monde (lire l'interview de Bruno Masurel), ces parents de milieux populaires ne se sont pas contentés de la traditionnelle participation à la kermesse de l’école, de la spécialité « maison » apportée en fin d’année. Ils ont mené collectivement une campagne de sensibilisation sur les droits des enfants dans l’école, sur le temps scolaire, en travaillant avec les enseignants. Pendant cinq ans, des projets visant à faire une place aux parents au sein de l’école ont été menés sur plus d’une quinzaine de sites impulsés et accompagnés par les partenaires à l’origine du chantier « En associant les parents, tous les enfants peuvent réussir », notamment ATD Quart Monde et l'IRDSU. Samedi 11 avril, ils étaient plus de 200 (parents, enseignants, acteurs associatifs ou institutionnels..) réunis à Saint Denis pour assister au rendu de ce chantier au long cours qu’il s’agit aujourd’hui d’essaimer.
Jennifer explique comment progressivement elle s’est sentie plus à l’aise, comment tout cela l’a « débloquée » : "J’étais fière de montrer au prof que moi aussi je pouvais apprendre des choses à mon fils et aux autres enfants. J’ai bien vu que ça a changé son regard. Ca a aussi changé mon rapport avec les enseignants. Aujourd’hui dès que je sens que mon fils a un problème à l’école, je n’hésite pas, je mets un mot dans le cahier, je cherche à rencontrer l’enseignant. En fait, c’est normal." Elle se souvient rétrospectivement de la panique lorsque plus jeune son fils avait été ciblé par l’enseignant pour une visite à l’orthophoniste. "Je l’ai ressenti comme très culpabilisant, qu’est-ce que j’avais mal fait en tant que mère ?" Sans acrimonie, les parents témoignent du manque de tact des enseignants. "C’est difficile d’entendre que son enfant est en difficulté, ca nous atteint en plein cœur." A l’inverse, ils regrettent que les enseignants n’appellent jamais pour nous dire qu’ils ont fait des progrès…
Le bilan tiré de Lille, comme des autres sites (Rennes, Brest, Poitiers…..) est très positif. "Même s’il existe des marges de progression, tempère Marie, d’ATD Quart Monde Lille. En l’occurrence, si la montée en compétence des familles peu en connivences avec la culture scolaire est une réussite, faire reconnaître ces compétences par les enseignants, travailler cette posture d’égal à égal : ce n’est pas encore gagné !" Jennifer le reconnaît : "Sans ATD, je n’aurais pas osé". De fait, la place du tiers qui permet de sortir du face à face familles-école est déterminante. Imène, jeune volontaire en service civique à l’Afev qui est en train de monter un lieu d’accueil parents dans un collège de Bobigny en témoigne : "Dans un premier temps, je fais le tour de tous les acteurs concernés pour évaluer leurs besoins, leurs attentes et essayer de construire avec eux. Une démarche pas toujours simple, qui prend beaucoup de temps, mais indispensable pour faire vivre cette co-éducation qu’on retrouve pourtant depuis si longtemps dans les circulaires et les lois d’éducation…"
Le défi aujourd’hui ? Pascal Aubert, coordonnateur du collectif Pouvoir d'agir dans lequel l’Afev est impliquée et qui porte cette dynamique, a une formule pour le décrire : "Nous souhaitons 1001 quartiers pour la réussite de tous en associant les parents. Il y a urgence, nous avons une fenêtre de tir devant nous. L’appel est lancé : il nous faut coaliser les forces, les ressources, les compétences dans cette bataille." Un appel à engagement sera lancé dès septembre sur la base de huit propositions pour favoriser la coopération des acteurs éducatifs avec tous les parents. Ca tombe bien, la 8e Journée du refus de l’échec scolaire de l’Afev (23 septembre) portera sur les indispensables « Alliances éducatives »….
Eunice Mangado-Lunetta, directrice déléguée AFEV
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