À quoi sert l'école ? Quelle est la valeur d'un diplôme ? Quels sont les critères d'une scolarité réussie ? À ces questions complexes, la réponse est souvent individuelle. Elle est fonction d'une profession, d'un milieu social et, surtout, d'un parcours. Dès lors, comment comprendre le regard négatif voire condescendant porté sur les filières professionnelles toujours jugées, définitivement, en valeur et en qualité, inférieures aux lycées généraux ? Problème assez typiquement français, cette dernière question résume à elle seule les maux de notre système éducatif : élitiste par nature, la sélection s'y fait, trop souvent, par l'échec et l’orientation par défaut.
Le lycée des classes populaires
Le mal est profond. Si tout le monde s'accorde plus moins à l'idée, vague et sans engagement concret, qu'il faut « revaloriser les filières professionnelles », qui parmi les dirigeants serait fier de l'orientation de son enfant dans un lycée professionnel ? Les chiffres sont de ce point de vue sans appel, le lycée professionnel est le lycée des classes populaires. Dès lors, la seule revendication capable de faire bouger les lignes est celle d'exiger que le lycée professionnel devienne en droit et en dignité l'égal du lycée général. Si, politiquement, il y avait une sincère et réelle adhésion à cette ambition, alors les modalités de mise en œuvre apparaîtraient assez clairement : au collège, ouverture à la culture professionnelle, au lycée professionnel, renforcement du lien avec le monde de l'entreprise, ouverture de nouvelles classes et de nouvelles filières, accompagnement renforcé des élèves, enfin dans l’enseignement supérieur, accès prioritaire aux BTS et mise en place d’une politique d’accueil spécifique à l’université. Y sommes-nous prêts ? Pas sûr, hélas, si l'on en juge par le peu de débats, d'articles ou de recherches sur cette filière qui accueille pourtant un tiers des lycéens. Et pourtant, au-delà de la revendication sociale et l'appel à l'égalité dans l'éducation, il y a une réalité qui, à la fois, le mériterait et le nécessiterait.
Une institution en forte mutation
En effet, le lycée professionnel n'est pas cet espace de relégation et de désolation que certains décrivent. Une majorité des élèves s'y sent bien, s'y épanouit et réussit ensuite de beaux parcours professionnels. Les méthodes pédagogiques se révèlent très innovantes et les équipes enseignantes sont particulièrement impliquées dans la réussite de leurs élèves. Surtout, la réalité de ces lycées est celle d'une institution en très forte mutation. Hier, la suppression du BEP et la généralisation du bac pro en trois ans, instaurant un parcours identique à celui de la voie générale, a profondément modifié la perception des élèves et de leur famille, l'approche pédagogique et le nombre de bacheliers professionnel. Demain, le développement des « campus des métiers », ou encore la mise en place d’un comité de liaison Éducation/entreprise, entre autres réformes, poursuivront cette mue en renforçant le lien entre ces lycées, leurs territoires et leur tissu économique.
Un enjeu pour tout notre système éducatif
Ce point est essentiel, car il souligne un fait de société fondamental : le lycée professionnel évolue car la réalité économique et les métiers évoluent. La séparation entre cols-blancs et cols bleus n’a jamais été aussi poreuse et incertaine. Il suffit très concrètement de comparer les moteurs d'une 2CV et d'une DS3 pour mesurer l'évolution technologique et les compétences nécessaires à mobiliser. On pourrait aussi parler du poids grandissant des métiers de service dans l'économie européenne, de l'émergence d’une société de la connaissance... Ne nous y méprenons pas, l'efficience de notre système éducatif ou, à l'inverse, son obsolescence, seront en grande partie mesurées à l'aune de l'efficacité de nos filières professionnelles. Nous ne souhaitons pas substituer aux jugements injustes un regard angélique sur le lycée professionnel. Oui, il y a encore de très nombreux problèmes et défis à résoudre : le manque de moyens, le nombre insuffisant de certaines filières, les questions de genre dans certaines filières, les difficultés à trouver des stages obligatoires, l'accompagnement insuffisant des élèves les plus fragiles, le climat et la vie scolaire dans certains établissements, le taux de décrochage scolaire... Simplement, nous sommes convaincus qu'il faut impérativement aborder ces défis, non pas simplement par obligation morale mais avec envie. Au final, il s'agit de renouer avec l'esprit premier de notre pacte républicain qui faisait, époque oblige, de la réussite scolaire dans les filières générales un accès direct à l'ascenseur social. Aujourd’hui, le lycée professionnel ne peut être cantonné à l'escalier de service.
Christophe Paris, Directeur Général de l'Afev
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