Peter Gumbel : « Parents, ne paniquez pas ! »

Ancien correspondant du Time Magazine en France, enseignant à Sciences Po, Peter Gumbel est l’auteur de « On achève bien les écoliers » un ouvrage qui porte un regard critique sur le système éducatif français.

Y a-t-il trop de pression scolaire en France, sur les enfants, sur les parents ?

YES ! Nous avons avant tout un problème de lourdeur, l’année des écoliers français est très longue : seul le Mexique peut se vanter de compter plus de jours que la France. Dans les pays scandinaves, le temps scolaire est réduit de 30 % alors que leurs performances scolaires sont meilleures. Ensuite, le programme est très répétitif, très ennuyeux. Pour reprendre la formule de Richard Descoings dans son rapport sur le lycée nous sommes entre l’ennui et l’effroi, ça résume assez bien l’esprit de l’école française qui manque cruellement de ludique, de passionnant… Enfin, les écoliers en France n’aiment pas beaucoup l’école, ils ne s’y sentent pas chez eux, le sentiment d’appartenance est très faible : c’est aussi une des caractéristiques du système français. Quant aux parents, ils ont bien compris que sans diplôme on n’est rien. C’est ce qui fait que les enjeux de l’école sont si importants. C’est comme si toute la vie d’un jeune se jouait à 15 ou 16 ans ! Les parents paniquent s’il y a un problème parce que ça leur parait irrattrapable. Dans d’autres systèmes éducatifs, quand on rate sa scolarité, il y a d’autres possibilités... En France, pour être assistante vétérinaire, il faut un diplôme. D’où la pression que mettent les parents à leurs enfants. Même moi ! Ma fille de 14 ans me dit : « Arrête de me stresser papa ; tu as écrit un bouquin là-dessus ! ». Nous avons collectivement intériorisé cette logique de la performance.

Face à ce constat, quelles pistes donneriez-vous ?

Nous devons arrêter de ne voir en l’école qu’un lieu de transmission des savoirs. Bien sûr que l’école doit faire ça, mais elle doit aussi ouvrir le champ des possibles, travailler en faveur du développement personnel de chaque enfant, de son épanouissement. Il faut reconnaître et valoriser les talents des élèves. Le rôle de l’école c’est aussi de mettre l’enfant « en appétit », si on développe ça chez l’élève au début de son parcours, ça l’accompagnera toute sa vie et lui permettra de réussir.

Quels conseils donneriez-vous aux parents ?

J’ai dit à tous les parents que j’ai rencontré autour de la rédaction de mon livre : avant tout détressez-vous ! Sinon vous devenez vous-mêmes facteur de stress. N’envisagez pas l’école comme un OVNI ou une forteresse, prenez-y votre place. Il faut avant tout créer du lien. Une des choses les plus problématiques dans l’école française c’est cette politique  du « rideau de fer » dont souffrent aussi les profs. Dans les quartiers populaires, ça ne suffit pas. Là, c’est vraiment le rôle de l’école d’aller au-devant des familles les plus défavorisées, leur dire : vous êtes les bienvenues, nous sommes du même côté ! J’ai rencontré beaucoup d’équipes enseignantes qui ont créé des ponts avec les parents…. et ça marche ! Malheureusement, de telles expériences sont encore à la marge.    

Des témoignages de parents

Problèmes de communication avec l'école, incompréhension des demandes des enseignants, peur du décrochage, conscience de l’excès de pression scolaire exercée sur les enfants : à Marseille, des parents d’enfants accompagnés par l’Afev prennent la parole pour raconter leurs difficultés... mais aussi leurs réussites. Extraits.

  « Dur de parler aux enseignants » On a beaucoup de difficultés pour parler de nos enfants aux professeurs. Les enfants ne comprennent pas bien les leçons. J’ai peur que mes enfants ne trouvent pas de bon métier. Il faut penser à nous, nous aider à trouver une solution pour que nos enfants fassent quelque chose de bien. « Toute seule, je n’y arriverai pas » J’ai quatre enfants à l’école. Il y a moins de violence à l’école primaire, mais quand ils vont aller au collège, j’ai peur qu’ils fassent comme les autres. C’est aux parents et aux professeurs de trouver ensemble des solutions. Toute seule, je n’y arriverai pas. Si mes enfants font n’importe quoi, il faut que les enseignants me contactent. « Le collège envoie des lettres à des parents qui ne savent pas lire » Le collège envoie des lettres aux parents, mais beaucoup ne savent pas lire. Et s’ils demandent à leurs enfants de leur lire, ils ne diront pas la vérité. Je dis qu’il faut que les parents appellent le collège pour prendre rendez-vous, qu’ils y aillent une fois par mois pour savoir si leur enfant va à l’école. « Le rythme était trop rapide » Quand mon fils était au CP, je pensais que le corps enseignant ne savait pas s’occuper de lui. Il voulait apprendre, mais le rythme était trop rapide pour lui. Ensuite on lui a fait redoubler le CE1 car ça n’allait toujours pas. Jusque-là, je lui avais mis beaucoup de pression pour qu’il travaille et qu’il ait des bonnes notes. À son entrée au CE1, sur les conseils du centre social, je ne lui ai rien dit, je l’ai laissé faire. Là, dès le 1er trimestre, ça a commencé à bien se passer en classe. Mon fils s’est épanoui tout seul parce que j’ai arrêté de lui mettre la pression. « Je ne comprenais pas les devoirs » Avant, les enfants me montraient leurs devoirs mais je ne comprenais pas, il fallait attendre que leur père rentre du travail sauf qu’il n’a pas beaucoup de temps. Je devais trouver une solution, alors j’ai pris des cours de français pour aider mes enfants. « Mon fils n’aura pas la chance d’avoir aimé son parcours scolaire » Mes enfants n’ont plus envie d’aller à l’école. Ils apprennent parce qu’ils doivent apprendre. On dit : mon fils a réussi, il a eu le bac, il a un métier, mais il n’y a pas ce petit truc qui fait qu’il a réussi un parcours parce qu’il l’a aimé, qu’il a retenu quelque chose. Il n’y aura pas cette réussite-là. C’est ça que j’aimerais qu’ils acquièrent, mais je ne sais pas comment faire.

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