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Marie Duru-Bellat, vous êtes sociologue de l'éducation, vous avez travaillé sur les mécanismes de l’orientation tout en étant précédemment conseillère d'orientation, comment définiriez-vous les spécificités de notre système d'orientation?
On peut souligner deux caractéristiques majeures. Il est très institutionnalisé, cadré par des règles relativement précises et mis en musique par des professionnels spécialisés, ce qui pourrait permettre un pilotage spécifique (une organisation précise et actualisée de la diffusion de l’information sur les métiers par exemple, ou encore une explicitation claire des droits des jeunes et des familles). Ce qui n’est pas toujours le cas…
Mais il est aussi très surdéterminé par le contexte global de l’emploi en France : un chômage des jeunes très marqué, un principe « adéquationniste » fort (à chaque emploi est censée correspondre une formation et vice versa), et un climat général de relatif pessimisme par rapport à l’avenir. Du même coup, les élèves abordent leur formation de manière souvent très utilitariste (on pense aux débouchés davantage, parfois, qu’à ses goûts), et très angoissée, car on sait que l’insertion professionnelle sera plus ou moins difficile selon les filières, et qu’on pense que le premier métier sera celui de toute une vie.
En quoi notre système d'orientation cristallise-t-il les inégalités?
Il cristallise les inégalités d’une part parce qu’il donne un poids essentiel à la réussite scolaire telle qu’évaluée par les notes ; or dans notre pays, la réussite des élèves est particulièrement marquée par leur milieu social d’origine, sans compter les imperfections de la notation elle-même. Alors que les différents itinéraires scolaires sont hiérarchisés aux yeux des enseignants et des élèves, on choisit d’autant plus facilement les « meilleures filières » (celles qui donnent accès aux emplois les plus attractifs) que l’on est un bon élève, alors que ceux qui ont plus de difficultés sont relégués dans les voies (et les métiers) dont personne ne veut (et où il y a de la place).
Mais notre système cristallise aussi les inégalités parce qu’il donne, officiellement du moins, beaucoup de poids aux voeux des élèves et de leurs familles : or ces vœux sont très inégalement ambitieux et informés. C’est un constat que l’on fait dans la plupart des pays européens : dans les inégalités sociales de cursus scolaires, les inégalités tenant spécifiquement à l’orientation comptent pratiquement autant que les inégalités liées à la réussite scolaire. Peut-être faudrait-il parfois, paradoxalement, donner moins de poids aux familles et/ou que l’institution les conseille plus précisément, pour contrer l’autos-élection que pratiquent systématiquement les familles les plus éloignées de l’école.
De quels exemples internationaux pourrait s'inspirer la France ?
Ce qui pourrait atténuer le caractère « dramatique » de l’orientation, ce serait avant tout que les jeunes n’aient pas le sentiment de jouer leur vie sur un « choix » scolaire, donc que des réorientations, des passerelles et des retours en formation soient à tout instant possibles. C’est à mes yeux le point essentiel. Mais il est clair que si tous les jeunes partaient dans la vie avec un bagage scolaire de bon niveau et moins inégal, cela faciliterait les choses.
Après, si nous donnions moins d’importance aux diplômes, comme certains pays voisins, alors là encore, l’orientation serait vécue de manière moins dramatique. Alors que nous pensons, en France, qu’il est juste de répartir les « places » dans la société sur la base des diplômes –parce que ceux-ci exprimeraient la valeur, le mérite, les compétences, des personnes-, on voit bien que tant que les diplômes seront aussi inégalement possédés par les uns et par les autres –pour des raisons dont l’école est elle-même responsable-, donner un poids important aux diplômes fige les inégalités. Mais cette idée, que nourrissent les comparaisons internationales[1], apparaît relativement paradoxale en France.
Pour cette 11e édition, la Journée du refus de l’échec scolaire explore le thème de l'orientation. CLIQUEZ ICI pour télécharger le document de présentation.
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[1]Voir « Les sociétés et leur école » (2010) et « 10 propositions pour changer d’école »(2015), F.Dubet et M.Duru-Bellat (Seuil).
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