Dans le cadre de l’enquête Afev-Audirep de l’Observatoire de la jeunesse solidaire portant sur "le regard des français sur les jeunes" publiée en mars 2010, révélant -entre autre- que 51% des français ont une image négative des jeunes, l’Afev a interrogé un certain nombre d’acteurs pour réagir à ces chiffres, et notamment sur leur investissement dans la société.
Entretien avec Nordin Nabili, président du Bondy Blog et directeur de l’antenne de l'école supérieure de journalisme de Lille à Bondy.
Une jeunesse ignorée dans l'espace public
Les chiffres ne me surprennent pas. Je ressens une forme d’hypocrisie dans notre pays. La catégorie de la population la plus pauvre, celle qui cumule le plus de difficulté pour le logement ou la santé, la catégorie aussi la moins représentée en politique, ce sont les jeunes. Et dans le même temps le regard qui est posé sur eux est plein de condescendance. On ne leur fait pas confiance pour les associer aux décisions qui les concernent directement. La gestion de la jeunesse par notre société tend à faire des jeunes un problème. On ne retrouve pas les jeunes là où leur parole devrait se produire pour se transformer en politique publique. La société française est une société vieillotte, gérée par un personnel politique qui se ressemble (masculin, âgé) dont les modes de pensée sont peut-être révolus alors qu’on dispose aujourd’hui d’une catégorie jeune, dynamique, en phase avec les réalités de son temps. La jeunesse fait aussi peur. Les grandes transformations de la société moderne ont toujours eu comme point de départ une contestation de la jeunesse. Les jeunes contestent l’existant, les rapports établis. Travailler avec les jeunes, c’est accepter le risque de voir se modifier les équilibres, de remettre en cause ses acquis. Cette contestation est parfois criminalisée. Bien sûr, brûler des bagnoles ce n’est agréable pour personne… Mais si l’on est adulte, on doit voir cela comme une expression certes malsaine, de la même façon qu’on voit l’abstention de 40% ou 50% des électeurs comme un malaise politique.Redonner la parole aux jeunes
J’aimerais que l’on donne plus de responsabilités aux mômes dès le collège même. On ne forme pas les jeunes à la prise de responsabilité. On a le sentiment d’être face à des gamins qui doivent enregistrer, accepter tout ce qu’on leur dit. Dès que la contestation s’installe, ce n’est pas considéré comme une objection ou un élément de débat, mais comme une déviance, une recherche du conflit. Je n’ai pas le sentiment que les adultes soient assez forts dans leur tête, dans leur identité, pour affronter sereinement les questions que pose aujourd’hui la jeunesse par rapport à la réalité socioculturelle du pays. Il me semble aussi important de faire vivre la démocratie dans les lieux où les jeunes évoluent – les lycées, les facs – pour que les jeunes aient réellement prise sur leurs destins et les outils chargés de les soutenir. Il faut aussi pouvoir faire rentrer plus massivement les jeunes dans les partis politiques. Sinon on va rester dans une situation où la jeunesse est dans une espèce d’infantilisation permanente jusqu’à 22 ou 23 ans… Ces jeunes attaquent alors la vie avec un certain handicap, n’ayant pas été mis en situation de responsabilité. On s’inscrit dans une société à partir du moment où l’on a le sentiment qu’on y participe et que notre voix compte. Je pense qu’aujourd’hui, avec l’affaiblissement des structures traditionnelles (partis, syndicats), c’est l’espace médiatique qui prend le dessus. Ce qu’on a essayé de faire avec le Bondy Blog, c’est que des jeunes des quartiers prennent la parole au lieu de la subir, produisent eux-mêmes leur propre information et prennent ce petit pouvoir qui est d’écrire un article, de le publier, de le voir être commenté… Dans la dimension « estime de soi », c’est important pour ces jeunes parce qu’ils ont le sentiment qu’enfin on les écoute, qu’ils existent… On peut avoir l’impression de peser sur une société à partir du moment où l’on voit que sa parole est prise en compte dans l’espace public. Pour cela, il faut des outils, des espaces.La responsabilité générale des médias
Au fond, les médias se calent assez facilement sur l’agenda politique. Du coup, ils suivent aussi les travers de la façon dont on traite la jeunesse. De temps en temps, il y a de petites sonnettes d’alarme – les médias cherchent alors à faire des sujets plus positifs sur la jeunesse… Il n’en demeure pas moins que le flot médiatique dominant est négatif – ce sont les problèmes des jeunes, les problèmes des quartiers… Quand on parle des jeunes c’est pour évoquer soit les problèmes qu’ils rencontrent, soit les problèmes qu’ils sont censés poser… Du coup, on a un traitement médiatique des jeunes qui ressemble d’assez près à celui des hommes politiques – une jeunesse qui fait peur, remet en cause le système, jamais une jeunesse qui débat, propose, agit. Les jeunes ne sont pas sérieux dans les médias. Propos recueillis par Paul Falzon-Monferran Crédit photo Delphine Ghosarossian/ Studio SubmarinePartager cet article