La 17ème édition de la Journée du refus de l’échec scolaire (JRES), organisée par l’Afev, a réuni le 25 septembre 2024, dans l’amphithéâtre du journal Le Monde à Paris, des acteurs de divers horizons ont échangé sur la parentalité et les inégalités. Les discussions ont été riches en perspectives, avec un focus particulier sur les familles monoparentales, l'inquiétude grandissante des parents face à l'avenir de leurs enfants et les solutions proposées pour sortir les familles de l'isolement. Retour trois tables-rondes qui ont mis en lumière les défis de la parentalité.
Entre la séance d’ouverture et celle de clôture, les divers intervenants des trois tables-rondes modérées par Emmanuel Davidenkoff ont eu l’occastion de commenter les résultats de l’enquête annuelle menée par l'Afev en partenariat avec Trajectoires Reflex et l’UNAF et d’échanger sur les défis sociaux, économiques et éducatifs auxquels sont confrontées les familles - en particulier les familles monoparentales des quartiers populaires. En pointant du doigt l'isolement, le manque de soutien institutionnel et la précarité croissante, les discussions ont mis en lumière l'urgence de repenser l'accompagnement des parents et d'encourager une plus grande collaboration entre les familles, les institutions éducatives et les structures locales de soutien.
L'accompagnement des familles face aux inégalités
La première table ronde a mis en lumière l'inquiétude croissante des parents face à l'avenir de leurs enfants, accentuée par les crises sociales et économiques. L'accent a été mis sur la nécessité de renforcer le dialogue entre les parents et les institutions éducatives, ainsi que sur l'importance de fournir des structures d'accompagnement adaptées aux réalités des familles populaires.
Serge Hefez, psychiatre, psychanalyste et parrain de cette édition des JRES, a introduit le débat en réagissant aux résultats de l’enquête Afev/Trajectoires Reflex : « Ce qui apparaît fortement, c’est l’inquiétude des parents par rapport à l’avenir de leurs enfants. » Il a ajouté que ces craintes sont devenues un phénomène exponentiel au fil des ans, exacerbant le sentiment d'impuissance des parents. En tant que psychiatre, il a insisté sur la nécessité de renforcer le soutien psychologique offert aux familles des quartiers populaires, qui sont souvent les plus exposées à ces risques : « Si vous mettez dix parents "défaillants" dans une pièce, au bout de deux heures, vous avez dix parents qui sont compétents… et ça ne vous a
rien coûté ! »
Ndeye Doussou Fall Sidibe, représentante des Universités populaires de parents de Toulouse, a justement partagé ses expériences personnelles : « Nous sommes un groupe de parents qui travaillent sur cette problématique que les parents sont en train de vivre. ». Confirmant le sentiment d’inquiétude éprouvé par ses derniers, elle a indiqué qu’en outre, « ils ne trouvent pas les ressources dont ils ont besoin. » Pour leur redonner une place dans le processus éducatif, il est essentiel de construire des ponts entre les familles et les institutions. Ceci afin de mieux répondre aux besoins des enfants, et d’éviter le décourager : « Je lance un appel pour que les parents ne se découragent jamais, aient confiance en eux-mêmes et en leurs enfants. »
Gaëlle Guernalec Levy, fondatrice de Papoto – « une association spécialisée dans l’accompagnement à la parentalité des familles, vraiment axée sur les familles présentant des vulnérabilités psychosociales » - a également insisté sur le rôle crucial des structures d’accompagnement. Concernant l’enquête, elle a confirmé que « les parents ont la sensation de ne pas être légitimes – y compris pour accompagner les enfants dans leurs devoirs. » Pour elle, qui considère que « la mobilisation des pères est un énorme enjeu », il est urgent de créer des structures d’accompagnement facilitant l’inclusion des parents dans le processus éducatif de leurs enfants. Elle a ensuite développé une vision de la parentalité comme étant centrale dans l’éducation, affirmant qu’il « n’y a pas besoin de diplômes pour aider leurs enfants à la maison – ce qui aura des conséquences sur leur trajectoire scolaire. » Elle a ainsi plaidé pour des solutions innovantes, comme les plateformes de soutien en ligne, qui permettraient aux parents de se connecter plus facilement à des ressources pédagogiques adaptées.
De son côté, Mathilde Bourgerie, chargée de mission parentalité à l'UNAF – soit, « le porte-parole des familles auprès de l’Etat » -, a mis en lumière les défis spécifiques des familles populaires. Elle a rappelé que l'une des difficultés majeures pour ces familles est la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, notamment pour celles qui travaillent avec des horaires décalés. A ce titre, elle a souligné un chiffre marquant tiré de l’enquête : « 69% des familles interrogées déclarent devoir composer avec des horaires atypiques, ce qui rend l'accompagnement scolaire encore plus difficile. » Pour elle, il est essentiel que les politiques publiques reconnaissent ces réalités et mettent en place des dispositifs adaptés pour permettre à ces familles de mieux s’organiser sans compromettre l’éducation de leurs enfants : « Comment crée-t-on un réseau de professionnels autour d’un parent, pour échanger autour de ces problématiques ? »
Quant à Yamina Omrani, conseillère en politique familiale à la CNAF, elle a estimé que « les résultats de l’enquête Afev/Trajectoires Reflex confirment que les familles sont en grande difficulté face à un système qui ne leur propose pas de solutions adaptées. Nous devons aller au-delà des dispositifs standardisés et proposer des réponses spécifiques à ces parents souvent isolés et en souffrance. » Pour elle, il est essentiel que les dispositifs d'accompagnement soient accessibles et compréhensibles, et qu'ils tiennent compte des spécificités des familles des quartiers populaires, souvent éloignées des structures
institutionnelles : « On doit porter une politique publique qui s’inscrit dans une démarche préventive pour accompagner les parents. C’est important de le dire : c’est une politique universelle. »
Pour conclure, les intervenantes ont introduit le concept de « V.I.S.A » comme un cadre global visant à améliorer l'accompagnement des familles. Chaque lettre représente un pilier fondamental : V pour la Valorisation du rôle des parents, en reconnaissant leurs efforts et en renforçant leur place dans l'éducation de leurs enfants ; I pour l'Information, avec l'objectif de rendre les dispositifs d’aide plus accessibles et compréhensibles ; S pour le Soutien, en offrant un accompagnement moral et matériel adapté aux besoins des familles ; et A pour l'Accompagnement, en assurant une approche personnalisée qui respecte les spécificités de chaque parent. Le principe de non-jugement s'est également imposé comme une condition
essentielle pour établir un dialogue de confiance entre les parents et les institutions, permettant de sortir de la stigmatisation et d'encourager une meilleure participation des familles aux dispositifs proposés. Enfin, la transparence est venue également compléter cette liste d’actions et valeurs indispensables – soit une accessibilité accrue des ressources.
Monoparentalité : la "mère des batailles"
La deuxième table ronde s'est penchée sur la monoparentalité, un phénomène en constante augmentation qui concerne désormais une famille sur quatre en France. Les échanges ont révélé que ces familles, souvent composées de mères isolées, sont particulièrement vulnérables à la précarité économique et sociale. Le manque de soutien et l'isolement sont apparus comme des défis majeurs, nécessitant la mise en place de réseaux de soutien et de solutions collectives, comme le co-living, pour briser cet isolement. Emmanuel Davidenkoff a ouvert le débat en posant la question : « La monoparentalité est-elle devenue un nouveau modèle familial ? »
Stéphane Raffalli, maire de Ris-Orangis, a fait le lien entre les résultats de l’enquête et les réalités de terrain : « Nous avons 31% de familles monoparentales dans ma ville. Soit, six points au-dessus de la moyenne. Souvent, ce sont des familles nombreuses et pauvres, donc avec un cumul de difficultés. » Il a ajouté que les collectivités locales doivent jouer un rôle-clé pour fournir des services adaptés aux mères célibataires, qui sont souvent confrontées à l’isolement et à des difficultés économiques, et insisté sur la nécessité de créer des structures d'accompagnement spécifiques pour les mères isolées. Il a ainsi plaidé pour des
actions ciblées au niveau local, à l’instar de ce qui se pratique dans sa collectivité (avec la « création d’un statut communal de parent solo » et d’un « écosystème local favorable »), notamment la mise en place de réseaux de soutien dédiés aux mères isolées, pour les aider à concilier leur rôle de parent avec leurs obligations professionnelles.
Colombe Brossel, rapporteure de la mission du Sénat sur la monoparentalité (qui considère à ce titre qu’il est « absolument fondamental d’avancer sur la question du statut »), a également réagi aux résultats de l'enquête, en insistant sur le fait que l'isolement social est un problème majeur pour ces mères, et que beaucoup de ces familles n'ont pas de réseau de soutien. Elle a à son tour plaidé pour des mesures concrètes visant à intégrer ces familles dans des réseaux communautaires solides, afin de recréer du lien social et d’assurer un meilleur accompagnement éducatif des enfants. Elle a également souligné que la
monoparentalité expose souvent à des inégalités structurelles : « Les familles monoparentales (qui sont en réalité, pour 82%, des femmes seules) sont les premières victimes des discriminations économiques et sociales, et cela a un impact direct sur l’avenir de leurs enfants. D’ailleurs, 45% des enfants qui grandissant dans une telle famille vivent sous le seuil de pauvreté… » Elle a insisté sur le fait que l’action publique doit reconnaître ces disparités et offrir des ressources spécifiques aux familles monoparentales, tout en créant
des programmes d'insertion adaptés.
Enfin, Tara Heuzé-Sarmini, fondatrice de Commune coliving (« la première solution au monde de co-living exclusivement dédié aux familles monoparentales (…) de l’habitat partagé avec des services mutualisés ») a exposé les avantages de cette proposition concrète de logement collectif pour répondre à l’isolement croissant des mères célibataires. Le co-living, selon elle, est bien plus qu’une simple solution de logement : il constitue un cadre de vie qui permet aux mères monoparentales de tisser des liens sociaux forts tout en partageant les responsabilités parentales. En s’appuyant sur l’expérience de son projet, elle a également
mis en avant les résultats positifs observés en matière de bien-être et d’autonomie pour ces familles. Ces espaces de co-living permettent aux « parents solos de déposer leurs soucis à la porte », de sortir de l’isolement, de créer du lien social et de mutualiser certaines ressources, contribuant ainsi à alléger la charge mentale et matérielle qui pèse souvent sur eux. Ce modèle répond directement à un besoin criant mis en avant par l'enquête Afev/Trajectoires Reflex : l'isolement des mères monoparentales est un frein majeur à leur stabilité et à celle de leurs enfants (notamment en matière de logement).
Éducation et soutien parental : une clé pour l'avenir
La troisième table ronde a porté sur le rôle essentiel de l'éducation et du soutien parental dans la réussite scolaire des enfants – soit, sur le lien famille/école. Il a été souligné que, bien que les parents souhaitent s'impliquer davantage, ils sont souvent freinés par un manque de ressources et de temps. Les intervenants ont insisté sur la nécessité de renforcer les partenariats entre l'école et les familles, et de repenser les dispositifs de soutien pour les rendre plus inclusifs et accessibles.
Chloé Riban, enseignante-chercheuse qui a réalisé un travail ethnographique pendant deux ans dans un quartier prioritaire de la ville (L’école dans le quotidien de mères de familles populaires immigrées, Presses universitaires de Rennes), a insisté sur la nécessité de replacer le rapport des parents à l’école dans le contexte de leurs parcours de vie, marqués par des ruptures sociales et économiques souvent profondes. Ces trajectoires influencent directement la manière dont ces familles interagissent avec l’institution scolaire : « Ce que nous observons, c’est une ambivalence dans la relation entre les parents et l’école. Il y a, d’une part, beaucoup d’attentes vis-à-vis de l’institution, et d’autre part, une méfiance liée à un sentiment d’être jugé ou incompris. » Elle a décrit comment ces parents oscillent entre proximité et distance par rapport à l’école : « Ils sont très présents quand il s’agit d’activités collectives, mais dès qu’il faut se présenter en tant que parents face à l’institution, ils se sentent démunis et parfois illégitimes. » Ce rapport complexe montre la nécessité de repenser l’accueil des familles populaires dans le système éducatif. Elle a donc plaidé pour la création de cadres plus accueillants et non stigmatisants, afin que ces familles puissent participer pleinement à la scolarité de leurs enfants sans ressentir de jugement ou de marginalisation. La compréhension des réalités sociales et des parcours de vie des parents est, selon elle, une clé essentielle pour améliorer la relation école-famille et permettre aux parents de s'investir pleinement, en étant soutenus et reconnus dans leur rôle éducatif.
Catherine Becchetti-Bizot, médiatrice de l’Éducation nationale, (et recevant à ce titre « des saisines des usagers : des parents d’élèves, des étudiants, mais aussi des personnels ») s’est étendue sur la nécessité de repenser la relation famille/école, en mettant l’accent sur l’écoute et le dialogue. Selon elle, les parents, notamment ceux des milieux populaires, se sentent souvent exclus des processus éducatifs en raison d’un décalage entre les attentes de l’institution scolaire et les réalités qu’ils vivent. Elle a évoqué l’importance de développer des espaces où les parents pourraient exprimer leurs difficultés sans craindre d’être jugés, et souligné que ce sentiment d’exclusion est souvent renforcé par des démarches administratives complexes, ou par la méconnaissance des codes de l’institution scolaire. Elle a également évoqué les défis rencontrés par les enseignants eux-mêmes, parfois démunis face à des familles en détresse sociale. Ces difficultés des enseignants doivent être reconnues et prises en compte dans la gestion des relations avec les parents. Pour elle, la clé d’une meilleure collaboration entre l’école et les familles réside dans l’instauration d’un
climat de confiance réciproque, où les souffrances des parents et des équipes pédagogiques sont comprises et respectées. Et à ce titre, les associations jouent un rôle important : « Elles sont des tiers extérieurs, ne sont pas à l’intérieur du système mais à côté, éventuellement partenaires et complémentaires. »
Enfin, Jérémie Fontanieu, professeur de Sciences économiques et sociales à Drancy, a partagé son expérience de terrain, marquée par une méthode qu’il a baptisée Réconciliation, et qui vise à créer une alliance éducative concrète et opérationnelle entre les enseignants et les parents, particulièrement dans les quartiers populaires. Cette approche est née de son propre sentiment d'impuissance face à des élèves peu motivés et en difficulté, ce qui l'a conduit, presque par accident, à solliciter l’aide des familles. « Très souvent, dans notre formation d’enseignants, on n’imagine pas que les parents puissent être des partenaires. Moi-même, je ne l’imaginais pas au début. » Concrètement, il s’agit de contacter les parents
dès le début de l'année, de manière individuelle, pour établir un partenariat fondé sur la confiance et la coopération. Cette communication régulière et positive, avant même que les problèmes n'apparaissent, transforme la relation parents-professeurs et crée une dynamique de confiance – ce qui change tout : « Toutes les familles deviennent petit à petit des partenaires formidables », grâce à la dimension horizontale ainsi explorée. « Il faut descendre de notre piédestal, parler aux familles de manière horizontale et créer une relation humaine, et non institutionnelle. »
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