Si la prise de conscience par les établissements d’enseignement supérieur de leur responsabilité au regard des enjeux sociaux et des territoires dans lesquels ils s’inscrivent est récente, le contexte semble paradoxalement favorable aujourd’hui, malgré la crise économique, au développement d’actions significatives dans ce domaine, et ce pour de multiples raisons : le passage à l’autonomie avec la LRU, la suite du Plan Campus, la recomposition du paysage universitaire voulu par la loi du 22 juillet 2013, les initiatives qui se multiplient localement, de plus en plus en lien avec les collectivités locales...
Certes, les progrès ne sont pas aussi rapides et visibles que certains pourraient le souhaiter : quelles en sont les raisons ? De quels leviers dispose-t-on pour diffuser une culture environnementale et sociétale dans un paysage universitaire en pleine évolution ? Le concept de responsabilité sociale des universités (RSU) d’émergence récente dans le débat public, se traduit souvent par des actions insuffisamment structurées, liées aux différents champs d’action et publics mobilisés, sans impliquer la communauté universitaire dans sa globalité. Il est toutefois un domaine qui a connu des avancées significatives, c’est celui de la responsabilité environnementale.
Dans la droite ligne du Grenelle de l’environnement initié en 2007, certaines universités se sont progressivement impliquées en faveur de la prise en compte de l’impact environnemental de leur activité et dans l’élaboration d’un « Plan vert » pour les campus, assorti d’un référentiel permettant de le mettre en œuvre concrètement. Dans un souci d’adaptation au contexte universitaire, cet outil de pilotage commun aux universités et aux grandes écoles a pris en considération les principales composantes de leurs activités : stratégie et gouvernance/ politique sociale et ancrage territorial/ enseignement et formation/ activités de recherche/ gestion environnementale.
Mais le domaine de l’enseignement supérieur de par la spécificité de ses missions, par le public qu’elle forme, par la recherche qu’elle développe, par l’importance des surfaces qu’elle occupe, et par son ancrage sur les territoires, justifie une approche des enjeux sociétaux qui dépasse largement la seule dimension de préservation de l’environnement ou de réalisation d’économies d’énergie.
A cet égard, la comparaison des problématiques liées aux politiques relevant de la RSU, d’une part, et de la vie étudiante, d’autre part, permet d’établir des similitudes intéressantes : les thématiques qui les portent ont mis du temps à émerger dans les réflexions stratégiques des universités, elles se sont longtemps heurtées à des obstacles culturels, en ce qu’elles ne semblaient pas constituer un enjeu prioritaire pour le développement des établissements ; enfin, elles mettent en relation, de façon peu ou insuffisamment structurée, un grand nombre d’acteurs, en interne comme en externe.
La vie étudiante s’inscrit comme un point fort de l’axe « politique sociale et ancrage territorial » du Plan vert. Il y est question d’aide aux étudiants d’origine modeste, de soutien aux associations d’étudiants et à des projets de solidarité, d’intégration des handicapés, l’ensemble se voulant avant tout opérationnel et pragmatique. Le développement d’une vie de campus devrait être l’occasion de faire prendre conscience aux acteurs de leur responsabilité sociale à l’égard de leur propre établissement et de la communauté qui l’incarne, mais aussi de la société civile. Or, les étudiants se mobilisent peu au service de leur établissement, voire même ne ressentent aucun sentiment d’appartenance en dehors de leur composante de proximité.
En réalité, les universités se heurtent à une difficulté structurelle, qui renvoie au faible nombre de campus intégrés auxquels les étudiants seraient enclins à s’identifier comme communauté de vie. Aujourd’hui, la vie étudiante s’inscrit dans un espace le plus souvent éclaté, marqué par une organisation et une gouvernance complexes entre services centraux, composantes délocalisées et CROUS, qui ne correspond pas vraiment à ce qui caractérise dans le monde anglo-saxon ou le nord de l’Europe, la notion de « campus » : la dispersion géographique des sites, la tradition facultaire, la différenciation croissante des publics, la spécificité de la vie étudiante selon les filières d’études, expliquent notamment qu’il soit plus complexe aujourd’hui qu’hier de connaître et donc de répondre aux attentes des étudiants au regard des établissements qui les accueillent.
Les dernières enquêtes de l’OVE réalisées sur les conditions de vie confirment à cet égard les évolutions de la population étudiante, notamment dans son appréhension des questions liées à la qualité de vie sur les campus. La diversification croissante de cette population entraîne des comportements et des attentes très différents liés à de multiples facteurs : le genre, l’âge, la filière d’études, l’origine sociale, le territoire….Il est ainsi frappant que 12% seulement des étudiants se sentent pleinement intégrés dans leur université, et que la plupart expriment un attachement très relatif à leur établissement conçu comme lieu de vie. Les services qui leur sont proposés sont mal connus, voire non identifiés.
Pourtant, la gestion exemplaire des campus pourrait constituer un bon exemple de qui serait susceptible de mobiliser les étudiants sur ces nouveaux enjeux, pas seulement sur les infrastructures et les locaux, mais aussi plus largement, sur la gestion de l’établissement, la gouvernance. La formation des étudiants à une conscience sociale et environnementale relève bien de la responsabilité des universités, plus exactement de leur triple vocation de formation, de recherche, et de gestion du patrimoine et des ressources humaines.
Les récentes analyses et enquêtes auprès des étudiants convergent pour montrer l’importance d’impliquer davantage les étudiants sur les enjeux environnementaux et sociaux : tout en considérant le concept positif et porteur d’avenir, près de 80 % d’entre eux conservent une approche très « environnementale » liée à la préservation des ressources naturelles, ils sont concrètement peu impliqués tout en exprimant des attentes en faveur de campus gérés au quotidien de façon exemplaire, d’enseignements qui intègrent systématiquement la dimension DD, d’interlocuteurs identifiés sur les campus….
Un autre exemple permet d’illustrer le lien entre vie étudiante et responsabilité sociale, c’est l’engagement bénévole des étudiants au sein d’associations ; de nombreux accords ont été conclus dans les universités, une charte a été signée en 2011 avec les organisations étudiantes représentatives, pour favoriser le développement de la vie associative et l’engagement étudiant. Mais le constat aujourd’hui est encore celui d’une grande prudence dans la reconnaissance concrète des compétences acquises par les étudiants bénévoles, alors que ceux-ci pourraient être davantage sollicités au côté des étudiants potentiellement décrocheurs par exemple ou en accompagnement des bacheliers issus des filières professionnelles et technologiques qui peinent à s’adapter au contexte de la première année d’études supérieures.
Si les ambitions sont grandes, si les enjeux sont reconnus comme majeurs pour l’avenir du pays, les avancées réalisées à ce jour dans les universités sont à l’évidence encore modestes. En réalité, ce qui semble manquer aujourd’hui, c’est une véritable stratégie d’établissement qui permettrait de faire le lien entre toutes les initiatives, qu’il s’agisse de formation, de gouvernance ou de vie de campus. La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013, en mettant en place les communautés d’universités, appelle à une recomposition en profondeur du paysage universitaire au niveau des territoires, bien au-delà des missions traditionnelles de formation et de recherche des établissements : certains y voient une nouvelle opportunité de fédérer les énergies autour de la responsabilité sociale des universités à l’égard de leurs ressources, qu’elles soient liées à leur environnement, aux personnels qui y exercent leur activité ou encore à leurs étudiants, présents et futurs.
Cette dynamique de rapprochement des établissements d’enseignement supérieur qui aujourd’hui s’accélère, qu’elle s’appuie sur la fusion, l’association et demain les communautés, ouvre de nouvelles perspectives en mettant en évidence des pratiques différentes, d’éventuelles avancées, mais parfois aussi des retards dans le domaine de la RSU. Le fait de remettre à plat les structures, d’effectuer des états des lieux comparatifs, d’harmoniser les bonnes pratiques, de mutualiser les forces en matière d’expertise, peut constituer un atout précieux pour capitaliser les compétences acquises et élargir la prise de conscience des acteurs sur leur responsabilité sociale notamment à l’égard des territoires.
La RSU conçue comme élément stratégique à part entière dans les projets des universités, peut donc être un facteur puissant d’innovation dans un contexte de forte évolution de nos modèles de développement universitaires. Cette approche doit bien sûr trouver sa place dans les instances de gouvernance des établissements, mais elle doit aussi favoriser le développement concret des actions de terrain qui peuvent être très diverses et mobiliser au quotidien l’ensemble des acteurs et au premier chef, les étudiants ; elle doit enfin se traduire dans les contrats de site en cours d’élaboration avec l’Etat, mais aussi dans les schémas territoriaux de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche, élaborés avec les collectivités locales, en lien avec les organismes de recherche et les partenaires du monde socio-économique.
Monique Ronzeau, présidente de l’Observatoire de la Vie étudiante
Contribution ORSU
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