Michel Kokoreff : « La voie reste étroite pour les jeunes des quartiers »

10 ans après les violences urbaines de 2005, quelle est la place aujourd'hui de la jeunesse des quartiers populaires ? Comment est-elle perçue ? En mars 2010, une enquête Afev-Audirep conduite par l'Observatoire de la jeunesse solidaire révélait que plus de la moitié des français avait une image négative de la jeunesse.  

Entretien avec le sociologue Michel Kokoreff qui insiste sur la volonté d’intégration des jeunes des quartiers, malgré la pression d’une société qui leur demande d’être toujours plus irréprochables que les autres jeunes.

 

Dans vos travaux, vous évoquez l’aspiration des jeunes des quartiers à une «vie normale» : accès à l’emploi, logement... Quelle est votre réaction au sondage présentant les jeunes comme « pas actifs » (62%) pour s’insérer ?

Michel Kokoreff : Ce qui m’a effectivement frappé au cours de mes enquêtes sur le terrain, c’est la centralité de la valeur travail parmi les jeunes adultes, disons les 20-25 ans. Il s’agit bien d’enfants d’ouvriers ou d’employés ayant vécu dans des familles aux revenus et aux perspectives d’avenir modestes. Certes, il y a un profond rejet de la condition ouvrière, comme l’a montré le travail de Stéphane Beaud. Mais ceux que j’ai rencontré dans des zones urbaines se débrouillaient pour « tafer ». Avec ce dilemme majeur : si le bizness [de la drogue, NDLR] comme alternative illégale à la réussite sociale ne mène à rien sinon à la prison, la poursuite de sa scolarité, jusqu’au bac et après, conduit aussi à la précarité relative, notamment du fait des discriminations à l’embauche. Délit de faciès et délit d’adresse se conjuguent. La voie est donc étroite ! Les emplois qu’ils occupent sont instables, mal rémunérés et peu gratifiants. Malgré cela, ces individus aspirent aux standards de vie des classes moyennes. Sans cesse renvoyés à l’image des quartiers, au stigmate, les plus actifs d’entre eux cherchent à échapper aux pièges qui leur sont tendus et à prendre place dans une société qui a pourtant tendance à les laisser en marge.

Dans quels autres domaines que l’emploi cette volonté de trouver sa place se concrétise-t-elle ?

Michel Kokoreff : Ces jeunes des quartiers sont non seulement très lucides sur leurs conditions d’existence et perspectives d’avenir, mais actifs à travers des initiatives locales, des actions associatives ou des engagements citoyens qui les conduisent au bord du politique, là où d’autres barrières existent, aussi bien sociales, générationnelles, raciales que sexuées On l’a vu récemment avec l’exemple d’Ali Soumaré : le coût d’entrée en politique pour des jeunes hommes français d’ascendance immigrée est élevé. On pourrait parler d’hyperintégration, tant ceux/celles sont qui sont discriminé-e-s semblent devoir en faire plus que les autres. Cela explique qu’en dépit de la « force des quartiers », ces barrières suscitent le découragement, le ressentiment ou le repli, même si c’est de façon intermittente. Dernier ouvrage : "La drogue est-elle un problème ?" Usages, trafics, politiques, Payot, 2010 Interview publiée sur l'Observatoire de la jeunesse solidaire (mars 2010)

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