Lycées pros, alternance... Trois questions à Céline Calvez, députée

Depuis la publication de notre dernier dossier « Réforme de la voie professionnelle : le point de vue de l'Afev » un rapport « La voie professionnelle scolaire – Viser l'excellence » a été remis, le 22 février 2018, au Ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer. Ce rapport propose « neuf leviers » pour offrir à l'enseignement professionnel « une attractivité retrouvée », « une efficacité accrue » et « une ouverture possible vers d'autres parcours ». Rencontre avec Céline Calvez, députée LREM depuis juin 2017 et co-auteure du document, avec le chef étoilé Régis Marcon.

Comment mettre tous les acteurs de la voie professionnelle autour de la table, pour rationaliser et donner à l'ensemble des filières de cet enseignement une meilleure visibilité ?

Réorganiser les formations en fonction des différents métiers n'est pas un processus susceptible d'être décidé puis imposé de manière « descendante ». Il a fallu au contraire permettre de discuter ensemble y compris des personnes qui ne sont pas forcément associées aux quatorze Commissions professionnelles consultatives (CPC), instances organisées par secteurs et au sein desquelles l’Éducation nationale échange avec les branches professionnelles. Jusqu'ici, la tendance allait plutôt à l'inflation, à la création tous azimuts de diplômes plutôt qu'à la refonte ou à la suppression concertée de certains : aujourd'hui, environ 200 CAP et 100 bacs pros existent, que personne n'est capable d'énumérer de manière exhaustive. Qui plus est, 3 bacs pros regroupent un tiers des élèves, alors que d'autres peu populaires préparent à des métiers en tension, qui recrutent énormément (chaudronnerie, soudure...). Il s'agit de faire appel au sein des CPC à des décideurs mieux connectés avec leurs propres corps de métiers, sous une forme à imaginer collectivement, afin de réduire le nombre de spécialités (en supprimant celles qui ne correspondent plus à une réalité économique) et de les regrouper pour leur assurer une meilleure visibilité. Il s'agirait ainsi pour les élèves de seconde, de choisir une famille de métiers plutôt qu'un métier en tant que tel, pour affiner par la suite, en contact direct avec le monde professionnel. Même les Allemands, modèles cités en permanence sur ces questions, remettent progressivement en cause l'hyper-spécialisation, dans un monde où l'avenir des métiers comme des technologies semble moins figé que jamais – et où la nécessaire acquisition de compétences transversales, comme l'hypothèse de reconversion en cours de carrière, deviennent moins théoriques qu'autrefois. Ainsi, nous nous sommes donné l'objectif de faire évoluer les choses dès la rentrée de septembre 2018, puis de refondre l'ensemble des filières à l'horizon 2019. Un objectif ambitieux, certes, qui me semble pourtant trouver déjà une réelle résonance chez les professionnels que nous avons pu rencontrer.

Comment faciliter l'accès et assurer la réussite aux élèves et étudiants engagés dans cette voie, aussi bien dans la sphère professionnelle qu'au sein de l'enseignement supérieur ?

Ouvrir les portes de l'Université pour que les gens se plantent au bout de trois ans ne présente pour moi aucun intérêt. Or des élèves rencontrés récemment à Trappes n'ignorent pas les réalités, qui malgré des projets souvent bien pensés nous ont dit : « Quand on n'a pas de devoirs en bac pro, on se plante en BTS ». En effet, si on traite de la même façon ceux qui désirent poursuivre leurs études et ceux qui veulent s'insérer directement dans l'emploi, on ne sera utile ni aux uns ni aux autres. En découle le choix du moment de les consulter sur leurs projets : cela doit-il être en fin de première, ou mieux encore en novembre/décembre de l'année de terminale ? Et d'envisager surtout un réel accompagnement : « Ok, si tu veux poursuivre tes études, as-tu choisi la bonne formation ? Bien compris qu'en termes de méthodologie, tu vas devoir acquérir ceci ou cela ? Qu'alors tu renonces peut-être à une insertion niveau bac qui pourrait aussi t'apporter ? » En bref, que les décisions soient prises en toute connaissance de cause. On a pu constater que pour la même filière, des bacs pros diplômés s'inséraient parfois beaucoup mieux que des étudiants partis en BTS mais qui décrochent au bout de six mois. Certaines filières, comme « « Gestion/Administration » (GA), posent également un vrai souci : 80 000 personnes y sont inscrites – dont une très grande majorité de filles -, avec de mauvais taux d'insertion comme de poursuite d'études, et des jeunes formés qui souvent ne répondent pas aux attentes des professionnels. Quand on soulève la question, certains acteurs nous rétorquent que si on supprimait la filière, « on ne saurait pas où les mettre », pas plus les élèves d'ailleurs que les professeurs dédiés – ce qui n'est évidemment pas une réponse satisfaisante, d'autant qu'il m'apparaît que certaines pistes n'ont pas été suffisamment exploitées, comme celle de la GA numérique. Plus généralement, le nœud du problème me semble résider dans le fait qu'à l'heure actuelle, soit on forme des gens insuffisamment qualifiés (parce que nous n'avons pas réussi à les faire suffisamment s'intéresser à leur formation), soit on pousse tout le monde, indistinctement, à poursuivre jusqu'à un bac +5 (alors même que les professionnels se plaignent de ne pas disposer de suffisamment de diplômés bac +2, de niveau « techniciens »). A force de ne pas vouloir faire de l'adéquationnisme, on a produit du désadéquationnisme. Il s'agit désormais de redonner (voire « garantir ») par exemple les places en BTS à ceux qui s'y épanouiraient le mieux, et de les accompagner.

Comment améliorer les synergies entre lycées professionnels et établissements dédiés à l'apprentissage, sans que les uns prennent le dessus sur les autres ?

C'est ce que nous devons réussir, là, maintenant. La réforme de l'apprentissage a été présentée, nous voulons développer les parcours mixtes en favorisant ces synergies, multipliant les rencontres. Idéalement, les élèves séduits par l'apprentissage devraient pouvoir passer plus de temps au lycée la première année, puis progressivement de plus en plus dans l'entreprise, tandis que ceux qui préféreraient s'investir au lycée pourraient se lancer dans l'élaboration de projets à trois ou quatre au sein même de l'établissement (par exemple au sein d'incubateurs d'entreprises). L'expérience de Talents des cités l'a en effet prouvé : ceux qui ont créé une boîte au moment des études, même sans avoir été couronnés de succès, sont aisément employables. L'enjeu immédiat est le suivant : comment intégrer cette réforme de simplification de l'apprentissage en y engageant les branches tout en faisant en sorte que l’Éducation Nationale y prenne toute sa place ? Cela passe par la multiplication des Unités de formation d'apprentis (UFA) au sein des lycées professionnels, et par la garantie d'offrir aux jeunes une réelle possibilité de choix. Sur ce point, le livre Apprentissage : ce que veulent les jeunes et les entreprises de Dominique Ledogar, me semble proposer une méthodologie d'accompagnement tout à fait intéressante, axée sur la pédagogie proactive – soit, placer les besoins des entreprises au cœur de la formation. Propos recueillis par Eunice Mangado-Lunetta et François Perrin

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