Ludivine Bantigny : « La mauvaise image des jeunes, une tendance structurelle »

Dans le cadre de l’enquête Afev-Audirep de l’Observatoire de la jeunesse solidaire portant sur "le regard des français sur les jeunes" publiée en mars 2010, révélant -entre autre- que 51% des français ont une image négative des jeunes, l’Afev a interrogé un certain nombre d’acteurs pour réagir à ces chiffres, et notamment sur leur investissement dans la société. Ludivine Bantigny, historienne, auteure de : "Jeunesse oblige, Histoire des jeunes en France XIXe-XXIe siècle", PUF, 2009

Un Français sur deux qui dit avoir une image négative des jeunes, c’est le signe d’une société inquiète, vieillissante, ou c’est une constante dans les représentations sociales de la jeunesse dans notre pays ?

Ces chiffres ne me surprennent pas. Je suis plus frappée par l’équilibre strict entre les Français qui disent avoir un regard positif et ceux qui avouent un regard négatif : c’est vraiment une tendance structurelle, tout au long du 20e siècle. A la fois le regard sur une jeunesse saine, porteuse d’avenir, de régénération – un mot qui contient en lui-même le rappel des nouvelles générations. Et en même temps, cette image contraire d’une jeunesse inquiétante, menaçante dit beaucoup sur une société inquiète pour son avenir. On peut penser aux « Apaches » des années 1900-1910, aux « blousons noirs » dans les années 50 puis aux « loubards ». Aujourd’hui les « casseurs »…

Quand six Français sur dix jugent les jeunes "peu responsables", "peu réalistes", on a l’impression qu’ils voient les jeunes comme il y a 40 ans…

Il y a vraiment une cristallisation, qui relève du préjugé, sur le manque de réalisme ou de lucidité des jeunes, leur idéalisme, leur utopie, leur prédisposition à la rébellion… Préjugés que viennent démentir toutes les enquêtes menées sur les jeunes ! Certaines générations ont pu, en effet, être plus idéalistes, et du coup plus à gauche – on pense évidemment à la jeunesse de Mai 68 – mais ce n’est pas le cas de tous les jeunes : même à l’automne 1968, les enquêtes menées à chaud montrent une jeunesse lucide sur sa situation, qui veut s’intégrer dans le monde du travail, très éloignée des utopies contestataires portées au printemps. Les chiffres du sondage qui évoquent des jeunes « non-conformistes » relèvent de même du préjugé : cette image d’une jeunesse comme valeur de renouvellement, de détachement par rapport à la normativité sociale, est tout sauf exacte !

Les représentations médiatiques des jeunes n’ont-elles pas toutefois empiré au cours des dernières années ?

Je n’ai pas l’impression. Si on prend le cas des blousons noirs dans les années 50, c’est une pure invention médiatique. Evidemment, il y a eu quelques petits faits divers commis par des mineurs, mais l’inquiétude sur la délinquance juvénile a été très exagérée. Cela fait partie selon moi des thématiques médiatiques favorites, surtout quand on a peu de choses à dire par ailleurs… Cela dit, l’inverse est vraie : la sollicitude médiatique sur la jeunesse et son avenir, on la retrouve aussi tout au long de l’histoire récente, y compris dans des périodes considérées comme plutôt fastes économiquement. Au cœur même des Trente Glorieuses, on s’inquiète du chômage des jeunes… Après, ce qui est nouveau depuis dès les années 80, c’est la dimension plus « ethniciste » de la vision de la jeunesse, qui renforce encore les peurs que certains peuvent ressentir à l’égard d’une jeunesse vécue comme totalement autre. Propos recueillis par Paul Falzon-Monferran Crédit photo Astrid di Crollalanza

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