Colloque KAPS Lille 2/4
Le 16 janvier, au Gymnase de Lille, se tenait une rencontre nationale de l'Afev consacrée à "la colocation solidaire – Une nouvelle façon d'habiter et d'impliquer les étudiants dans le territoire." L'occasion de donner la parole à des élus, chercheurs, responsables de l'association, mais avant tout aux "kapseurs" eux-mêmes, étudiants impliqués dans ce mode original de colocation, venus de toute la France. Retour sur les résultats d'une enquête menée par la psychosociologue Joëlle Bordet et sur les pistes d'amélioration pour l'avenir.
Concernant la « note de synthèse d'évaluation des Kaps, colocations étudiantes mises en œuvre par l'Afev », confiée en 2018 à la psychosociologue Joëlle Bordet et au psychologue Giuseppe Carollo, avec le soutien de la Fondation Macif et du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), la directrice des programmes de l'association, Eunice Mangado-Lunetta a insisté sur le fait qu'à l'Afev, si l'engagement des jeunes était au cœur des préoccupations, « l'engagement des jeunes qui produisent quelque chose sur le jeune lui-même, sur l'habitant et, dans le cas des Kaps, sur les territoires » l'était plus encore. D'où l'intérêt à la fois d'analyser « ce que ça change concrètement, les Kaps », et de « discuter au long cours avec un tiers, capable de se trouver à la croisée des chemins entre quartiers prioritaires, engagement des jeunes, et tous les thèmes liés à cet objet hybrique que sont les Kaps. » Un travail mené avec Joëlle Bordet, présente à ses côtés à l'occasion de cette journée de réflexion.
Premier résultat de cette évaluation, réalisée en immersion : « Il n'y a pas qu'un modèle de développement des Kaps, mais des modèles divers liés à des contextes de développement très variés. » Mais également « de grandes inégalités chez les jeunes kapseurs eux-mêmes, dans la capacité à mener de front un projet, à être autonomes. » D'autant que si, « dans tous les projets de l'Afev, il faut des étudiants, des quartiers à besoins sociaux, et des salariés de l'Afev faisant à la fois de l'ingénierie et de l'animation sociale ; pour les Kaps, il faut aussi des logements et des gens qui font de la gestion locative, ce qui augmente la complexité du partenariat. » Ce que Joëlle Bordet a immédiatement confirmé, après avoir remercié l'Afev pour avoir permis « ce travail sur trois ans, mêlant confiance, temps et coproduction. » Pour elle, il était important d'évaluer le processus plutôt que de réaliser une mesure d'impact à proprement parler, afin de créer des indicateurs sur la base d'un vocabulaire précis créé au fil des observations. Une démarche cruciale à l'heure où l'association souhaite multiplier les Kaps. « Continuer à aller travailler dans les coins aveugles, tout en gardant des processus vivaces sans se fermer à l'initiative, ce n'est pas facile. Surtout quand on élargit. »
Prospectives
Concernant ces enjeux d'avenir, Joëlle Bordet a indiqué l'importance d'un contexte politique particulier, celui de la loi Elan : « Qu'est-ce que cela va produire sur le logement social ? Les bailleurs sociaux vont-ils encore pouvoir aller sur ce type d'initiatives ? » Pour elle, la loi Elan « produit du stock, c'est-à-dire l'inverse d'une trajectoire résidentielle. » il faut donc « se mettre au travail avec les bailleurs sociaux » pour trouver, dans ce contexte, l'angle idéal de développement des Kaps. « De la même façon, qui sait ce que sera la politique de la ville dans trois ans ? » Dans un contexte de « modifications considérables de la notion de politique publique, et de l'évaluation de leur efficacité », ces questions ne peuvent aucunement être ignorées. Ainsi, « si vous souhaitez miser sur l'élargissement, il faut pouvoir mener un travail stratégique d'anticipation », a-t-elle averti.
De la même façon, il s'agit de se poser la question du hors-système, de la volonté assumée par certains jeunes de « ne pas appartenir au système » (quand d'autres, « très conformistes, ont peur de découvrir la société, et le font parfois à travers une expérience de kapseur »), ainsi que des « interstices de la ville, des interstices du foncier, qui permettraient de lever des initiatives. » Pour elle, « être aujourd'hui toujours dépendant des acteurs de l'action publique, cela clôt aussi les initiatives. » S'interroger aussi sur la question des jeunesses : « Je ne crois pas qu'il y a une seule jeunesse, et dans tous les cas les jeunesses sont souvent mal connues, par exemple dans leur sensibilité à l'éco-citoyenneté. »
Au cours de son intervention, Joëlle Bordet a également souligné l'importance de la question « Qui habite les kaps ? », constatant la résignation à la non-décohabitation de jeunes issus de milieux populaires - le public de kapseurs qu'elle a découvert s'avérant majoritairement issu de la "petite" classe moyenne (« et très rarement de la bourgeoisie, ce qui est sans doute aussi une erreur ; il faut élargir le spectre vers toutes les jeunesses »). Lors de l'évaluation, sont également apparues une quantité d'universités (exception faite du cas de l'Université Toulouse-Jean-Jaurès, très impliquée) « qui non seulement n'affichaient pas de demande pour les kaps, mais se trouvaient très embêtées même de savoir que des kaps existaient sur leur territoire. » D'où l'intérêt de renforcer les liens entre l'Afev et l'Université, au même titre que ceux entre l'association et les bailleurs sociaux (« qui, bien souvent, se limitent à leurs problèmes de bailleurs sociaux, quand l'enjeu ici est autrement plus vaste. ») Et d'impliquer, profondément, les acteurs politiques, particulièrement au niveau des municipalités : « L'Afev a en effet, a-t-elle conclu, la légitimité pour mettre tous ces gens autour d'une table, afin de mettre en place une réelle co-responsabilité entre partenaires. »
Lire la suite : "D'où viennent les Kaps ? Vers où vont-elles ?"
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