L'égalité des chances ou la politique de bonne conscience ?

Il faudrait qu’on ne puisse plus reprocher à la République de ne pas permettre à l’ascenseur social de fonctionner. Il ne faut plus que des « jeunes issus de milieux défavorisés » puissent encore dire qu’ils sont les laissés pour compte de la massification scolaire. Il faut en même temps, nous dit-on, sortir de l’illusion égalitariste, ce vieux mythe à qui l’on doit tous les conservatismes de l’Education nationale. Il faut arrêter de faire « la même chose pour tout le monde », parce que les discriminations demeurent, se renforcent, et empêchent de faire émerger les talents… Il faut donc promouvoir l’égalité des chances. Jusque-là, je suis d’accord. J’ai même, avec beaucoup d’autres, participé à des dispositifs pour inciter les élèves à se délivrer de l’autocensure et de leurs propres préjugés, à sortir du « ghetto mental » qui se crée avec les générations, et qui, entre tous, est le plus solide. Il est incontestable qu’il faut « hisser » certains jeunes, et avoir de l’ambition à leur place, dans un premier temps, pour qu’ils soient enfin décomplexés, et après eux, leurs frères et sœurs, leurs proches, leurs camarades de classe… L’effet tâche d’huile. Soit. Mais lorsqu’on s’intéresse aux décisions qui sont prises, on s’aperçoit qu’elles ont deux objectifs principaux : le premier, faire émerger une élite visible issue des milieux populaires, une élite colorée, diversifiée, et mixte (tiens, on en parle moins de cela d’ailleurs…). On emploie alors les mots à la mode : réussite, mérite, excellence pour tous : c’est l’essentiel de la politique sur l’égalité des chances.

Tu n'as pas saisi ta chance, tu as échoué, tant pis pour toi

Et puis il y a l’aide, le soutien, l’accompagnement, des dispositifs pour aider les plus fragiles à s’en sortir, de l’école primaire jusqu’à l’université. L’Ecole se voit à nouveau confier la mission d’éviter l’exclusion, de faire réussir les plus faibles. On lui reconnaît donc des vertus que par ailleurs on lui renie (passons sur les coupes budgétaires dans l’éducation, la recherche, le milieu associatif, etc.). Un double discours bien connu désormais. Entre les lignes, le message est pourtant clair : à ceux qui ne parviendraient pas à s’en sortir, qui seraient tentés de descendre dans la rue, de brûler des voitures, de prétendre à une reconnaissance, on prépare une réponse cinglante… on ne pourra plus reprocher à la République de ne pas s’être intéressée à eux. Ils n’auront pas su saisir leur égale chance…C’est ainsi que la nouvelle élite républicaine ne servira que de cache-misère à nos consciences si derrière cet arbre emblématique, cette idée louable, personne n’entre enfin dans la forêt de la jeunesse, dans les méandres des quartiers, dans la requalification des zones enclavées, dans cette norme qui n’est ni « très fragile », ni « excellente », dans cette classe moyenne scolaire qui se sent bien seule, et inquiète. Nathalie Broux, professeure au Lycée du Bourget et au Microlycée 93 Crédit photo Flickr CC Desdibuix

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