Dans un contexte marqué par la montée de la radicalisation et des violences terroristes, le Lab' Afev a voulu interroger les initiateurs d'un mouvement aux Etats-Unis qui invite à regarder notre Histoire en face pour mieux appréhender le présent.
Facing History and Ourselves est une ONG qui a pour objectif de développer l’esprit critique chez les collégiens et lycéens afin de former des citoyens ayant les compétences et capacités requises pour participer à l’épanouissement d’une société civile démocratique. Dans ce but, elle offre des ateliers de formation et des ressources pratiques. Entretien avec Karen Murphy, directrice du département international de Facing History and Ourselves, sur la situation de la France en cette période affectée par les attentats de janvier et de novembre 2015.
D’où est né Facing History and Ourselves ?
« Facing History and Ourselves a été fondée à Boston en 1976, et fête bientôt son 40ème anniversaire. L’objectif de notre association est de former des jeunes citoyens qui ont les capacités et les compétences nécessaires pour nourrir et renforcer la démocratie et la société civile. Nous le faisons à travers l'éducation. La majorité de nos efforts sont concentrés sur des séminaires de formation pour les enseignants. Nous les formons à travers des ateliers interactifs qui présentent notre contenu et notre méthodologie reposant sur un programme d'études. En effet, nous nous appuyons sur des études de cas d’histoire qui explorent des événements historiques particuliers et le comportement humain qui les anime. Comme l’indique notre nom, notre méthodologie invite les élèves à faire les liens essentiels entre l'histoire et eux-mêmes, leurs décisions et choix de comportement aujourd'hui. »Comment percevez-vous l’état de la société française notamment, dans une période post-Charlie ?
« La période post-Charlie est fragile pour la France. La société française fait face à de multiples problèmes qui découlent des événements de janvier et de novembre 2015. On peut observer une augmentation constante des tensions entre groupes (et parfois cela s’exprime par la violence) en France, comme dans d'autres parties du monde. Il y a une dimension mondiale à ces tensions et ces violences. La France semble réagir à la période post-Charlie de plusieurs façons, je pense au travail des organisations de la société civile comme l’Afev mais aussi, en général, à des activités dans le secteur de l'éducation. Je crois que les écoles et les enseignants ont un rôle essentiel à jouer dans le développement des citoyens, et que les enseignants ont besoin d’outils pratiques mais aussi d’une formation professionnelle pour faire ce travail important. L’école, et la classe elle-même, sont des espaces civiques ! Les élèves ont la possibilité en classe d’apprendre et de pratiquer l'engagement civique. Cela signifie que les salles de classe doivent devenir des espaces protégés et des espaces encourageant la réflexion. La classe devient alors un lieu où les élèves apprennent à poser des questions, à écouter différents points de vue, à développer un esprit analytique… afin d'offrir des arguments pour appuyer leurs revendications. Il nous faut aussi préparer les jeunes, non pas simplement intellectuellement, mais aussi sur leur capacité à rendre des jugements moraux et éthiques. Je me rappelle de quelque chose que j’ai entendu à la Journée du refus de l’échec scolaire de l’Afev en septembre dernier : les jeunes à l’école ne sont pas seulement des élèves, ce sont aussi des enfants. Et les enseignants ne sont pas seulement des enseignants. Nous sommes humains, nous sommes tous des citoyens en voie de “développement”. Les établissements scolaires, collèges et lycées, doivent refléter cette humanité. »Comment aider les jeunes, en France et ailleurs, à prendre du recul par rapport aux événements violents qu’ils vivent ?
« Facing History & Ourselves travaille à travers le monde dans des pays qui traversent des moments difficiles de leur histoire nationale - par exemple en Irlande du Nord ou en Afrique du Sud, pour ne citer qu’eux. Ces sociétés font face à des divisions basées sur des conflits identitaires. Et cela émerge de leur passé violent. Dans le monde entier, la jeunesse hérite de sociétés divisées et complexes. Elle hérite des tensions historiques et des communautés repliées sur elles-mêmes. Nous avons un programme d’études à Facing History & Ourselves dont une partie invite les étudiants à travailler sur le devoir de mémoire. On demande aux élèves d'étudier ces moments difficiles afin qu'ils aient une meilleure compréhension des événements que nous traversons aujourd’hui. On les aide à développer un vocabulaire - Quel rôle joue la conformité et l'obéissance ? Qu'en est-il du rôle des médias ? Qui sont les spectateurs (habituellement, la plupart d'entre nous), les “upstanders” (ceux qui interviennent, qui veulent prendre part à l’histoire) ? Ces événements étaient-ils inévitables ? Qui aurait pu les empêcher ? Comment rendre hommage à ceux qui ont été tués ou blessés ? Qu'en est-il des survivants ? Quel est le rôle de la société civile dans le processus de commémoration et comment est-il discuté ? Comment une société peut-elle réparer et reconstruire ? À quoi la justice ressemble à la suite de ces événements ? Quels sont les modèles positifs de participation et d’actes pour arriver à redresser la situation ? Ce sont des sujets de discussion que les élèves doivent pouvoir aborder en classe. Nous croyons qu’il faut nous confronter au passé, y compris les moments les plus difficiles. Lorsque les sociétés sont divisées par des conflits identitaires, elles doivent aborder les racines de ces divisions. Elles ne vont pas disparaître toutes seules. Quand ils sont ignorés, ces problèmes ressurgissent et éclatent à nouveau. » Propos traduits de l’anglais par Dimitry Anselme, éditorialisation Magali de Exposito Crédits photos/illustrations : Facing HistoryPartager cet article